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UNIVHRSITY OF
rORONTO LIBRARY
The
Jason A.Hannah
Collection
in the History
of Médical
and Related
Sciences
\
NEVROSES ET IDÉES FIXES
\
Ti'avaux du laboratoire de Psychologie de la clinipe à la Salpètrière
IMiEMIEliE SKRIE
NÉVROSES ET IDÉES FIXES
ÉTUDES EXPÉRIMENTALES
SIR LES TROIRLES DE LA VOLONTÉ, DE LATTENTION, DE LA MÉMOIRE.
SUR LES ÉMOTIONS, LES IDÉES OBSÉDANTES
ET LEUR TRAITEMENT
Le D^ PIERRE JANET
Professeur de Philosophie au Lvccc ConJorcet,
Directeur du Laboratoire de Psvchologic de la Clinique à la Salpètrière
PARIS
ANCIENNE l.lliliAinii: GERMER UAl I.1. 1 K U E ET C"
FÉLIX ALCAX. ÉDITEUR
108. BOULEVARD S Al N T- GE RM A I N , 108
1898
Tous droits n-scrvé^.
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/nrvosesetideOOjane
A MONSIEUR F. RAYMOND
PROFESSEUR DE LA CLIMQUE
DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX A LA SALPÉTRIÈRE
MoMMAGli liESPECTUUUX
ET RECONNAISSANT.
\
INTRODUCTIOX
Les idées fixes qui se présentent au cours de tant de maladies
nerveuses ou mentales constituent un des phénomènes les plus
intéressants pour le médecin et pour le psychologue. D'une part,
il est trop évident que ces idées, qui se développent démesurément
dans l'esprit des malades, interviennent dans la plupart des per-
turbations mentales et même physiques, qu'elles contribueraient
beaucoup, si on les comprenait bien, h les expliquer.
D'autre part, il n'est pas une fonction psychologique et physiolo-
gique qui ne puisse présenter des altérations en rapport avec l'idée
fixe: la volonté, l'attention, la mémoire, les émotions, la respira-
tion, la circulation, tous les phénomènes de la nutrition sont modi-
fiés de toutes les manières chez ces malades. Ces modifications sont
tantôt le principe, le point de départ, tantôt la conséquence des
idées fixes, quelquefois elles les accompagnent sans que nous puis-
sions bien préciser la relation de dépendance des phénomènes ;
mais de toutes manières elles sont très précises et réalisent souvent
les plus belles expériences que le psychologue puisse concevoir.
Je suis convaincu que c'est par l'étude de ces expériences natu-
relles, plus que par les théories et les mesures mathématiques
que l'on arrivera à mieux comprendre notre intelligence et notre
action.
Aussi, depuis longtemps, ai je été attiré par l'étude des malades
tourmentés par des idées fixes. Ces malades me semblaient assez
intelligents et raisonnables pour se prêter à toutes les recherches
et d'autre part étaient assez atteints dans leur pensée pour nous
montrer le mécanisme de bien des perturbations de l'esprit. Ils
forment, après les hystériques proprement dits, des sujets de choix
pour la psychologie expérimentale.
Mais je me suis aperçu bien vite que l'étude des idées fixes,
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prrciséinent par ce (ju'cllc touche à tous les points essentiels de la
psychologie et de la physiologie, était extrêmement complexe et
(ju'il m'était encore l)ien dillicile de l'aborder dans son ensemble
s;ms siipiioscr résolus immédiatement et rt prioi-i bien des pro-
blciucs. (".'est pourquoi j'ai essayé d'appliquer à ces études une
méthode «'mijruntcc à la clini([ue médicale et qui me semble très
hicn appropriée aux recherches de psychologie expérimentale,
celle lies observations individuelles. Pour celui qui, comme moi,
avoue ne pas bien comprendre les théories générales des idées fixes,
cluupie malade est intéressant en lui-même etdemandc ;t être analysé
isolément. J'ai pris soin, pour élargir cette enquête sur les idées
fixes, de choisii" des malades aussi difïerents que possible les uns
lies autres. Aussi le mot « idée fixe » est-il nécessairement pris
dans un sens fort large. Il ne s'agit pas uniquement d'idées obsé-
dantes d'ordre intellectuel, mais d'états émotifs persistants, d'états
de la personnalité (jui restent immuables, en un mot, d'états psycho-
lon-i(uies (lui une fois constitués persistent indéfiniment et ne se
modifient plus sullisamment pour s'adapter aux conditions varia-
bles du milieu environnant. Les solutions générales se dégageront
probablement d'une manière toute naturelle de ces recherches
particulières. Ce sont ces études particulières sur un certain nombre
de malades analysés individuellement et, quand cela est possible,
rappi'ochés d'autres sujets analogues que je réunis dans ces volumes
avec l'espoir de j>ouvoir un jour les condenser dans un travail
d'ensemble.
Chacune de ces observations étant déterminée par la nature d'un
malade plus (pie par une recherche bien précise sur un point
donné, il est diflicile de les classer régulièrement.
On peut admettre d'une manière générale qu'un premier groupe,
constitué par les trois premiers chapitres, se rapporte principale-
ment aux troubles psychologiques généraux qui accompagnent les
idées fixes, c'est-à-dire les tioubles de la volonté, de l'attention, de
la mémoire et aux méthodes (pii permettent de les étudier. Un
second groupe porte sur l'analyse de quelques idées fixes consi-
dérées en elles-mêmes, sur leurs caractères, sur les lois de leur
(h'Ncloppement . I)ans une troisième partie sont réunies des obser-
vations sur quehpies accidents jilus particuliers, sur des troidjles
spéciaux de la sensibilité, du mouvement, des fonctions physio-
logiques qui semblent se rattacher à telle ou telle idée fixe. Enfin
rXTftODrCTlOX ;{
quelques chapitres constituent une dernière partie traitant plus
particulièrement de certains procédés de traitement qui ont pu
avoir dans quelques cas une heureuse influence. J'ai ajouté à cette
dernière partie une observation d'anesthésie chirurgicale par
la suggestion qui se rattache indirectement h ces études. On
remarquera que la plupart des malades étudiés dans cet ouvrage, sauf
quelques exceptions, présentaient outre leurs idées fixes des symp-
tômes hystériques. En raison peut-être de mes études antérieures,
je suis disposé à croire que l'hystérie rend plus faciles l'étude et •
l'interprétation des troubles de l'esprit, que l'intelligence de cette
curieuse maladie doit servir d'introduction à l'étude de l'aliéna-
tion. Nous pourrons mieux comprendre plus tard les idées fixes
présentées par les autres malades si nous avons d'abord compris
celles que présentent les hystériques.
Ces études sont réunies sous le nom de travaux du laboratoire
de psychologie de la clinique à la Salpètrière et cela me semble
juste, car c'est à ce petit laboratoire que je dois d'avoir pu conti-
nuer mes recherches de psychologie expérimentale. C'est Charcot
qui m'a reçu dans son service avec tant de bienveillance et qui m'a
permis de fonder ce petit laboratoire un peu spécial dans un grand
service médical. Mon excellent maître, M. le professeur Raymond,
en a compris l'utilité et l'importance et il a bien voulu m'aider à
le conserver et à le développer. Grâce à lui, j'ai pu réunir les
appareils nécessaires à quelques mesures et donner à certaines de
ces études un peu plus de précision. Bien mieux, pour montrer
tout l'intérêt qu'il prenait à ces études, pour les associer aux
autres travaux de la clinique d'une manière plus étroite, M. Rav-
mond a bien voulu collaborer aux recherches contenues dans le
second volume de cet ouvrage. Qu'il me soit permis de lui en
exprimer ici toute ma reconnaissance'.
Paris, 28 juillet 1897.
1. Je désire signaler ici une erreur qui s est glissée dans la reproduction d'une des
figures de cet ouvrage. Dans la figure 10, page 93. la ligne droite inférieure est trop
élevée par rapport à la courbe. Dans son ensemble la courbe tout entière doit être
supposée plus élevée de 7 cenlièines de seconde. Dans la légende de la figure 29,
p. 271, lire hypocsthésio au lieu de dysesthésie.
NÉVROSES ET IDÉES FIXES
CHAPITRE PREMIER
lîN CAS d'aboulie ET d'iDÉES FIXES '
1. Antécédenis de la maladie. — 2. ]';tude des mouvemeDls. — 3. Les idées fixes. —
4. Les perceptions. — 5. Évolution de la maladie.
La plupart des auteurs qui ont étudié la psychologie ont tou-
jours recomniandé l'étude des iiialadies mentales: ils pensaient,
et avec raison, que les perturbations des phénomènes moraux
permettaient de mieux comprendre certaines opérations de l'es-
prit qui sont d'ordinaire peu distinctes. Si ce conseil a été rare-
ment suivi, c'est qu'il faut pour cette étude être placé dans des
conditions toutes particulières. Je dois tous mes remerciements
aux médecins qui ont bien voulu diriger mes premières études sur
l'aliénation, et en particulier à mon éminent maître M. le D"" Jules
Falret qui m'a permis d'étudier sous sa direction et de publier
cette observation recueillie dans son service à la Salpètrière. Ce
cas, en effet, me semble Intéressant et peut justifier l'utilité de la
méthode clinique dans les études de psychologie. D'un côté, il
montre au psychologue des modifications curieuses et instructives
de certains phénoiuènes mentaux, de l'autre il montre au médecin
comment l'analyse psychologique permet d'interpréter des trou-
bles singuliers qui caractérisent un groupe assez net de malades.
La personne que nous avons choisie pour objet principal de
cette étude est une jeune fille de vingt-deux ans que nous dési-
1. Cette étude a déjà été publiée dans la Revue philosophique de M. Th. Ribot
en mars 1891, p. 258-287, et avril 1891. p. 382-407. Je la reproduis presque sans
modilications.
NÉVROSES ET IDÉES FIXES. 1. -— 1
■} \\ i:\s i)'\ii(»i iiK l'i" i>Mi)i;i'S ri\i:s
oiuMctiis, tout il liiit j);ii' coiivciititm. sous le nom de Marcelle. Elle
|)r»'scnl(', })oiir \v dire d'al)orcl en im mot, une disparition, une
alxdition |)r»^S(|ue totale de cette faculté, qui a bien quelque
importaïuc cl (iiToii appi-lic la volonté, (l'est une personne abso-
lument sans volonté, une aboulique, comme on les appelle. Nous
allons voir cbe/. clic comment se manifeste, comment se prouve
celte suppression de la voiontc- cl nous y jiaivicndrons surtout par
Tctude de ses mouvements. Mais nous insisterons surtout sur les
. consé(picnces ([u'unc pareille altération de l'esprit peut avoir sur
les act(>s ([ui sont supprimés ou altérés, sur les idées, sur la
méiuoiif cl mrmc sui la perception. Cela noirs permettra d'abord
de bien comprendre le rôle de la volonté qui est beaucoup plus
étendu (pi'on ne le croit et ensuite peut-être de nous faire une
idiT un peu plus précise du fait psychologique qui mérite parti-
culièrement le nom de volonté, car c'est ce fait principal qui, chez
n(»tre malade, se montrera particulièrement altéré. Knlin cette
étud(> pourra peut-être préciser un peu ce phénomène si impor-
tant de X aboulie qui se rencontre [)rcsque toujours chez ces ma-
lades que l'on désigne tantôt sous le nom d'hystériques, tantôt
sous celui de neurasthéni([ues, de dégénérés, de phrénasthéniques,
de |)svchasthéniques. Ce sym[)tônic prend chez quelques-uns d'imlre
eux une importance si prépondérante ([u'il leur donne une phy-
sionomie à pai't et permet de séparer, au moins au point de vue
clinupic, le groupe des aboiili(jues.
i. — Antécédents.
Il est toujours assez dillicile de recueillir des renseignements
jirécis sur la famille des malades, et nous n'avons obtenu sur
ctdie-ci (piun jx-lit nombre d'indications qui ont cependant leur
im|)ortancc. Le père de Marcelle fut atteint de paralysie
pendant les dcu.\ dernières années de sa vie, il mourut assez
jeune, vers cintpiante ans, sans avoir présenté ni troubles de la
parole ni délire. Il est dillicile de déterminer maintenant avec
exactitude la nature de cette paralysie qui est toujours décrite
d'une manière fort vague. Les parents du côté maternel sont un
peu mieux connus : la grand'mère maternelle mourut dans un
asile d'aliénés, elle était atteinte vraisemblablement de délire des
persécutions. De ses deux filles, l'une, la tante de notre malade,
ANTECEDENTS 3
eut une folie du même genre et mourut également enfermée h
Vaucluse ; l'autre, la mère de -Marcelle, ne fut jamais frappée
d'aliénation proprement dite, mais elle semble faible d'esprit; elle
s'excite et perd facilement son sang-froid, surtout quand elle vient
voir sa fille.
Cette famille eut dix enfants, dont six sont encore vivants. Les
trois fils sont intelligents et travailleurs, quoiqu'on leur reproche
leur caractère entier, personnel et égoïste, qui semble vraiment
être de famille. Les trois filles sont toutes bizarres : les deux
aînées présentent déjà, quoique à un plus faible degré, les tares
morales qui ont constitué la maladie de la cadette. Elles sont très
paresseuses et mêmes inertes; « elles ont toujours l'air de penser
à autre chose quand on leur parle », me disait une de leurs amies.
La seconde surtout, qui est l'avant-dernier enfant de la famille, a
des périodes de distraction et de tristesse qui touchent singulière-
ment à l'aliénation: il lui arrive de rester une quinzaine de jours
sans vouloir parler à personne. Marcelle enfin, la dernière enfant,
semble réunir en elle, en les augmentant, ces diflerents défauts
de la famille.
Marcelle eut une enfance régulière, sans aucun accident, elle
était vive et assez intelligente : on se plaignait seulement de son
mauvais caractère et de son entêtement. La moindre contrariété,
la moindre résistance à ses caprices provoquait des bouderies
interminables et des scènes de colère assez violentes, qui se ter-
minaient par des pleurs.
A l'âge de quatorze ans, elle fut atteinte dune fièvre tvphoïde
extrêmement grave, qui, ainsi que cela arrive fréquemment chez
les individus prédisposés, provoqua surtout des accidents céré-
braux. Elle délira pendant plus d'un mois, ne reconnaissant per-
sonne et refusant énergiquement toute espèce de médicament.
Cette maladie laissa des traces profondes, et c'est de ce moment
que nous croyons devoir faire commencer la maladie actuelle.
Dès la convalescence, en effet, Marcelle présenta des change-
ments de caractère et de conduite assez notables pour être remar-
qués même par des personnes étrangères. Elle n'était plus vive
comme autrefois, mais paresseuse, remuait peu, hésitait à se
lever de sa chaise et se montrait ennuyée de tout dérangement.
Tandis (qu'elle apprenait facilement avant sa maladie, elle ne pou-
vait plus maintenant se livrer à aucun effort intellectuel et n'ap-
/. UN (:\S DXitOLI.ll". Kl' D'IDi'.r.S i'i\i:s
|)i(Mi;iil j)liis lien. l^';iill(Miis, sur le conseil tics incilccins, on ne
liirila pas ii lui iiilcidiic lout Iravail de ce g-enre. Elle était aussi
fort triste, no prenait plus plaisir à rien et repoussait tous ses
anciens amusements. Enfin elle devenait très sauvage; au lieu de
causer comme elle faisait auparavant avec toutes sortes de per-
sonnes, elle fuyait complètement les étrangers, ne voulait plus
parler qu'aux personnes les plus intimes, et encore se réfugiait-
elle assez souvent dans sa chambre sans vouloir parler à personne.
Cet »''tal d'inertie et de mélancolie fut encore aggravé, d'abord
par le chagrin ([ue lui causa la molt de son père, survenue un an
après cette lièvre typhoïde, puis par une passion amoureuse qui
provoqua d'interminables rêveries et qui lut, je crois, le début
de ses idées de suicide. Si bien qu'au bout de quel{[ues années,
Marcelle, âgée alors de dix-neuf ans, était devenue complètement
méconnaissable et commençait h présenter des symptômes plus
in([uiétants. Elle restait immobile pendant fort longtemps et sem-
blait éprouver beaucoup de peine à se déranger, même pour les
actes les plus simples. On s'étonnait, par exemple, cju'elle appelât
ses frères ou sa mère pour lui dt)nner un objet placé près d'elle,
ou pour lui ouvrir une porte près de laquelle elle était debout.
Lorsqu'on ne lui obéissait pas immédiatement, elle se fâchait et
injuriait surtout sa mère qu'elle traitait fort durement. Dans
d'autres moments, elle paraissait en proie à une agitation inex-
plicable, elle déchirait ses vêtements, elle frappait les meubles et
criait. Un jour, on la trouva auprès d'une pile d'assiettes qu'elle
cassait régulièrement les unes après les autres. Enfin au bout de
([uehjue temps Marcelle refusa absolument de manger et fit (quelques
tentatives de suicide qui nécessitèrent son internement à la Sal-
pètrière. Placée en 1889 dans le service de M. le D"" Falret, elle
fut d'abord effrayée par le spectacle des malades et par la disci-
pline de la maison, et elle se tint assez tranquille en dissimulant
a lout le inonde les pensées qui l'agitaient. Au bout de quelque
temps, on crut ii une certaine amélioration et on essaya de la rendre
il ses parents, mais elle ne put rester chez elle et dut revenir à
l'hospice cette année.
2. — Étude des mouvements.
Marcelle, quand on l'exaniino maintenant, est une grande et forte
ÉTUDE DES MOUVEMENTS 5
jeune fille qui semble bien constituée. La figure est régulière, sans
asymétrie ni du crâne ni de la face, les cheveux bruns sont épais,
sans épis; les oreilles bien faites, ourlées avec lobule détaché; les
dents sont normales. Le seul signe de dégénérescence physique
que nous constations, c'est la forme ogivale un peu accentuée de la
voûte palatine.
Le fait le plus apparent que l'on remarque avant tout chez cette
personne, et le premier symptôme dont elle se plaint, si on l'inter-
roge, est une difficulté singulière des mouvements. Elle reste en
général immobile sur sa chaise, faisant machinalement un petit tra-
vail de crochet, et elle refuse presque toujours de se déranger ou de
faire un mouvement quelconque. Quand on lui propose de faire un
mouvement des bras, en particulier d'étendre la main pour prendre
sur la table un objet qu'on lui montre, elle refuse d'un air chagrin et
boudeur. Si on insiste beaucoup et longtemps, .elle se soulève lente-
ment et avance très légèrement la main, puis elle s'arrête immobile
et dit: « Mais je ne peux pas », et retire le l)ras. Puis elle l'étend
de nouveau un peu, reste en suspens, fait des mouvements inutiles,
incohérents, et enfin par un mouvement brusque prend l'objet; sou-
vent elle le remet plusieurs fois sur la table avant de pouvoir se
décider à le garder dans la main. Ces hésitations pour prendre un
porte-plume ou un verre peuvent durer un quart d'heure ou une
demi-heure. Le plus souvent d'ailleurs, Marcelle ne persévère pas
si longtemps et, après quelques essais infructueux, elle retire la main
et ne bouge plus; puis, d'un air de mauvaise humeur, elle déclare
qu'elle ne peut pas et ne veut même plus essayer. C'est de cette der-
nière façon que les choses se passent quand elle est seule. Elle ne
pourrait arriver à se déshabiller pour se coucher si on ne l'aidait;
elle hésite pour toucher sa robe, réussit avec beaucoup de peine
à l'enlever un peu, mais au lieu de continuer elle la remet et re-
commence indéfiniment. Je la trouvai un jour les mains vides
sans son crochet habituel qui était sur une table à un mètre d'elle.
(( Je m'ennuie tant, me dit-elle, parce que je n'ai pas pu prendre
mon crochet ! Donnez-le-moi. » Un autre jour, je la trouve ren-
fermée dans la salle et je lui reproche de n'être pas sortie pro-
fiter d'un beau jour de soleil : « J'ai essayé, me dit-elle, mais je
n'ai pas pu sortir, alors je suis restée sur ma chaise. » Cette hé-
sitation, comme on le voit par ce dernier exemple, atteint aussi
les mouvements (l>es jambes. Enfin, à de certains moments, elle
reste sans répondre et ne pcjit même ouvrir la bouche ; le lende-
G UN CAS D'AHOn.lK FT DIDKFS FIXFS
luaiii, oIIp raconte qu'elle a voulu parler, mais n'a pu y parvenir.
Va\ un mot tous les mouvements volontaires des bras, des jambes,
même ceux de la lanp^ue et des lèvres présentent la même hésita-
tion et la même impuissance.
l'.n vovani une personne de ce genre parler intelligemment, se
plaindre elle-même de son impuissance à se mouvoir, de cette ré-
sistance de ses nuMubres à sa volonté au moins apparente, on
pourrait peut-être songer un moment à une maladie phvsi(pie
des nerfs ou des muscles qui déterminerait ces troubles tlu
mouvtMnent volontaire. Mais il suHit d'observer combien les mou-
vements de Marcelle sont modifiés par les plus légères influences
morales, comment rattention, la distraction, les souvenirs de
différentes espèces suppriment ou augmentent son hésitation
pour écarter l'hypothèse d'une maladie de ce genre et pour
chercher dans la pathologie cérébrale et mentale la raison de
cette impuissance.
La maladie mentale, à laquelle on doit alors songer, a été bien
décrite depuis ([uelques années dans les travaux de Morel, West-
phal, Legrand du Saulle, J. Falret, Magnan, etc. C'est le délire du
contact, dont Legrand du Saulle fait une phase particulière de la
folie du doute, tandis que d'autres auteurs le décrivent comme un
symptôme isolé. Les malades hésitent longtemps avant de faire un
mouvement, parce que ce mouvement doit provoquer l'attouche-
ment d'un objet, (pii est devenu odieux. Par suite de telle ou telle
idée fixe, ou conception délirante, ils se figurent malgré eux qtie
cet objet est électrisé, empoisonné, en un mot qu'il est répugnant
et dangereux. Reconnaissant eux-mêmes toute l'absurdité de cette
conception, ils veulent lutter contre leur crainte et font effort
pour avancer la main, qu'ils retirent bientôt par terreur. De là,
des mouvements incoordonnés, des efforts, des hésitations tout à
fait analogues h ce c[ue nous observons chez Marcelle.
Nous avons soigneusement interrogé cette personne pour lui
faire avouer une idée de ce genre, et elle nous a fait quelquefois
une répons(,' en apparence favorable à cette supposition. « C'est,
dit -(die, en parlant de ses hésitations, coininc si cela me dégoû-
tait ;... cet objet doit ctre sale. » On aniail tort, croyons-nous,
d'accorder à cette réponse une grande importance. Nous nous
trouvons ici en présence d'une des difficultés les plus communes
de la psychologie expérimentale ou objective. Ix' sujet que l'on
ÉTUDE DES MOUVEMENTS >7
interroge n'est pas, comme dans les recherches physiques, un
objet inerte ; c'est une personne pensante ([ui examine ses propres
phénomènes psychohigic[ues et qui en fait elle-même la théorie.
Elle interprète sa maladie à sa façon, et ne nous décrit pas le fait
brut, mais la manière dont elle le comprend. Beaucoup d'aliénés,
les mélancoliques surtout, n'ont peut-être dans leur délire que
des interprétations de quelques phénomènes psychologiques
simples, dont ils ne nous parlent pas et que nous ayons de la
peine à retromer. Eh bien, quand Marcelle explique ses habi-
tudes d hésitation en disant que cela doit la dégoûter, je pense
qu'elle se trompe sur elle-même et qu'elle s'analyse mal.
En effet, je la surprends plusieurs fois dans ses plus forts mo-
ments d'hésitation, et je lui demande si elle éprouve un réel
sentiment de dégoût. Elle avoue quelle ne l'éprouNC pas, et,
quand on insiste à ce moment même, elle convient qu en réalité
elle ne sait pas du tout doù vient son hésitation. Ensuite le délire
du contact est ordinairement limité (du moins quand il est pri-
mitif) à quelques objets qui ont frappé l'imagination du malade :
les boutons de porte ou les objets en cuivre, les épingles, un
meuble, etc. Or, ?klarcelle elle-même se plaint à moi qu'on l'ac-
cuse à tort d'avoir peur des boutons de porte. Son hésitation
n'existe pas plus pour les portes, elle est générale et s'applique
à tous les objets indistinctement.
Une petite expérience peut encore trancher la question. Les
auteurs qui t)nt parlé du délire du contact ne me semblent pas
distinguer assez dans leurs observations deux sortes de contacts,
le contact actif et le contact passif. Il faut, il me semble, dans le
délire de ce nom, constater l'altération de ces deux sortes de tou-
chers, il faut ([ue le malade non seulement ne puisse toucher
lui-même 1 objet, mais encore en redoute le contact si on l'ap-
proche de lui. Or, Marcelle ne m'a jamais paru présenter la moin-
dre crainte du contact passif. VA\e n'arrive pas à me toucher la
main et elle hésite indéfiniment, mais elle ne bouge pas et ne se
iiKjntre pas fâchée si je lui prends moi-même la main. Elle ne peut
toucher elle-même un papier, mais elle ne recule pas et ne se
plaint pas si je lui mets le papier sur les mains. Souvent même,
comme on vient de le vuir, elle demande qu'on lui donne les
objets. I.e contact ne lui est donc pas odieux, et il n'y a pas de
dégoût réel ; ce qui est troublé, c'est le contact actif, le fait d'ac-
complir un mouvement pour atteindre l'objet. ^lais, dans ce phé-
8 LN CAS DVIiOl l.li; KT l)lltKI=:S FIXES
nonu-no, rrlément pi-incipiil est le inoiiviMiiont liii-nirnic et non le
contact, qui ici n'est pas en jeu.
Ce qui rend l'observation encore plus nette, c'est ([U{> Ton peut
constater la même dillîeulté dans les mouvements seuls, isolés de
tout contact. Marcelle hésite pour se lever, pour marcher, pour
parler comme pour prendre un objet. On provoque les mêmes ef-
loits, les mêmes hésitations en lui demandant simplement de lever
le bras en l'air. Nous sommes donc bien en présence d'un ti'ouble
psychologique qui porte sur la faculté motrice, sur les phéno-
mènes présidant aux mouvements.
Il est vrai que dès maintenant elle commence à interpréter sa
maladie en disant que les objets la dégoûtent. Il n'est pas impos-
sible, si l'hésitation continue, qu'elle ne finisse par s'en convaincre
et qu'un délire vrai du contact passif ne vienne un jour se sura-
jouter au trouble actuel. Une distinction est en effet nécessaire
dans les délires du contact ; les uns sont primitifs et ordinaire-
ment limités à un petit nombre d'objets. Ils se rattachent alors
aux idées fixes accompagnées ou non d'angoisse et doivent être
étudiés avec elles. Justine, par exemple, une autre malade que
j'étudierai plus loin, ne peut toucher un fruit. C'est parce que ce
fruit, par association d'idées, la fait penser au choléra et que la
pensée ou même le nom de cette maladie, dont elle a une crainte
continuelle et involontaire, lui cause des terreurs, des angoisses
et même des crises de nerfs. D'autres délires du contact me sem-
blent être secondaires ; ils s'appliquent à tous les objets indis-
tinctement et dépendent d'un trouble primitif du mouvement ;
d'une sorte de paralysie qui les a précédés et qui en est la véri-
table explication. En un mot, il y a un délire du contact qui est
une simple idée fixe et il y a un délire du contact qui est l'expres-
sion d'un trouble général de l'activité; on verra plus loin la même
distinction importante à propos du délire du doute. Le trouble
du contact que présente Marcelle rentre dans cette dernière ca-
tégorie, et nous amène à étudier chez elle l'altération des phéno-
mènes moteurs.
S'agit-d d'une sorte de paralysie psychiipie, telle qu'elle se
rencontre par exemple dans les monoplégies hystériques ? Peut-
on dire que cette jeune fille a perdu les images motrices, peut-on
se borner ii expliquer son état en disant que les circonvolutions
motrices sont épuisées, engourdies ? Il en serait peut-être ainsi,
ÉTUDE DES MOUVEMENTS 9
si criiiip manière générale tous les mouvements étaient supprimés,
mais ce qui est embarrassant c'est que, comme il est facile de le
voir, il y a, malgré son impuissance motrice apparente, des caté-
gories de mouvements fort bien conservés. Pour préciser cette
altération des actes il faut donc d abord procéder par élimination
et exclure les mouvements qui sont conservés. 1° Les mouvements
physiologiques : respiration, circulation, etc., n'ont jamais été
changés, au moins d'une manière grave et apparente. 2° Les ré-
flexes sont tout à fait normaux au genou, aux yeux, à la bouche ;
elle tousse, cligne des yeux, etc. 3° Les mouvements qui, par
l'exercice, sont devenus instinctifs sont également intacts ; elle
remue sur sa chaise, change de position, chasse une mouche du
visage, se gratte, se mouche sans l'ombre d'une hésitation. 4° [^es
mouvements habituels se font de même ; elle fait quehjues tra-
vaux à l'aiguille et exécute au crochet d'interminables bandes
d'une dentelle qui est, il est bon de le remarquer, toujours la
même.
5° A ces diverses catégories de mouvements conservés, il faut
en ajouter d'autres plus étranges. Ce sont des mouvements com-
pliqués, qui non seulement se font à son insu comme les mouve-
ments habituels, mais qui, en outre, se font contre sa volonté.
De temps en temps, elle casse des objets ou déchire des vête-
ments. Ses parents lui font cadeau un jour d'un fichu de dentelle,
qui lui plaît beaucoup ; elle ne peut s'empêcher de le déchirer ;
elle pleurait de rage en voyant disparaître sa belle dentelle et ce-
pendant elle n'a pu s'arrêter que les derniers morceaux n'aient
été effilés. Quand elle tient un crayon sur du papier, elle com-
mence à faire des traits, des gribouillages informes ; elle trouve
cela ridicule, mais elle ne peut s'arrêter avant d'avoir couvert de
ces traits tout le papier. Elle a aussi la manie de se manger les
ongles et en est arrivée à se faire saigner les doigts et à les dé-
former complètement; elle trouve cela absurde, laid, douloureux
et me promet de ne plus le faire ; mais elle recommence immé-
diatement. Si je lui fais beaucoup de reproches, elle se met à
pleurer et continue à ronger ses ongles en murmurant : « Je ne
peux pas. )) D'autres mouvements impulsifs sont malheureusement
beaucoup plus graves. Elle n'a jamais eu de violences contre
d'autres personnes, mais elle cherche à se tuer, court dans un
escalier pour se précipiter, ou cherche à se jeter dans une chau-
dière (nous reviendrons sur ces accès') ; il suffit de remarquer
10 UN CAS dahoilil; i:t didkks fixes
m;iint(Mi;mt (jiu' dans tons los actes de ce •^cnre, il n'y a aucune
hésitai ion. Idle ({ni s'arrête devant une porte [lendant une demi-
lienie sans ponvoir I"on\ lir, 1 (ui\ re rapidement, comme avec fu-
reur, (piand il s'agit d Un de ces actes impulsifs.
Il" l/(^xpérimentation va nous montrer une dernière catégorie
daetes non seulement conservés, mais également exagérés. Si je
diMiiandf à Marcolli', doucement et avec politesse, de faire un acte,
elle répond : >< .le veux Lien », et essaye ; mais l'acte ne se fait
pas. Si an contraire je me mets en face d'elle et lui commande
brulalcmont de faire cet acte, elle s'étonne et refuse, en disant
([u'clle ne veut pas nrobc'ir ainsi, mais cependant l'acte s'accom-
j)lit complètement et sans hésitation. Kn un mot elle est cxtrè-
memcMit snggestible. Cette suggestibilité pour les actes se mani-
feste de toutes les manières. On peut lui suggérer directement
un acte (ju'elle accomplira avec conscience, on peut le lui suggérer
tout bas pendant qu'elle parle à une autre personne, et l'acte s'ac-
complira inconsciemment. Pendant qu'elle cause et ne s'occupe
pas de moi, je lui lève le bras ; il reste immobile en l'air sans
f[u'elle s'en aperçoive, quoiqu'elle ne soit pas anesthésique (c'est
une de ces anesthésies et de ces suggestions par distraction sur
les(pielles j'ai déjà souvent insisté) ; quand elle se retourne, elle
voit son bras en l'air et le baisse eu disant : a Je ne m'en étais
pas aperçne. » Je lui dis de même de cesser son ouvrage, de le
reprendre, de se lever, de marcher, de prendre un coupe-papier
sur la table. Elle accomplit tous ces mouvements sans le savoir,
mais remarquons-le, surtout sans hésiter. On peut même, par ce
movcn, lui faire prendre un cravon et du papier, écrire sous la
dictée, (ui tuème répondre à des questions simples, c'est le phé-
nonu"'iu' maintenant bien connu de l'écriture subconsciente. Il n'a
jamais été, cliez Marcelle, bien remarquable, et les messages de
ce geiiic ne dépassaient pas deux lignes. Mais ce fait m'a été ce-
pendant ntile pour connaître les idées qu'elle avait au fond de
l'esprit, lin tous cas. il est ici remarquable, car depuis deux ans,
à cause de ses hésitations et de ses tremblements, elle est inca-
pable d'écrire consciemment et elle écrit ainsi assez bien. On pré-
voit qu il est très facile d'hypnotiser cett(î personne : tous les pio-
cédés réussissent facilement. Il est inutile de rappeler qu'r'lle est
suggcstible pendant l'hypnose, nous venons de voir combien elle
l'était déjii pendant la veille. Mais la suggestion à effet posthvpno-
ti([ue, ce commandement donné pendant le sommeil pour être
ÉTUDE DES MOUVEMENTS 11
exécuté après le réveil, va nous fournir un moyen de mettre en
évidence, en les opposant Fun à l'autre, les mouvements perdus
et les mouvements conservés. Pendant qu'elle est endormie je
lui fais la suggestion suivante : >< Quand je frapperai sur la table,
vous prendrez ce chapeau et vous irez l'accrocher à une patère. n
Cela dit, je la réveille bien complètement ; quelque temps après,
je l'interpelle comme pour lui demander un petit service. « Made-
moiselle, vous devriez bien enlever ce chapeau qui me gène pour
écrire et le mettre sur une patère. — Je ne demande pas mieux »,
dit-elle. Et la voici qui essaye de se lever, se secoue, étend les
bras, a des mouvements incoordonnés, se rassied, recommence, etc.
Je la laisse travailler ainsi vingt minutes, sans qu'elle puisse
accomplir cet acte si simple. Puis je frappe un coup sur la table.
Aussitôt, elle se lève brusquement, prend le chapeau, Taccroche,
et revient s'asseoir. L'acte est fait par suggestion en un instant,
il n'avait pu être fait par volonté en vingt minutes.
Tous ces actes conservés, en effet, du premier au dernier, sont,
avec des degrés de complication croissante, des actes qu'on ap-
pelle automatiques, et les actes qui sont perdus, comme il est
facile de le voir maintenant, sont les actes volontaires. La volonté,
en effet, semble supprimée ou du moins extrêmement amoindrie
dans toutes ses manifestations. Nous ne parlons ici que des actes
et des mouvements. La volonté a disparu comme faculté de dé-
cider un acte d'avance, de se résoudre à un mouvement. Marcelle
depuis fort longtemps ne se décide jamais à rien, même pour les
plus petites choses. Elle ne sait si elle doit sortir dans la cour ou
rester sur sa chaise, et, en présence de cette question grave, elle
reste immobile toute la journée en murmurant : « Que faire ^ mon
Dieu, que faire?» On rencontre souvent des personnes qui ré-
pètent une phrase de ce genre : « Que faire ? » ou « Comment
donc faire ? » Ces expressions ne sont pas insignifiantes ; elles
dénotent un état psychologique particulier, dont nous voyons
chez Marcelle la dernière exagération. La volonté est également
perdue comme faculté de produire un mouvement déterminé. Le
pouvoir moteur des images kinesthétiques ou même des images
visuelles nest pas disparu chez cette malade. Quand je me mets
en face d'elle en balançant mon bras, il sufHt qu'elle voie le mou-
vement pour le répéter. Mais elle ne sait plus disposer, synthé-
tiser ces images de manière à produire un mouvement déterminé
et utile. La volonté enfin est perdue comme pouvoir d'arrêt des
Il LN C^S D'MiOl I.IK I:T DIDKI'S FIXES
moiivonuMits, car los actos aiitonintiqiios. soit naturels, soit siig-
nrrrs. sont non seuliMuont conservés, mais énonnénuMit exagérés.
Tonte image d'un acte de cr genre ilevient impulsive et n'est pas
arrêtée pai' la volonté impuissante. Le symptôme essentiel de
cette maladie mérite bien le nom de perte de la volonté, ou
d'ohoii/ie.
On croit tlOrdinaire entendre facilement le sens des mots : (lu-
tn/>ifitif/iic et voloiitaire et la nature de leur opposition ; mais il
faut lependant |M()(îter de toutes les occasions pour préciser des
idées de ce genre. Analvsons eîicore les actes de cette personne,
car sa maladie réalise une expérience remarcpiable de psychologie.
An lien de eonsidéier chez elle, comme nous l'avons fait jusqu'à
présent, les actes complètement conservés et ceux qui sont entiè-
rement perdus, examinons les degrés intermédiaires.
I/hésitation et l'impuissance de cette malade sont en effet très
variables et changent suivant les degrés de la maladie à différentes
époques. Mais, si on l'étudle un même jour, l'hésitation se modifie
aussi suivant la nature des actes à accomplir, qui ne semblent pas
tous aussi dilliciles l'un (jue l'autre, .l'essayais un jour d'exercer
Marcelle aux mouvements volontaires : pour v airlver, j'avais
étalé sur une tal)le différents petits objets et je la priais de les
prendre un à un et de me les remettre. Elle consentait volontiers
à cette sorte de jeu et s'appliquait à bien faire. Or, malgré sa
bonne volonté, elle réussissait assez bien à prendre certains objets
et très mal à en prendre d'autres. Ainsi il y avait sur la table un
crochet ([ui était ;i elle et que j'avais pris dans son ouvrage et un
petit porte-mine (|ui était à moi et que j'avais tiré de ma poche.
Elle prenait toujours assez bien son crochet avec une ou deux
minutes d'hésitation seulement, mais elle mettait dix minutes
ou un quart d'heure pour prendre mon crayon. Je fis différentes
théories pour comprendre cette différence que je voulais d'abord
rapprochei- de lélectlvité des somnambules. La véritable explica-
tion du fait ne me fut donnée que peu à peu en répétant l'expé-
rience.
En effet, ce jeu lut recommencé plusieurs fols et je m'apereus
(pu- peu a peu elle prenait fort bien mon porte-mine, presque aussi
bien (pie son crochet. Mais il sullisalt de remplacer le porte-mine
par un autre objet, un coiqie-papicr ou simplement un autre
Clayon pour provocpicr de nouveau toutes les grandes hésitations
ÉTUDE DF.S MOUVEMENTS I:;
de raboulie. En un mot, elle prenait bien un objet connu et habi-
tuel et mal un objet nouveau qui n'avait pas encore été pris. La dif-
culté du mouvement était en raison de sa nouveauté. Cette re-
marque une fois faite, il me fui facile de la vérifier dans toute la
conduite de Marcelle. Elle est totalement incapable de causer
avec un inconnu ; il lui a fallu deux mois pour s'habituer à me
parler ; depuis elle me parle facilement. Je l'emmenais un jour dans
un autre cabinet d'observation où elle n'avait pas encore été avec
moi. Elle eut sur le seuil une crise d'aboulie interminable, tandis
qu'elle entrait toujours facilement avec moi dans, la pièce accou-
tumée. Ce caractère est encore visible dans la façon dont elle
marche. A-t-elle adopté une direction, elle va précipitamment ;
mais qu'un obstacle surgisse ou mieux qu'on l'appelle et qu'elle
soit forcée de changer de direction, elle va rester immobile
sans pouvoir se décider à partir. C'est toujours le début de l'acte
qui est pénible. Mais il est nécessaire de bien entendre ce que
j'appelle ici le commencement d'un acte; ce n'est pas le fait maté-
riel de mettre les muscles en mouvement, quand ils sont en repos.
Ce fait existe aussi bien, quand il s'agit de mon porte-mine et
quand il s'agit d'un coupe-papier. J'entends la formation de cet
ensemble complexe d'idées et d'images par lequel il est nécessaire
de se représenter l'acte pour prendre un objet déterminé. Cette
synthèse n'est pas exactement la n^ème pour un objet que pour un
autre, et c'est la formation de cette synthèse qui est difficile
chez Marcelle, tandis que la répétition de cette même synthèse
quand elle a été déjà faite est facile. Pour reprendre les termes
précédents, les actes automatiques sont les actes pour lesquels
il suffît de répéter un ancien groupement d'images déjà liées
ensemble, en un mot les actes déjà voulus autrefois; et la
volonté, nous le comprenons ici par sa suppression, est la
formation de ces synthèses nouvelles. Un acte n'est volontaire que
par sa nouveauté.
Cette conclusion, même en évitant les discussions générales et
en restant dans l'observation de notre sujet, soulève plusieurs diffi-
cultés.
Si l'on propose à Marcelle d'aller chercher un objet qu'elle n'a
jamais pris, elle ne reste pas immobile absolument, elle se lève,
étend le bras, etc., parvient à faire, en un mot, une partie des
mouvements utiles. C est que cet acte n'est pas absolument et en-
I', I \ CVS DAiion.iF, FT n'ii>i':KS fixes
tirronicnt nonvcîui ; il se coniiiosc (rime rollccl loii d'îictos anciens
(jn\'ll(' |HMit faire facilcnient.
l'ourciuoi donc, diia-l-on cnc()i(% dans certains jours de grave
maladie, comme Maicclle en a trop souvent, s'arrète-t-cllc com-
plètement cl peid-elle même les actes les plus habituels ? Elle ne
sait plus me parlei- (pi<)i(preile m ait parlé cent lois ; elle ne sait
plus s'habiller, se lever de sa chaise, etc. Je répondrai par une
alfirmalion peut-être paradoxale, à laquelle les psychologues n'ont
pas fait une attention suHisante, mais que la clinique des maladies
mciilales met ici bien en évidence. C'est (|u'il n'y a pas d'acte
abs«)lument ancien et i\m ne renferme une petite partie de nou-
veauté. Se lever aujourd'hui de sa chaise, ce n'est pas tout à fait
la même chose que s'être levé hier: le temps, la température, les
circonstances extérieures, l'état du corps et de l'esprit ne sont
plus exactement les mêmes. Parler, même à une personne très
connue, c'est toujours une action nouvelle par quelque point.
La personne ii qui l'on parle, son costume, sa physionomie, le
sujet du discours, tout cela change. On ne se baigne pas deux fois
dans les mêmes eaux, disait le vieux sage : l'univers change in-
cessamment et, quelle que soit l'identité apparente des circons-
tances clans lesquelles nous sommes placés, il y a toujours un
changement, soit en dehors, soit en dedans de nous-mêmes, qui
demande une adaptation nouvelle, un effort nouveau. Puisque
l'avenir n'est jamais la répétition exacte du passé, un acte cons-
cient n'est jamais un acte complètement automatique. Il faut tou-
jours s'efïorcer, inventer, vouloir un peu, même pour répéter l'acte
le plus habituel. Kt cpiand la volonté de Marcelle descend ;i un
degi'é vi-aiment trop bas, je ne suis pas étonné de lui voir perdre
même les actes habituels.
La troisième difliculté que je rencontre pour expliquer les actes
de Marcelle m'embarrasse beaucoup plus. Pourquoi donc au mo-
ment où elle est incapable de laire un acte nouveau par volonté, le
fait-elle si facilement par suggestion? L'acte de prendre un coupe-
papier (ju'elle ne connaît pas est pourtant tout aussi diflîcile,
tout aussi nouveau, (|uand elle le fait à la suite d'une suggestion,
au lieu de le faire de son libre consentement. Je suis, je l'avoue,
loit rnd)arrassc pour me rendre compte de ce phénomène bizarre.
\ oici I explication ([ui me semble la plus vraisemblable : ces deux
actes, malgrc' raj)|)arence, ne doivent pas être absolument sem-
blables au point de vue psychologique. La conscience 'de l'état de
KTLDE DF.S MOUVEMENTS If.
la personnalité à ce moment, la notion de robjet nouveau, la con-
naissance des circonstances extérieures variables, tout ces faits qui
constituent, comme nous l'avons dit, le côté nouveau de l'action,
n'existent que dans l'acte accompli volontairement. L'acte suggéré
se passe dans une conscience extrêmement rétrécie et n'exige pas
la synthèse de tous ces détails, parce qu'il s'exécute sans que tous
ces détails soient conscients. Marcelle vient de prendre le coupe-
papier par suggestion et je la félicite de ses mouvements rapides :
« Ce n'est pas moi », dit-elle d'un air boudeur, et elle répète
toujours cette formule toutes les fois qu'elle a fait un acte de ce
genre ; elle n'a pas rattaché cet acte à sa personnalité ; elle le
constate sans avoir eu la perception personnelle des images néces-
saires pour l'accomplir. Souvent d'ailleurs l'acte est absolument
subconscient et Marcelle n eu a rien senti. 11 ne faudrait pas en con-
clure que l'acte soit accompli ici par une autre personnalité infé-
rieure à la première, comme chez des hystériques que j'ai décrites.
Je n'ai pas vu chez Marcelle la formation nette d une seconde
personnalité simultanée ; l'écriture automatique qui est restée
rudimcntaire ne présente pas ces chaînes continues de souvenirs
subconscients qui forment le dédoublement de la personnalité.
Non, les images de cet acte n'ont été rattachées h aucune person-
nalité; elles se sont produites isolément à propos des paroles du
commandement. Dans cet acte suggéré il n'v a pas non plus notion
de l'objet ni du but de l'acte. Quand Marcelle veut prendre le
coupe-papier volontairement, elle sait que c'est un coupe-papier
qu'il s'agit de prendre; que c'est pour me le remettre, et dans le but
de s'exercer à des mouvements. Elle a pris le même objet par sug-
gestion, et si je lui demande brusquement ce qu'elle tient dans la
main, elle n'en sait rien. Je lui demande pourquoi elle prend cet
objet, et elle ne sait que répondre. L'écriture subconscionte d'ail-
leurs ne répond pas mieux à ces questions. En un mot, si j' ose
ainsi dire, l'acte exécuté par suggestion est un acte abstrait,
dépouillé de toute notion de personnalité, d'objet, de but, qui
entrent dans l'acte volontaire et en font la nouveauté perpé-
tuelle.
Nous croyons donc malgré ces dillicultés pouvoir conserver nos
conclusions précédentes. Marcelle est une aboulique, elle a une
diminution considérable de la volonté avec conservation et exagé-
ration de l'automatisme. C'est-à-dire qu'elle ne sait plus faire des
actes nouveaux en rapport avec des circonstances nouvelles, mais
m IN CAS D'Mioi i.ir; irr d'idI'.ks fi\i:s
(ju'ellt^ so (Mtiitciilc (lo rf|)(''l(M' tlos actes anciens, d'une manière
abstraite, sans adaptation aux siliialions et aux nécessités nouvelles.
Telles son! les preinièies conclusions (juc nous pouvons tirer de
l'étude de ses niouveinents, rapides et impulsifs quand ils sont au-
tomatiques, hésitants et souvent impossibles quand ils sont volon-
taires.
3. — Les idées fixes.
Après avoir analysé les mouvements de cette personne, cher-
chons à pénétrer davantage dans sa pensée et à connaître les idées
qu'elle peut avoir. Pour cela, il est nécessaire de ne plus observer
du dehors pour ainsi dire, mais de gagner la confiance de la
malade et de causer souvent avec elle. On remarque alors tout de
suite des dispositions d'esprit bien difTérentes dont il est impor-
tant de tenir c
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