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BIBLilOTECA DEÜUA R. CASA
IN NAPOLI
I
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MÉMOIRES
SUR LES GUERRES
ET lES
INTRIGUES D’ITALIE.
I
f-
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MÉMOIRES
D’UN ANCIEN CAPITAINE ITALIEN
SUR LES GUERRES
ET LES INTRIGUES D’ITALIE
DE 1806 A 1821.
Par m. le Ceinte O. H. F.
Traduit de ITlalien par l'autear lui-méiio.
PARIS. — CHEZ L’AUTEUR.
mu.
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PRÉFACE
Le but de l’auteur, dans cet ouvrage,
n’a pas été celui de se croire placé au-
dessus des savants de son pays natal.
Naples, en tous temps, a été le berceau
des lettres, des sciences et des arts. Mal-
heureusement, où la presse n’est pas
libre, la vérité reste toujours cachée
sous le voile ténébreux du silence. Cela
ne tient pas précisément à la forme du
gouvernement qui, quoique absolu, a
quelque chose de paternel dans son in-
jj
terieur j mais 1 influence étrangère qui
est toujours d accord avec les agents
du ministère, pour en imposer aux gou-
vernants et aux peuples, produit ce
malentendu qui fait vivre les hommes
dans l’incertitude et le roi sur le qui-
vive.
Donner des details sur l’histoire de
son pays est le premier devoir d’un
citoyen; c’est pour cela que, sans avoir
l’air de vouloir m’èlever trop haut,
naïvement je raconte ce qui m’est ar-
rivèdepuis mon enfance jusqu’en 1821.
Le reste de ma vie publique paraîtra
plus tard, dans un voyage artistique
qui a duré onze ans. Le lecteur appren-
dra par là que j’ai été toujours présent
à moi-même, et que la raison et la
philosophie, puissances assez précoces
dans mon individu, ont constamment
guidé mes pas dans l’épineuse carrière
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qu’il m’a fallu parcourir. L’ouvrage
dont il est question a quelque chose
de romantique, et pourtant ce n’est
que le recueil des faits par lesquels je
suis passe.
Comme soldat, j’ai accompli partout
mon devoir, et je crois que celui qui
s’en acquitte strictement l’emporte de
beaucoup sur ceux qui se présentent à
l’ennemi comme des automates. Il est
certain que l’intelligence est dans ses
rapports avec le courage ce que ne
sauraient être la brutalité et l’apathie,
qualités essentiellement matérielles ,
patrimoine des masses non civilisées.
L’esprit de vertige et la révolution
ont déjà fait le tour du globe. Eh bien ,
qu’ont-ils gagné les peuples dans cette
grande lutte rien du tout. Cela n’em-
pêche pas que les honnêtes gens
n’Tiient été le plus souvent confondus
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IV
pêle-mêle avec les intrigants et les fri-
pons. Heureux celui qui a une plume à
faire valoir : cette arme redoutable peut
seule le mettre à l’abri de l’orage qui,
semblable à la peste du Levant, a mois-
sonné, il y a bien des années, en Italie
et ailleurs, un nombre considérable de
victimes humaines.
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MEMOIRES
D’UN ANCIEN CAPITAINE ITALIEN
SUR LES GUERRES
ET LES INTRIGUES D’ITALIE
DE 1800 A 1821 .
Semée d’embarras et de soucis est la car-
rière de la vie , surtout pour ces hommes
qui, ayant reçu de la nature une âme pen-
sive, éprouvent en la parcourant des peines
infinies.
L’auteur naquit de parents distingues et
eut plusieurs frères. Son éducation fut
sévère, et, dès sa plus tendre enfance, la
rigueur de son père lui servait comme d’ai-
guillon pour acquérir cette indépendance
O
qui , dans l’ordre social , ne s’obtient qu’à
un certain àee. Précoce fut donc en lui
l’idée de l’éniancipalion , et peut-être fut-
elle la conséquence des punitions nom-
breuses qu’on lui imposait. T.’excessive
rigueur dans tes parents est réprouvée do
Dieu et des hommes. Mais un espagnol ne
connaît pas de milieu. Telle fut l’enfance
de l’écrivain. Capricieux et doué d’une ima-
gination ardente, il supportait le joug en
comptant les heures, les jours et les mois,
et aflondait avec une anxiété vésuvicnne
l’époque de sa lil)crté. La politique qui joue
un si grand rôle dans les destinées liumai-
ues , sourit inopinément à ses vœux.
L’année 1806 , il étudiait les mathémati-
ques, l’histoire et la langue française avec
une telle ardeur que sou maître disait à sa
mère : votre fds, outre l’intelligence, pro-
met d’heureux succès; je ne saurais donc
approuver le système adopté par son père
relativement à son éducation.
Cette manie si naturelle à la fougue juvé-
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aile portait rauleur à la guerre. L'arrivéïï
des Français à Naples lui offrit l’occasion
de réaliser scs désirs. Animé par la présence
d’une armée étrangère et par l’ardeur fran-
çaise, il commença à examiner dans r]nel
corps il aurait i)U servir. La condition do
marin lui parut bf'lle et il la préfera à toutes
les autres. Mais sans argent, sans appuis,
comment faire pour se présenter aux chefs
du collège de la marine? Confier le secret
à sa famille c’eût été s’exposer à être ga-
rotté et criblé de coups...
Un religieux franciscain, parent de ma
mère, fut mon sauveur : le père Barlhélemi,
frère du comte de Capouano , de Monle-
Parchio (royaume de Naples], m’ouvrit ses
bras avec une bonté de père. Supérieur du
couvent et homme riche qui, par vocation,
avait embrassé ce genre de vie, il était
humain, bienfaisant et généreux. J’invoquai
sa protection et il me répondit ; « Votre
père n’a jamais voulu m’écouter ; il est im-
muable dans sa résolution. Eh bien ! ses
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fils le quitteront sitôt qu’ils pourront le faire,
et , ce qui est pis encore , sa rigueur ira
croissant de jour en jour; car , détestant les
Français, il rencontrera sans cesse de nou-
veaux désagréments. Présentez-vous aux
supérieurs du corps, demandez à concourir,
et, une fois admis, venez chez moi , je
m’occuperai du reste. » La plume ne peut
peindre la joie dont je fus inondé; je par-
courais la ville comme un forcené, et mes
pensées se reproduisaient si rapides, mes
sentimonts se succédaient si vifs que le temps
me manquait pour respirer. J’abordai le
chef militaire de la marine, M. de Lostanges,
qui donna ses ordres à l’instant même pour
me faire admettre à l’examen. Les membres
du jury étaient les amis de mon père : ils
crurent faire une chose agréable à ses yeux
en facilitant mon admission autant qu’il dé-
pendait d’eux.
Entré dans le corps avec le titre de garde
marine volontaire, je reçus l’ordre de m’em-
barquer incessamment sur une division de
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chaloupes canonnières qui devait partir pour
l’expédition de la Sicile.
A peine me vis-je muni de mon diplôme
que je courus au couvent et le présentai ,
plein d’anxiété, à mon Prométhée qui, pro-
fondément ému, ouvrit un coffre-fort et me
compta la somme de 200 ducats pour sub-
venir aux frais du bagage et de riuibillc-
ment. O'iarante-huit heures après j’endossai
mon uniforme au collet et aux parements
élégamment brodés. L’énergie de l’àge et
l’esprit d’indépendance qui guidaient et
précipitaient mes pas, avaient un je ne sais
quoi d’inexplicable. Tels de mes amis me
regardaient étonnés; moi intrépide, je va-
quais avec empressement à mes affaires et
songeais à m’embarquer. J’épiai le moment
où mon père était sorti de la maison pour
embrasser ma mère.
La connaissance de la langue française
que j’avais étudiée avec passion et l’efferves-
cence de mon caractère naissant me conci-
lièrent l’estime de mes supérieurs. M. Daurc
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qui , dans la fleur de ses années, avait suivi
Napoléon en Egypte en qualité d’ordonna-
teur en cher de l’arniéc, et qui était alors
ministre de la guerre, à Naples, me mani-
festa sa satisfaction , m’encouragea , et je
conçus les plus hautes espérances. Je m’em-
barcjuai sous les ordres du fameux Bausan ,
colonel de notre marine, (jui faisait les fonc-
tions d’amiral. Bausan, dont le nom seul
vaut un éloge, avait fait ses éludes avec
Caracciolo à Londres, oii tous deux appri-
rent la marine, et leur génie s’éleva, dans
la lactique, à la hauteur des plus fameux
amiraux de cette nation dominatrice des
mers, (jui pc sait qu’après 1799, le grand
Caracciolo fut victime de la jalousie que
Nelson fomentait contre lui, cl pendu <àbord
d’un navire ? Bausan était donc l’unique es-
pérance (pii restait à la marine napolitaine,
dont il était généralement aimé; et ceux-là
s’estimaient heureux qui pouvaient servir
sous ce capitaine expérimenté, philanthrope
et courageux. Ayant mis à la voile pour nous
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rendre au phare de Messine , lieu de notre
destination, je fus invité à dîner par ce chef;
ce qu’il faisait tous les Jours envers ses su-
bordonnés afin de se les rendre familiers
et d’examiner leur intelligence et leur va-
leur. Instructive et pleine d’aménité fut sa
conversation , et cet homme singulier m’ho-
nora de sa bienveillance : je croyais en réver
dans l’ivresse de ma joie. Le lendemain je
reçus l’ordre de m’embarquer sur la division
des chaloupes de gros calibre dirigée par
le capitaine de frégate M. Bougourd , qui
m’accueillit avec bonté , me promit sou ap-
pui et mp confia le commandement de la
troisième section de la dh ision qu’il com-
mandait. L’honneur de fonctionner comme
otficier flatta mon amour-propre ; eu consé-
quence je m’efforçais de mettre la plus
grande activité dans le service et de pré-
venir en tout la volonté du commandant.
A notre arrivée au Phare de Messine,
fâcheuse fut notre position : Murat avait le
titre de grad-amiral de France, mais il con-
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naissait peu la marine , et ses dispositions
étaient en raison inverse de nos besoins ;
accoutumé à foudroyer les ennemis à la tête
de sa cavalerie, il croyait que sur mer les
vaisseaux devaient obéir à la volonté du
général et non pas à l’inconstance des vents
et à la violence des courants qui , s’élançant
impétueux entre Charibde et Sylla, firent
trembler de tout temps les plus habiles pi-
lotes. En effet le roi de Naples avait formé
son camp sur une plaine nommée Piale , et
de ce lieu qui dominait les bords de la Cala-
bre , où se trouvait mouillée l’armée navale
composée de la division du gros calibre et
d’une multitude de grandes barques de pé-
cheurs , converties en chaloupes canonniè-
res, formant plusieurs divisions combattantes;
de ce lieu , dis-je, .Murat faisait souvent des
signaux avec des bannières, afin que ces
divisions sortissent et, soutenues par l’ar-
tillerie de terre, attaquassent l’ennemi. Un
feu continuel parlait des batteries des deux
bords opposés (la Sicile étant alors défendue
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par toutes les forces britanniques qui sta-
tionnaient sur la Méditerranée ) ; la canonna-
de commençait à l’aube du jour et ne cessait
qu’au crépuscule du soir; la mitraille et les
bombes tombaient de chaque côté des deux
continents , et des escarmouches s’enga-
geaient de temps à autre entre les chaloupes
canonnières' ennemies et les nôtres. Cette
guerre était sans résultats, car à mesure que
le flux et le reflux du courant, appelé Renia,
montait et descendait, la rema entrecoupée
par les tourbillons que formait l’impétuosité
des courants , forçait les navires à reculer,
suivant à droite ou à gauche l’impulsion des
eaux, et ni les voiles ni la force redoublée
des rames ne pouvaient en arrêter le cours.
Très-souvent quelque chaloupe canonnière
tombait entre les mains’ de l’ennemi, em-
portée irrésistiblement par la violence des
eaux, et cependant le guerrier franc et
brave , croyait que ces malheureux qui la
commandaient l’avaient fait passera dessein
dans les rangs ennemis. Souvent j’ai vu dans
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le Phare des bâtiments que les tourbillons
faisaient pirouetter comme de frêles nacelles
et eneloutissaionl en un clin d’œil.
Le fameux Pausan et les autres ofiiciers
supérieurs do la marine parvinrent à faire
comprendre au roi , (pie sur mer les élé-
ments font la loi , et qu’avant d’arborer des
signaux il fallait consulter les p'ilotes expé-
rimentés , puisipic les ofiiciers de l’état-
major de la marine royale ne dédaignaient
pas de demander et de suivre leurs avis.
Celte série de considérations lit une certaine
impression sur l’esprit de Murat; mais cela
n’empéchait pas, quand l’occasion se pré-
sentait op[)ortime , de nous signaler l’ordre
d’attaquer rennemi. De là, l’aurore plus
biillante de ma carrière militaire. dire
vrai je me sentais déjà ennuyé de la nullité
d’une semblable guerre, qui n’avait d’autre
but que d’éloigner des îles Ioniennes les
forces britanniques, en les attirant en Sicile.
Les andmlanccs et les hépitaux recueil-
laient tous les jours les blessés , et je songeai
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(lue, d’un instant à l’autre, j’allais en aug-
menter le nombre sans espoir dans retirer
aucun avantage. En effet , faible (!‘tait la
compensation (lue pouvait attendre un soldat
blessé dans ces conjonctures.
dette espèce de statu quu me tenait dans
une agitation continuelle, et j’allais recber-
chant en moi-méme (pielcpie belle occasion
de me distinguer et d’en tinir d’un seul
coup , puisciue cette grêle de projectiles ,
retentissant au loin comme les éclats du
tonnerre , laissaient partout sur leurs traces
des victimes humaines.
Le 4 novembre 1811 on célébrait, sur
l’autre plage, ranniversaire- du nom de la
reine Caroline de jNaples. Les bAtiments
ancrés le long du Phare et dans le port de
.Messine avaient déj)loyé leurs drapeaux et
les signaux dont se servent les marins en
pareille circonstance. Les forts plantés sur
la c(Jte ennemie üreut de même , et les oscil-
lations des étendards diversement coloriés
brillaient sur cette rive et sc confondaient
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avec les divei’ses bannières, hérauts silen-
cieux de cette fôte.
L’échu arrivait, quoique faible, au rivage
opposé. Averti par ce courrier rapide des
salves qui, de grand malin, annonçaient
aux habitants la fête de la reine , Murat .se
prit à combiner les moyens de la troubler.
Un vent frais agitait les eaux du phare;
pourtant il était assez diflicile de tenter un
coup de main quelconque. Joachim regar-
dait en frémissant cette pompe comme une
insulte faite à sa dignité et à son génie mi-
litaire. Après son déjeuner , sans égard au
contre-temps, il ordonne que tiois divi-
sions de chaloupes canonnières, y com-
prises colles du gros calibre , levassent
l’ancre et s’en allassent attaejuer l’ennemi :
cet ordre étonna les otliciers , les pilotes et
les chefs d’équipages; ils se regardaient les
uns les autres et n’osaient tirer la corde qui
tenait les bAtiments amarrés au pieu com-
munément appelé l’homme mort.
Alors je sentis renaître en moi l’espérance
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de me faire honneur; j’ordonne au capitaine
de lever l’ancre; il m’expose l’impossibilité
de nous en tirer avec avantage. Dans mon
impatience je coupe à grands coups de
sabre la gumône qui nous retenait vers la
plage; le reste de la chiurmc (équipage)
leva l’ancre et déplova les voiles en mépri-
sant le danger. Mon exemple anima plu-
sieurs autres navires , et , en quelques ins-
tants , nous nous trouvâmes à portée de tirer
le premier coup de canon sur la frégate
anglaise où l’on présumait que s’était em-
barqué l’amiral. Je fais tout-à-coup virer de
bord et lancer , dans la môme direction , un
second boulet qui alla tomber sur la poupe.
Une grêle de mitraille et de balles fut alors
dirigée contre notre petit bâtiment, et,
dans quelques minutes, nous vîmes notre
esquif ruisselant de sang et jonché de bles-
sés et de morts. Cela produisit à bord un
tel découragement , qu’on se crut un mo-
ment sur le point de tomber prisonniers
entre les mains des ennemis; mais mes
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exhorlalions ranimèrent cette poignée de
mariniers et do soldats, que le sort avait
épargnés : ils reprirent vigoureusement les
rames, nous déployâmes notre drapeau et
nous regagnâmes le mouillage en dépit de
trente chaloupes ennemies qui nous poursui-
vaient et faisaient fondre sur nous, avec
leurs obuses , une grcMc de balles et de mi-
traille. Plusieurs bâtiments, détournés par
la violence des courants, avaient pris d’au-
tres directions et mampièrent ainsi , malgré
eux, le but que S. M. s’était proposé, en
ordonnant qu’on fit voile. La petite flotte
en souffrit beaucoup; et si des chaloupes
ne prirent pas une part active au combat,
cela n’empècha pas que l’on ne ramenât au
port un grand nombre de blessés. ]\furat
avait examiné attentivement avec sa longue-
vue ce qui s’était passé au sein de la mêlée :
voilà pourquoi, dans son impétuosité fran-
çaise , il envoya à la marine le lieutenant-
général Aimain et le prince de Cariati , son
aide de camp , pour s’assurer quel était le
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commandant de cette section qui, seule,
avait bravé tant de dangers, ou plutôt le nu-
méro de la chaloupe qui, s’écartant des au-
tres, étaitallée droit au but. Dans leur enthou-
siasme militaire les deux ofliciers généraux
montent à bord d’un bateau et , ramant de
leurs propres mains , ils nous abordent au
moment où nous lavions le pont du navire
tout couvert de sang. Les cris des blessés
m’avaient profondément ému; je me sen-
tais accal)lé sous le poids de ma douteur.
Le chef de rélat-major et le colonel Cariati
s’approchèrent de moi, et le premier me
parla ainsi : « Le roi est content de vous ;
il veut vous voir.... Il faut vous habiller et
nous suivre — \oila des chevaux qui nous
attendent sur la plage.... » M. Bougourd
vint à bord, et commença à haranguer en
ma fiiveur , faisant observer au général les
titres que j’avais à une récompen.se , d’abord
pour avoir toujours fait mon devoir, en
second lieu pour avoir renoncé à toutes
les commodités du toit paternel, afin de
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voler, de mon plein gré, au champ de ba-
taille. Il est vrai qu’à cet âge mon fanatisme
était celui de la guerre; mais que je me
suis repenti pins tard d’avoir entrepris un
métier qui, en temps de paix, est si peu
estimé , surtout dans les petits états où le
caprice et le pouvoir de certains chefs va
dépréciant et avilissant les officiers de mé-
rite. Triste condition des rois et des repré-
.sentanls d’un état ! Les princes, quelque
prévoyants qu’ils soient, se trouvent dans
l’impossibilité de tout connaître par eux-
niémes : c’est pour cette raison que le plus
souvent les amis de la vérité, de l’ordre et
du souverain sont rélégués loin de lui !
Nous montâmes donc à cheval avec le brave
et bon Bougourd, et nous nous dirigeâmes
vers le camp de Piale où le roi était au
bivouac. Inexprimable fut alors ma joie :
à chaque pas les Français se groupait autour
de moi pour me féliciter. Quand un jeune
soldat voit la fortuue sourire à ses premiers
faits d’armes , mémorable en est le sou-
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venir , tant à cause de la violence qu’on
doit se faire pour s’accoutumer au feu des
bataillons , que par les résultats de ce pre-
mier élan. Nous arrivâmes enfin sur l’es-
planade où le roi nous attendait à la tête
de son état-major et de ses ministres. Mon
cœur palpite encore au souvenir des com-
pliments flatteurs que m’adressa ce prince
infortuné. « J’ai fait mon devoir, répondis-
je , mais je dois recommander à la bienveil-
lance souveraine M. de Nuuzio qui, bravant
la mitraille et les bombes ennemies au fort
du combat, volait de toutes parts prodi-
guant ses soins aux blessés avec un zèle de
feu et une humanité indicible. » Le héros
français prend alors la croix des deux Siciles,
l’attache de ses mains à ma boutonnière et
me nomme enseigne de vaisseau. Le chi-
rurgien de Nunzio ainsi que le pilote reçu-
rent la même décoration ; les sous-officiers
et soldats eurent aussi leur gratification.
Mais il n’est point de rose sans épines : aussi
un sentiment bien pénible vint -il troubler
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la joie de ce beau jour; c’est le spectacle
du mécontentement que produisit sur une
partie des ofiiciers de la marine cette gé-
nérosité de Murat à notre égard. Défié en
duel , je dus me mesurer avec un commis-
saire de marine; ainsi j’appris à ces malveil-
lants que , malgré la fraîcheur de mon âge,
je pouvais soutenir une attaque personnelle.
Le roi le sut et les hommes d’honneur en
furent indignés. Aussi en dedommagement
fus-je invité parfois à la table des généraux
français Dery et Lavoguyon, et presque tous
les jours à celle des olTiciers de cette formi-
dable armée commandée par le comte de
Grenier. Ces circonstances m’apprirent à con-
naître le caractère d’une partie des militaires
à Naples, et la suite n’a que trop justifié mon
premier jugement. Un pareil événement me
révéla la connaissance de la perfidie humaine;
je résolus en conséquence de m’isoler , de
me tenir toujours sur mes gardes et telle
fut dès-lors la règle de ma conduite.
La campagne étant terminée, au bout de
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six mois , nous rentrâmes à Naples. Les
chefs du corps royal de marine n’avaient
pas encore saisi l’occasion de m’envoyer les
lettres-patentes du grade qui m’avait été
conféré dans l’ordre du jour de l’armée :
ordre ([ui exposait brièvement ma conduite
militaire dans cette première occasion. Je
résolus de me taire, en confiant au temps le
soin de me rendre justice. En effet, allant
un jour en promenade du côté de la ban-
lieue de S. Mario, degli angioli, je rencontrai
Murat en calèche , qui s’en allait visiter tes
baraques qu’on avait construites pour l’ins-
truction de l’armée , accompagné de ce
môme général qui s’était présenté à mon
bord après le combat dont j’ai parlé. Grand
fut leur étonnement quand ils me virent
habillé en bourgeois. Je m’arrêtai à dessein
comme pour leur présenter mes respects,
et je sentis renaître en moi l’espoir que
nourrissait ma conscience et mon amour-
propre.
Deux jours après, un huissier du minis-
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tère de la guerre me présenta une dépêche
dont voici la teneur :
« Le ministre de la guerre et de la ma-
rine invite M. le lieutenant D. F. à se
rendre auprès de lui au plus tôt possible.
Signé : Daure. »
Comment faire? Je n’avais d’autre uni-
forme que celui de garde-marine. Je m’ha-
bille de mon mieux; je cache sous une
redingotte le déficit de mon costume; je
monte en voiture et vais me présenter au
au cabinet de S. E.
« Eh bien, Monsieur, me dit -il, le roi
m’a chargé de vous prévenir qu’il vous a
nommé lieutenant dans le premier régiment
d’artillerie marine... J’ai donné mes ordres
au colonel de ce corps royal... Ayez soin
de vous distinguer toujours... Le roi s’in-
téresse beaucoup à votre sort. »
Comblé de joie , je remerciai le ministre
et l’assurai que j’aurais fait , de mon côté ,
tous mes efforts pour correspondre aux gé-
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néreuses intentions de S. M. , par ma per-
sévérance dans l’accomplissement de mes
4evoirs. Je rentrai précipitamment chez moi
et je fis part à ma mère de l’heureuse nou-
velle. Le bruit s’en répandit dans la ville;
les uns voyaient avec plaisir ce présage
d’une brillante . carrière ; d’autres , jaloux
de mon sort , cherchaient à me déprécier ,
attribuant cette circonstance h la fortune et
non à la valeur ; et telle était la pensée du
plus grand nombre. Je connaissais déjà la
trempe de mes détracteurs; ainsi j’affectais
de les mépriser, et je prenais des allures
stoïques contraires à mon âge et à mon ca-
ractère. Je me présentai au colonel : il parut
mécontent que , sans avoir été proposé par
lui-môme , je me fusse permis , en vertu
d’une ordonnance souveraine, de me mettre
à la tête de tous les lieutenants du régiment
qu’il organisait. Il me dit avec un sang-froid
affecté : « Le roi pouvait bien vous faire
encore général. « Je répondis que ces gra-
des étaient réservés aux colonels et non aux
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gardes-marines. Il est à remarquer que le
colonel P... sauta des grades les plus mo-
destes h celui de lieutenant- général, et
môme d’inspecteur-général de ce corps fa-
cultatif, sans avoir jamais senti l’odeur de
la poudre. Il était du nombre de ces êtres
aventureux (jui , à cette époque surtout ,
s’élevèrent tout à coup du minimum au maxi-
mum des grades en milice , et qui se si-
gnalèrent, dans les dernières campagnes,
comme traitres au roi et à la nation. C’est
à ces hommes que sont dus tous tes malheurs
qui planèrent , en 1 81 4 et 1 81 5 , sur l’ai’mée
de Naples. Murat croyait se faire des amis
et enfanter des héros à la patrie en prodi-
guant les grades et les honneurs à des hom-
mes qu’il croyait les plus inlluents et les
plus capables de réussir; mais il manquait
de tact et de discernement. Triste sort !
l’Achille de l’armée française paya bien cher
sa bonne foi et sa magnanimité. Le colonel
de mon régiment se vit réduit à faire bonne
mine en mauvais jeu , et je m’occupai du
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service tout en résistant à son despotisme.
Le roi et l’armée entière me connaissaient;
ainsi je n’avais pas lieu de m’en inquiéter.
Mes collègues cherchèrent à tirer parti de la
jalousie de certains chefs contre moi ; de là
des chicanes et de nouveaux duels presque
indispensables en pareil cas.
Dans ma seconde campagne je pris le
commandement de l’artillerie d’une division
qui devait rester en croisière sur les côtes
de la Calabre , afin de protéger le transport
des bois de construction (ju’on préparait
pour le service de la marine royale. Diflicile
et scabreuse était cette mission; car tous
les jours, quand le vent était frais, nous
devions placer la poupe sur le sable , et , à
l’aide des batteries de terre, attaquer les
marins anglais qui brûlaient et pillaient
tout ce qu’ils rencontraient sur leur pas-
sage. Une agitation continuelle et les tristes
elTcts de la mitraille ennemie découra-
geaient les équipages*, et ce n’était qu’avec
de grands efforts qu’on parvenait à leur
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faire recommencer le combat ; mais cela ne
nous empêchait pas de protéger , tant que
possible, le commerce intérieur du royaume.
Telle fut la première vengeance du colonel :
il pensa se défaire ainsi de mon importune
présence; mais l’innocence était mon égide,
et après avoir bravé mille dangers je revins
sain et sauf de cette croisière. Le comman-
dant de la division était le capitaine de fré-
gate Barbara, maltais, dont les fastes ne
sont que trop connus à cause de sa rudesse
et de sa trahison contre Murat aw Pizzo,
lorsque, oubliant les immenses bienfaits
dont l’avait comblé le roi , il le mena, sous
de faux prétextes, à la fusillade. Ce mons-
tre eut avec moi bien des débats; car il ne
voulait reconnaître ni ordre ni discipline ,
et il serait mort de mes mains si la média-
tion du général Fressinet, qui commandait
les troupes dans la province de Tropea en
Calabre, et un reste de respect pour un
indigne pirate qui jouait le rôle de comman-
dant , n’avaient retenu mon bras. Mais tel
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— 25 —
était le destin de l’infortuné Murat , et son
Judas devait mourir comme il avait vécu;
car, ne trouvant plus aucun asile après la
terrible chute du roi, il fut poignardé en
Corse , où ses assassins entrèrent par une
croisée de son appartement afin de ne pas
laisser échapper leur victime.
Revenu de ma campagne à Naples, j’avais
force ducats a mon service, et je ne sus pas
modérer ces courses juvéniles qui énervent
le corps et laissent de cruels repentirs dans
un âge plus avancé.
La garnison n’était pas un beau champ
pour moi. Il sullisait de manquer cinq mi-
nutes à l’appel pour me voir honoré d’un
ordre d’arrêts pendant 24 ou 48 heures ,
selon qu’il plaisait aux fidèles interprètes
de M. le colonel.
Je fis ma troisième campagne sur le vais-
seau Capri , où j’eus à lutter contre un capi-
taine ivrogne et stupide : il avait servi dans
le royaume d’Italie, et l’on ne pouvait lui
refuser le mérite d’avoir fait partie de cette
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— 26 —
honorable armée , sans lalenl : brillante
prérogative !
Ce service commença à me fatiguer, parce
que notre marine était passive, et dans l’état-
major prévalait plutôt l’intrigue que la bonne
conduite ; bien plus , le mérite servait d’ai-
guillon à la cabale et à la malveillance. La
bizarrerie de Murat, le luxe de l’armée na-
politaine , la licence dans la discipline et le
manque d’union entre les officiers produi-
saient dans mon esprit des tiraillements
dont je ne pouvais me rendre compte. Les
sociétés secrètes progressaient, surtout par-
mi les militaires : j’ignorais cela; mais, dans
la suite , j’en fus victime sans le savoir.
Cependant la marche qu’avaient prise les
affaires accélérait la chute de Napoléon. Le
cri de guerre retentissait de toutes parts.
L’armée napolitaine partit pour la frontière ,
et l’on établit un quartier-général à Ancône.
Dans le régiment où je servais , les élèves
du collège militaire furent incorporés au
bataillon de guerre, et mov, qui étais le seul
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décoré parmi les lieuteuanls, on me laissa
au dépôt : j’étais déjà le plus ancien de la
classe. Ne pouvant supporter cet affront , je
résolus de suivre le bataillon de guerre ou
de demander à sortir du corps. Le lieute-
nant-colonel qui m’aimait beaucoup ne vou-
lait pas me perdre ; mais le chef de bataillon
r engagea à en voye r ma demande au minis tre .
« En effet, disait le bonCardosa, aujourd’hui
colonel commandant le parc d’artillerie de
marine , comment voulez-vous qu’un jeune
homme ardent, au commencement de sa
carrière, reste parmi les tortues d’un dépôt,
parce que cela plaît au colonel? Voilà le cas
de changer de maître. »
Je me présentai à Magdonald qui revenait
de la campagne de Russie avec le grade de
maréchal de camp , et fut élu immédiate-
ment ministre de la guerre ; il me connais-
sait , et se prit à sourire en apprenant les
indignes traitements dont j’avais été victime
de la part de l’excellent colonel P... « Vous
êtes un ancien lieutenant, me dit-il, et le
— 28 —
grade de capitaine vous est dû ; mais je ne
puis donner cet exemple ; car alors tous les
officiers des corps facultatifs , pour devenir
capitaines, passeraient à la ligne, et les
corps d’artillerie et du génie resteraient
ainsi dépourvus Il faut trop de choses
pour former un officier de ces corps. »
Magdonald était chef de bataillon du
génie, et il partit pour la campagne de
Russie avec le grade de colonel du 7”' ré-
giment de ligne , autrement appelé le Royal
Africain; car il était composé en grande
partie de Maures. A lû tête des bataillons
choisis de l’armée, il se couvrit [de gloire
dans cette expédition : c’est pourquoi il fut
élevé si rapidement. Je lui citai son propre
exemple pour l’engager à réaliser mes dé-
sirs.
Il me dit enfin : « Je vous destinerai pour
le moment au 5“' régiment de ligne , qui se
trouve à Ancône; partez et l’on vous expé-
diera , par la poste courante , le brévet de
capitaine . »
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— 29
Je dirige sans délai mes pas vers Rome ,
accompagné du commandant O... du même
corps, homme d’une très-haute taille et déjà
âgé; il était le plus ancien du régiment, et
c’était là son seul mérite. Par la conversation
que je liai avec lui , je commençai à m’aper-
cevoir que , si tous les officiers de l’infan-
terie lui ressemblaient, ils en savaient bien
peu, et l’on devait peu attendre d’eux;
cette pensée me préoccupait , et il me sem-
blait qu’une voix intérieure me reprochait
le tort que j’avais eu de changer de corps;
mais à cet âge on méprise tout. Nous con-
tinuâmes notre voyage, et nous passâmes
par Foligno pour nous rendre à Ancône.
Indicible fut notre surprise en traversant
cet état ; toutes les grandes routes, outre
qu’elles étaient unies et soignées , offraient
aux regards un riant contraste d’espaliers
de myrte assez bien arrangés. A de petites
distances on rencontrait des temples arti-
ficiels et des arcs de triomphe parfaitement
exécutés. Ce spectacle m’inspirait des idées
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— 30 —
romantiques : j’étais trop jeune alors pour
comprendre que ces ornements étaient l’ex-
pression unanime du vœu d’une population
qui , durant tant d’années , avait gérai sous
le poids des armes étrangères , et qui fêtait
le retour du chef de l’église , du souverain
de Rome. Et cependant apres tant de leçons
que nous, italiens , avons reçues , nous ne
savons ni renoncer a la mode de vouloir
nous gouverner par des lois étrangères , ni
cesser d’attendre et d’espérer la liberté de
l’influence des autres peuples. Grâces à
Dieu ! l’humamlé est trop avancée dans le
développement social pour ne pas recon-
naître, que mieux vaut pour nous conserver
cette forme de gouvernement qu’appellent
tyràhnique les hommes qui , jaloux de notre
bien-être et de l’abondance au sein de la-
quelle nous vivons , voudraient nous faire
prêter l’oreille à ces principes subversifs qui
ne tendent qu’à nous faire changer de maî-
tres. Ce conflit d’événements qui, depuis
tant d’années, agitent ^^àlrope, devrait
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«
bien faire comprendre aux gens que les
moyens réels d'existence que nous offre
notre commune mère , sont préférables à de
vaines théories et aux protections que pro-
met l’avidité étrangère pour s’emparer de
l’Italie , de cette terre qui , de tout temps ,
fut l’objet des visées des peuples d’outre-
monl.
Revenons à mon voyage : en arrivant à
Foligno , nous rencontrâmes le Pape qui
retournait de sa prison ; immense était la
multitude qui se pressait sur les pas du pon-
tife , et nous dûmes attendre deux heures
avant que le cortège qui paraissait s’avancer
par une force magique , eût débarrassé le
passage. Jem’amusais à examiner attentive-
ment la variété des objets et des costumes
des deux sexes, jusqu’à ce qu’enfln nous
réussîmes peu à peu h nous ouvrir un che-
min à travers les bénédictions que le saint
Père prodiguait, à chaque pas, à cette
nombreuse population. Nous arrivâmes à
Ancône : il y avait grand mouvement sur
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cette place; les trains d’artillerie parcou-
raient les rues, et les soldats des divers
corps se confondaient avec les caissons et
les pièces de canon , formant un contraste
imposant. Tout cela égayait ce séjour et ca-
chait sous des dehors enchanteurs l’igno-
minie réservée à cette armée malheureuse !
A peine eûmes-nous mis pied à terre que
mon compagnon de voyage disparut; je pris
mon logement et me présentai ensuite au
colonel du régiment ; c’était un déserteur de
l’armée de Sicile que Murat avait accueilli
en lui donnant ce commandement. Que de
contradiction ! Je ne sais comment un prince
peut se faire illasion jusqu’à attendre des
services d’un traître. Et cependant toutes
ces erreurs , en accélérant la chute de
Murat, entraînèrent avec elles les causes
de divisions et de honte qui ont flétri les
armées napolitaines. Il est à remarquer qu’en
pareilles rencontres on a toujours pris la
partie pour 1e tout. Quelle était la faute des
soldats et des braves olïiciers , si les chefs
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ne s’entendaient pas entre eux , à cause de
la jalousie qui les animait les uns contre les
autres, tandis qu’ils étaient tous d’accord
pour ne pas se battre? Qu’on examine donc
impartialement la chose , et l’on verra que
Murat fut imprudent et non de bonne foi
envers ses peuples , puisqu’après avoir
manqué à l’auteur de son élévation , à ce
Napoléon qui le lira du néant, pour le faire
asseoir sur le trône de Naples , à l’exemple
de Bernadette, il voulut, à force d’intrigues,
rester souverain des deux Siciles , et à quel
titre î sans offrir au peuple aucune amélio-
ration. Ne devait-il pas proclamer la cons-
titution , et peut-être alors tous ceux qui
projetaient la réforme , et qui sortirent en
campagne pour le trahir, gagnés par les
avantages que peut offrir un nouveau sys-
tème administratif, se seraient battus en
braves pour la cause de leur souverain.
Ceux-ci néanmoins ne sont point excusables
aux yeux de la postérité ; car ne devaient-
ils pas protester et forcer le prince étranger
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— 34 —
à lixer les bases de son gouvernement ,
plutôt (jue de le suivre comme traîtres et
fouler aux pieds l’honneur de la nation?
Cette conduite criait vengeance , et la pos-
térité les jugera comme indignes de pardon.
Ce ne fut pas certes par attachement aux
anciens rois de Naples que l’armée se dé-
banda en 1815.
Le colonel du 5' régiment qui contenait
les mécontents , afin de faire valoir ce mé-
rite à temps opportun , me reçut d’une ma-
nière un peu louche et me fit un crime
d’avoir quitté la marine; « car, me dit-il,
en vous plaçant par l’ancienneté du grade
au-dessus de tous les lieutenants du réai-
ment, vous allez vous faire des ennemis. »
L’ancienne amitié qui liait cet amphibie
h mon père, fidèle ami des Bourbons, ne
suffit pas pour me procurer auprès de lui
un accueil favorable. Dans cette division un
rien enfantait des cartels : c’est ainsi qu’une
dispute me lança sur le terrain avec le plus
ancien lieutenant , et si je blessai mon ad-
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versaire , il sut de son côté prendre sa re-
vanche. Je relatai le fait h mon père afin
qu’il en informât le ministre de la guerre ,
le prévenant que je ne voulais pas rester
dans un corps où j’avais été si maltraité; que
j’avais rcsj)oir de guérir ma blessure en at-
tendant de Naples un ordre qui me permit
d’y rentrer. Le chirurgien-major du régiment
me traita avec la plus grande exactitude;
cependant, après avoir été alité durant
trente-cinq jours , je fus encore réduit à
recourir aux béquilles pour me promener.
Quelle fut la conduite du colonel et des offi- •
ciers pendant mon infimité? C’est ce que je
dois couvrir sous le voile du silence; car
les adversités d’un individu ne doivent ja-
mais servir d’élément à la honte de quelques
membres d’une nation. Le docteur me dé-
livra le certificat de convalescence pour me
rendre h Naples, afin d’y faire usage des
bains chauds, qu’il jugea nécessaires pour
fortifier ma jambe. Je demandai et j’obtins,
non sans peine, ma feuille de route pour
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Ischia ; le colonel dut céder à la circonstance.
On sut que le minislre m’aimait et que mon
père exerçait une grande influence.
Je partis d’.4ncône avec un négociant,
propriétaire de la voiture : ainsi, il nous
fut facile , en relayant à chaque poste , de
parcourir les Abru/.zes et de nous rendre à
Naples, quoiqu’à travers des routes impra-
ticables et souvent interrompues; mais le
carrosse était léger et les chevaux assez
bons. A Naples je m’arrête chez ma sœur,
la baronne de Scotti, afin d’éviter la ren-
• contre de mon père, qui m’aimait à la vérité,
mais son formulaire immuable était de me
blâmer; car il voyait de mauvais œil le gou-
vernement , et peut-être y découvrait-il la
ruine future de ses enfants dans le cas d’un
changement de régime : il n’avait que trop
raison. Le lendemain il parut chez sa fille
et me dit : « Pourquoi ne pas venir à la
maison?... Craignais-tu peut-être que je ne
blâmasse ta sortie de la marine?... Je ne
l’ai jamais approuvée ; mais un soldat d’hon-
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neur ue duit pas supporter la honte de
languir au dépôt , et je suis charmé que tu
aies prouvé au colonel P..., sous ses propres
yeux, que Murat n’a pas décoré un lâche
sur le champ de batail[p. » Ce fut la pre-
mière fois que mes larmes se mêlèrent aux
siennes; il m’embrassa et me dit ; « Je
t’attends; ta mère n’a pas eu de repos , et
Dieu sait quelles furent ses angoisses depuis
ton départ pour le quartier-général. » Je
courus avec lui vers ma mère, et, après
avoir satisfait à ma tendresse filiale , je son-
geai à me présenter au ministère. J’avais
jeté mes béquilles; mais je boitais encore
un peu : ainsi je remplaçai ce meuble de
sinistre augure par la gravité d’un bâton de
chanoine.
Après ces préparatifs je monte en voiture
et vais me présenter à S. E. Je le trouvai
au fond d’une salle , conversant avec quel-
ques officiers supérieurs; il m’aperçoit,
quitte les autres, vient à ma rencontre en
me tendant la main et me dit : « Vous bok
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tez? » Je ne répondis rien à sa demande
et lui présentai le certificat du chirurgien.
Il le lut et ajouta : « Allez à Ischia , et, afin
que vous retiriez votre solde, j’ordonnerai
au colonel du 9“' vie ligne de vous mettre
provisoirement en subsistance dans le ré-
giment à ses ordres. Le dépôt se trouve à
Procida; aussitôt que vous serez guéri, le
trajet vous en sera facile. En attendant on
vous expédiera votre brevet de capitaine
que vous auriez déjà reçu, si S. M. n’avait
suspendu toute espèce de promotion , jus-
qu’à ce qu’on remette en activité de service
les officiers revenus des prisons d’ .Angle-
terre. .4vant de partir, présentez-vous au
colonel Rodriguez , chef du personnel, à qui
j’ai déjà parlé de vous. » Sans ajouter une
syllabe je passai à l’instant même chez M. le
colonel Rodriguez qui me dit : « Votre fer-
meté et le courage que vous avez déployé
dans une circonstance si périlleuse vous ont
concilié l’estime des braves officiers de l’ar-
mée... Dans un mois au plus tard, vous
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recevrez le diplôme de capitaine ; votre père
vous en donnera le premier avis; car nous
sommes amis et nous nous voyons souvent. »
Ce triomphe atterra l’engeance des réfor-
mateurs qui , avec l’activité de sa corres-
pondance , lançait ses perfides décrets pour
me ravir la paix dans cjuelque corps que je
me présentasse. Je rentrai en famille et ne
songeai plus qu’à partir pour Ischia; car
la saison était alors plus que propice. Je
dépose mes équipages militaires , et , en
pourpoint de laine , chapeau rond et escar-
pins à la petit maître , oubliant mes vicissi-
tudes passées , je dispose tout pour me
rendre dans cette île si fertile et si riante
qui forme une partie de la frontière du côté
de la mer , dans le golfe de Naples. En été
elle est très-fréquentée par les étrangers qui
s’y réunissent de toutes parts, et les bai-
gneurs , outre l’avantage d’y améliorer leur
santé, goûtent, à Casamicciola , les plai-
sirs d’une intéressante conversation au sein
d’une brillante société. En arrivant sur ces
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bords eachaïUés j’y trouvai une foule de
roussins d’Arcadic élégamment caparaçon-
nés , qui attendaient les voyageurs avec
leurs piétons respectifs. Je charge sur l’un
mon bagage, je monte sur l’autre et me
% dirige vers Casamicciola, pays peu éloigné
de l’établissement des eainf , local commode
et magnifique , fondé par le plus grand roi
bourbon dont Naples puisse se vanter ,
Charles III, qui voyait tout et pensait à
tout pour le bonheur de son peuple. Parmi
les innombrables monuments qui immorta-
lisent sa mémoire, il n’oublia pas les infirmes
qui se transportaient dans cette île. Il serait
trop long d’énumérer tous les titres de ce
prince à la reconnaissance de la patrie. Le
général Collctta et beaucoup d’autres auteurs
ses devanciers , ont rendu justice à sa ma-
gnanimité, à son génie, à son humanité. Je
louai une maisonnette peu distante de l’éta-
blissement; car le local était encombré
d’infirmes chroniques, et je répugnais à me
confondre, dans la Heur de mes années.
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avec ces tristes victimes d’uue putréfaction
qui leur fait purger dans cette vie des désor-
dres qui leur seront peut-être escomptés
dans l’autre.
Je comptais alors à peine dix-neuf ans,
et, quoique j’eusse grandi dans le malheur,
l’âge dominait mon esprit : c’est pourquoi
je fuyais les incommodités auxquelles la
vieillesse est sujette , quoique j’eusse ap-
précié toujours les conseils de l’expérience
acquise par les années.
Il est merveilleux le spectacle des sour-
ces de ces eaux qui sortent bouillantes, par
divers canaux , du sein de la montagne , et
destinées à de nombreuses guérisons. Cha-
que robinet a sa cathégorie; ainsi les ma-
lades apprennent la manière de s’en servir,
et le concours du médecin devient presque
inutile. Je iis usage, pendant quelques jours,
des bains dits de santé et je bus de l’eau
destinée à cet effet. On me prescrivit les
douches chaudes , et j’observai avec éton-
nement que cette eau merveilleuse a la
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puissance de ronger les excroissances d’une
blessure et d’en élaguer toute la substance
charnue , de l’applanir, de la renforcer, en
sorte que la partie alTectéc ne s’en ressent
presque plus. Chaque matin j’allais subir
l’épreuve des douches sans négliger de boire
de temps en temps les eaux minérales pur-
gatives; ainsi, dans trente-cinq jours d’une
cure assidue, j’atteignis le but proposé.
On allait passer la veillée tantôt chez un
riche propriétaire de Foggia , royaume de
Naples, tantôt chez M. Gnecco, riche ban-
quier, où l’on jouait alternativement le
pharaon et un autre jeu italien appelé le
zeichimlto qui , à mon avis , est
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