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Vallat, Froncois, (2000), La Dame faite prisonniere Babylone, Akkadika 123, 137- 144.Télécharger gratuit La Dame faite prisonniere Babylone pdf
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La Dame faite prisonniere a Babylone
Francis Vallat*
Dans l'inscription elamite d'une stele de Silhak-Insusinak l , roi d'Elam au Xlle siecle,
apparait une deesse appelee Beltiya qui est qualifiee de : za-na Te-en-ta-ar za-ap-pd-an-ri.
La deesse d Be-el-ti-ia est une divinite mesopotamienne veneree en Elam. Son nom, en
accadien, signifie «ma Dame» dans le sens de «ma deesse ». C'est exactement le meme sens
de «Dame» que recouvre le mot elamite zona, premier element de l'epithete. Ainsi, la deesse
Masti est dite zona Tarrisa : « la Dame de Malamir » 2 . Sur le sens de ce mot, il existe un
accord parfait.
La premiere difficulte surgit avec Te-en-ta-ar que la plupart des elamitologues 3 , a la
suite de V. Scheil, considerent comme une graphie elamite de TTN/rm qui represente un des
noms de Babylone 4 . Cependant, pour W. Hinz et H. Koch (EIW 306), tentar est un adjectif
qui signifierait «segenvoll, huldvoll». On verra lequel de ces deux choix s'impose.
Mais le probleme le plus epineux concerne F analyse de za-ap-pd-an-ri, une forme qui a
ete diversement interpretee. V. Scheil 5 Hsait za-ap-pd i Ri-me-is-si mais aucune divinite du
nom de Rimessi n'est connue. F.W. Konig 6 traduit zappanri par «Zins leistet». II est partiel-
lement suivi par W. Hinz et H. Koch qui rendent la forme par "Unterjocher (sg.), einer der
Tribut auferlegt (?)» et par F. Malbran-Labat qui traduit zappe duh par «j'ai re9U leur tri-
but» 7 tandis que F. Grillot traduit 1' ensemble par «Beltia la dame qui soumet Tentar
(= T1N.TIR [Babylone]) » 8 .
Toute 1' etude repose done sur rinterpretation de zappanri : d'une part, sur le sens du
verbe zappa/i- et, d' autre part, sur 1' analyse de cette forme verbale.
Le sens du verbe zappa/i- ne devrait pas faire probleme puisqu'il est atteste dans les
trois versions de l'inscription de Darius a Behistun (DB 50 : 43) :
CNRS, Paris. Cette recherche s'inscrit dans le cadre du programme Poles d'attraction interuniversitaires
(P5/14) pour le compte de l'Etat beige, Services federaux des affaires scientifiques, techniques et culturelles.
EKI 47 § 30.
EKI 76 §§ 4, 7.
G.G. Cameron, 1936, 126 n. 36 ; F.W. Konig, EKI 47 § 30 ; F. Grillot, 1983, 2 ; M.-J. Steve, 1987, 33, n° 16.
RGTC 3, 32 ; RGTC 5, 48-49 ; RGTC 8, 45-55, etc.
MDP 5, n° LV, p. 87.
F.W. Konig, EKI 47 § 30 et p. 212.
F. Malbran-Labat, 1995, 140.
F. Grillot, 1983, 2, n. 4.
Akkadica 123 (2002), pp. 137-144. ^3 1
Akkadica 123 (2002)
Version elamite : zaumin Ahuramazda-na Mindaparna Bapili halpis irsekki [tassup a]ppin
zappis « Par la grace d'Ahuramazda, Mindaparna tua beaucoup de Babyloniens et en fit d'au-
tres prisonniers ».
La version vieux-perse de ce passage dit : « grace a Ahuramazda, Vindafarnah battit les Ba-
byloniens et les emmena enchaines » 9 .
Quant au texte babylonien, il precise: «c'est sous l'egide d'Ahuramazda qu'Umintaparna
vainquit les troupes babyloniennes hostiles et fit prisonnieres toutes les troupes qui, parmi
elles, (etaient) ennemies» 10 .
Le sens de « faire prisonnier » pour le verbe zappa/i- semble ainsi assure. Par ailleurs, il
est curieux de constater que W. Hinz et H. Koch traduisent le zappis de ce texte par «er
nahm gefangenen» {EIW 1283), les zappapep par «Gefangene (pl.)» et zabbaha par «ich
habe gefangengenommen » {EIW 121 A) mais qu'ils refusent ce sens pour I'epithete de Beltiya!
L' analyse grammaticale de cette forme verbale est susceptible de deux interpretations.
La premiere, celle qui est generalement adoptee, est de considerer qu'il s'agit de la 3e per-
sonne du singulier de la conjugaison HI: «il fait / fera prisonnier ». Cette interpretation est
difficile car on ne voit pas comment une deesse veneree a Suse peut « soumettre» Babylone.
II faut done recourir a la deuxieme interpretation possible de cette forme verbale, inter-
pretation qui n'a jamais ete proposee jusqu'ici. Au lieu de considerer que zappanri est une
forme de la 3e personne de la troisieme conjugaison, on peut prendre zappan pour le participe
inaccompli passif et le sufQxe -ri du delocutif de Famine renvoyant a zana «la Dame». Nous
aurions done zappan qui signifie «fait prisonnier / faite prisonniere ». En tenant compte du
fait que le locatif n'est pas forcement marque en elamite, T epithete peut done etre traduite:
«la Dame faite prisonniere a Babylone ».
Une autre epithete elamite attribuee a Insusinak u presente une construction grammati-
cale parallele a celle-ci et vient done renforcer cette nouvelle interpretation. Le dieu est dit :
Insusinak temti kukunnum lahakra « Insusinak qui (est) le seigneur de la mort dans le temple
haut».
Ici, lahakra n'est pas une troisieme personne de la deuxieme conjugaison du verbe- la-
ha- «mourir», mais un participe accompli passif pris substantivement suivi du suffixe du
delocutif renvoyant a temti.
La traduction etant ainsi assuree, le probleme est desormais d'identifier cette deesse
faite prisonniere a Babylone. Cette epithete fait immediatement penser a Assurbanipal qui,
dans sa narration du sac de Suse, affirme qu'il a libere «La deesse Nanna, qui depuis 163 [5
annees] etait irritee (parce qu') elle etait allee fhabiter en Elam] un lieu in[digne d'elle] » 12 .
12
P. Lecoq, 1997, 206. R. Schmitt (1991, 67) traduit cette phrase par: «by the favour of Ahuramazda Inta-
phernes slew the Babylonians and led (them) in fetters. »
10 F. Malbran-Labat, 1994, 118 (§ 39).
11 F. Vallat, 1997.
J.-M. Aynard, 1957, 58-59, Col. V 72-74 - Col. VI 1-12. Cf. egalement R. Borger, 1996, p. 242 oii il fournit
trois chiffres differents pour la duree du sejour de la deesse en Elam : 1635 ans (T § 15), 1535 ans (F § 34) et
1630 ans (A § 59) selon les differentes versions.
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Fr. Vallat, La Dame faite prisonniere a Babylone
On peut des lors se demander si la «Dame faite prisonniere a Babylone » du texte de
Silhak-Insusinak et la deesse Nanaia d'Assurbanipal ne forment pas deux aspects d'une seule
et meme divinite. Certains elements de la litterature suso-elamite permettent de le penser.
Si Nanaia 13 , hypostase d'lnanna/Istar 14 , est bien connue par la litterature mesopota-
mienne, il n'en va pas de meme pour Belti/Beltiya qui est rarement attestee en Elam.
Cependant differents elements permettent de supposer que Belti/Beltiya represente bien
la grande deesse mesopotamienne. Tout d'abord, son nom est accadien et il doit dissimuler
une deesse d'origine mesopotamienne. Ensuite, en Mesopotamie, Belti peut etre un nom
d'lnanna/Istar 1S . Enfm, deux textes de l'epoque des IgihalMdes autorisent d'identifier Belti
avec Inanna/Istar.
Le premier est une agate de Humban-umena (M.-J. Steve 1987, n° 4) dont l'inscription
en accadien se terrnine par a-na Tl-su a-na d MUS NIN[= belti\-su is-ru-uk «Pour sa vie, a
rnanna sa Dame, il a voue (ceci)».
Le second, encore plus interessant, est d'Untas-Napirisa (M.-J. Steve 1967, n° 45). II
s'agit d'une brique elamite de Tchogha Zanbil qui represente une dedicace pour le temple de
In-na-na be-el-ti ap-pu-ki «rnnana, la Dame d'antan 16 ».
Or, comme aucime autre divinite, dans la litterature suso-elamite, n'est qualifiee de
« Dame » en accadien, on peut raisonnablement assumer que Belti du texte de Silhak-Insusi-
nak est bien Inanna/Istar et qu'elle peut done representer la Nanaia d'Assurbanipal puisque
Nanaia est un avatar de cette divinite.
On peut meme ajouter qu'a une epoque recente, belti est toujours l'epithete d'lnanna/
Istar sur le cylindre de Nabonide 17 (et qu'elle est toujours veneree a Suse) ou on peut lire :
Istar belet NlM.MA^i rubatim asibat Susfo « Istar, la Dame d'Elam, la reine qui demeure a
Suse».
Dans la litterature suso-elamite, cette grande deesse sumerienne joue un role particulier.
Tout d'abord, elle apparait comme la divinite paredre d'lnsusinak, le dieu poliade de Suse
dont le nom signifie d'ailleurs « Seigneur de Suse» et qui est souvent dit, dans les textes elami-
tes, « le Seigneur de 1' Acropole » (temti alimelu). Dans differents textes, elle est, en effet, appe-
lee la «Dame de l'Acropole» (NIN.URU.AN.NA). C'est le titre qu'elle porte dans l'inscription de
Mekubi mais elle apparait sous le nom de INANNA de l'Acropole ( d MUS.URU.AN.NA) sur des
15
16
Dans la litterature suso-elamite, cette deesse, sous la graphie d Na-na-a, est tres rarement attestee. On la trouve
dans l'onomastique sur deux tablettes de l'epoque des premiers sukkalmah (MDP 18 n° 123 et 124 : Su- A Na-
na-d) et sur deux tablettes achemenides redigees en accadien (F. Joannes, 1990, 174-175). Dans le premier de
ces textes, il est question d'un personnage nomme Man-ki-Nanaia (pour Mannu-ki-Nanaia) et sur le second,
d'un pretre de Nanaia. Par ailleurs, la deesse semble se dissimuler sur une tablette de Persepolis (PF 1794 :
21) dans le nom de Nanitim. La variante Na-na-a-ti-im a permis a J.-A. Delaunay, (1976, 21) de montrer qu'il
s'agissait d'une graphie elamite de l'accadien Nana-iddin.
Si, en Mesopotamie, le nom de la deesse est generalement ecrit syllabiquement Inanna, en elamite, il est
orthographie In-na-na, cf. M.-J. Steve, 1967, n° 45. Au sujet de cette deesse, on peut consulter, entre autres,
C. Wilke, 1976-1980, J.G. Westenholz, 1997 et M. Stol, 1998.
K.L. Tallqvist, 1938, 330.
M.-J. Steve (1962, 61) a propose «Dame d'antan » en rapprochant appuki de appuka-ta «auparavant, ante-
rieurement». Mais il a abandonne cette hypothese (1967, 85) ou il lui prefere «Dame de grace ». Cependant,
c'est la premiere traduction qui s'impose.
L. Messerschmidt, 1896, 28, Col JJJ, 40-43.
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Akkadica 123 (2002)
tablettes de l'epoque d'Atta-husu (MDP 10, 24 et 32). Malgre ce titre, die apparait rarement aux
cotes d'Insusinak.
Par ailleurs, on constate qu'elle jouit d'un certain prestige a Suse lorsque les relations
entre Elamites et Mesopotamiens sont bonnes mais qu'elle est plutot ignoree dans les periodes
d'affrontement. Ainsi, a l'epoque de Sargon d'Agade, alors que l'Elam constitue une province
de l'empire, de nombreux anthroponymes sont formes avec le nom d'Istar (regulierement ecrit
esi,-tdr) : Nur-Istar, Puzur-Istar, Su-Istar, Iti-Istar, Istar-azua, Istar-dannat, Istar-blti, etc., (MDP
14, passim). C'est de cette epoque que date egalement le bas-relief d'Anubanini a Sar-i Pol-i
Zohab 18 qui represente une Istar guerriere.
Ensuite, quand le prince susien Tan-Ruhuratir epouse Mekubi, la fille de Bilalama
d'Esnunna, celle-ci adresse une dedicace a Inanna ( d MUS) (Malbran-Labat 1995 n° 5) I9 . Sous
Atta-husu, vraisemblablement un usurpateur installe sur le trone de Suse par Gungunum le roi
de Larsa en 1832 20 , plusieurs sacrifices (hatapi) sont executes en l'honneur d'Lnanna ( d MUS),
comme nous l'indiquent les tablettes economiques qui mentionnent la fourniture de moutons
pour ces ceremonies (MDP 10, par exemple n° 5).
C'est encore lors d'un changement de dynastie.du a une intervention mesopotamienne
en Elam que la deesse beneficie d'un regain d'interet.
Tout d'abord, Igi-halki, le fondateur de la dynastie qui porte son nom, est un homo
novus qui a ete installe par Kurigalzu Ier a la suite de son expedition punitive en Elam, expe-
dition destinee a venger 1' affront fait a son pere Kadasman-Harbe par Tepti-ahar, le dernier
souverain des Kidinuides 21 . Igi-halki, dans la seule inscription connue de lui (M.-J. Steve
1987 n° 2), dit que c'est Manzat en tant qu'Istar qui lui a accorde la royaute.
n importe d'ouvrir ici une parenthese a propos de ce dernier texte. II est peu probable
qu'en Elam Manzat soit un des noms d'Istar comme c'est le cas en Mesopotamie 22 . Tout
d'abord, le dieu paredre d'Istar a Suse est rnsusinak alors que celui de Manzat est Simut, le
seul dieu du pantheon a etre qualifie d'«elamite». Ensuite, les deux divinites sont attestees
dans la meme inscription de Silhak-Insusinak (EKI 47).
Manzat est done la deesse elamite qui possede en Elam les attributions (ou certaines
d'entre elles) qui sont l'apanage d'Inanna/Istar en Mesopotamie. H faut done comprendre
que c'est Manzat, en tant qu'Istar, qui a accorde la royaute a Igi-halki 23 . Cette precision est
peut-etre destinee aux accadophones de Suse car ce texte est redige en accadien. n semble
egalement que Manzat joue le role d'Inanna/Istar dans la preeminence de FAcropole de Suse.
En effet, le dieu paredre de Manzat dans les sources elamites est Simut mais ce dieu Simut
peut etre egalement associe a NlN-ali (Belet-ali), la « Dame de la Ville » 24 .
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En dernier lieu B. Hrouda, 1976, avec une traduction de l'inscription de D.O. Edzard.
On peut encore signaler que le predecesseur de Tan-Ruhuratir, Idadu(-Insusinak), sur le bassin qu'il dedie a
Insusinak, dans la malediction finale, evoque Insusinak, Samas, d MUS et Sin (MDP 6, p. 17).
M.-J. Steve, F. Vallat, H. Gasche, 2002, 446.
M.-J. Steve, F. Vallat, H. Gasche, 2002, 459-460.
Par exemple, CAD M s.v. Manzat et W.G. Lambert, 1989.
On sait, en effet, qu'une des attributions d'Inanna/Istar en Mesopotamie est d'accorder la royaute, comme Fa
souligne A.L. Oppenheim, 1977, 205.
Simut et Belet(NM)-ali beneficient d'un temple a Tchogha Zanbil, a Test de la ziggurat, entre celui des Na-
pratep et celui d'M et Sala, cf. M.-J. Steve, 1967, n° 15 et 16.
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Fr. Vallat, La Dame faite prisonniere a Babylone
Ensuite, Humban-umena, le petit-fils d'Igi-halM, voue une agate a « Inanna sa Dame »,
comme son fils Untas-Napirisa construit un temple a Tchogha Zanbil pour « Inanna, la Dame
d'antan». Mais ceci n'a rien d'etrange puisque nous savons, grace a une lettre conservee au
Musee de Berlin (van Dijk, 1986), qu'Untas-Napirisa etait non seulement ne d'une princesse
cassite mais qu'il avait lui-meme epouse une des filles du roi cassite Burnaburias II (1359-
1333) (M.-J. Steve, F. Vallat, 1989). On peut egalement noter que son epouse, Napir-Asu, sur
1' inscription de sa celebre statue, qualifie la deesse de «grande divinite » (napir risarra) et
qu'elle est mentionnee parmi les principales divinites suso-elamites (Napirisa, Kiririsa, Insusi-
nak, Nahhunte).
Mais les relations elamo-mesopotamiennes se degradent avec les Sutrukides. En effet,
Sutruk-Nahhunte, apres avoir epouse la fille du roi cassite Melisihu (1186-1172) revendique le
trone de Babylone au pretexte que plusieurs souverains elamites ont epouse des princessses
cassites. Devant le refus des Babyloniens, il envahit la Mesopotamie ou il met fin au regne de
Zababa-suma-iddina (1158). Mais c'est son fils Kutir-Nahhunte qui met un terme a la longue
dynastie cassite en eliminant Enlil-nadin-ahi (1157-1155). De son cote, Silhak-Insusinak a
mene plusieurs campagnes en Mesopotamie (EKI 54). En outre, la narration de trois d'entre-
elles gravee sur des galets de crapaudines sont encore inedites. La premiere est dirigee contre
Akkad, la deuxieme contre Sippar et la troisieme contre Nippur. Manifestement ce roi nour-
rissait une certaine haine a l'encontre de ses voisins occidentaux. Dans ces conditions, on peut
se demander si l'epithete que Silhak-Insusinak accorde a la grande divinite mesopotamienne
n'est pas volontairement meprisante en faisant remarquer qu'elle a ete faite prisonniere a Ba-
bylone et qu'elle est toujours detenue en Elam 25 . Ailleurs, par le meme roi, elle est simple-
ment dite la « Dame de Babylone » (EKI 44). Et si ce souverain restaure sa chapelle (murti) a
Suse, c'est qu'il doit probablement tenir compte de son opinion publique qui est encore par-
tiellement semitique. Quoi qu'il en soit, apres le regne de Silhak-Insusinak, on ne trouve plus
de trace de cette deesse jusqu'a la fin de l'epoque neo-elamite.
Certains textes de l'epoque neo-elamite HI mentionnent une divinite qui est qualifiee
tantot de «Dame de Suse» tantot de «Dame de l'Acropole», deux epithetes d'Inanna/Istar
dans la litterature suso-elamite. II s'agit de la deesse Dilbat qui est egalement un avatar de
la deesse mesopotamienne. A Suse-meme, Silhak-Insusinak II (EKI 78) construit un temple
pour: d DIL.BAT za-na AS Su-su-un-ra « Dilbat, la Dame de Suse».
Sur la Plaque en bronze de Persepolis (inedite), elle porte une epithete encore plus in-
teressante: d DlL.BAT za-na \m\J MES -na « Dilbat, la Dame de la Ville».
Le fait que dans cette inscription redigee en elamite le mot qui designe la ville est le
sumerogramme URU (et il est bien precise par le MES qu'il s'agit d'un mot d'emprunt) incite a
considerer que c'est l'epithete de Dilbat. On peut egalement noter que dans cette meme ins-
cription, deux lignes plus loin, il semble que ce soit elle qui est qualifiee de be-ul-ti ba-la-at
[ ... ] «Dame de la vie» en accadien.
Son nom enfin est atteste dans une malediction des inscriptions rupestres de Malamir
(EKI 75 § 31), texte qui n'a jamais ete traduit d'une maniere correcte en raison d'une lecture
erronee.
L'emploi de l'inaccompli dans la forme verbale indique que la deesse est toujours prisonniere.
141
Akkadica 123 (2002)
Ce passage a ete lu et traduit par F.W. Konig (EKI 75 § 31): sa-M-iz-za-ka 4 d DlL.BAD-
na i-ma hu-ma-ak-ni «das Vernichtetwerden ? (vonseiten) der Venus(gottin) moge fur ihn
genommen (gefunden) werden».
En 1971, F. Grillot propose une autre hypothese en transcrivant et traduisant ainsi cette
formule: sa.-ki-iz-za.-ka4 " ap Dil-bat-na i-ma hu-ma-ak-ni «que la bienveillance (??) de (la
deesse) Dilbat (= Parti) 26 , de lui soit enlevee».
W. Hinz et H. Koch (EIW 506) lisent et interpreted ce passage differemment : sa ku-iz-
za-kai, DIL.BAD.na i-ma hu-ma-ik-ni « der soil des Heiligtums (?) der (Gb'ttin) Venus-Stern (=
Narsina) bier beraubt sein! »
En realite, aucune de ces hypotheses n'est recevable car sa n'a pas de valeur syllabique
en elamite! Ou bien ce signe a une valeur de SA et ce sumerogramme signifie « dans, a l'in-
terieur, en stock » ou il presente une valeur phonetique et il doit etre alors lu lip, comme G.
Bianchi l'a fort bien demontre 27 . La lecture correcte de ce passage est done : lip-ki iz-za-ka^
DIL.BAT-na i-ma hu-ma-ak-ni.
Nous sommes ainsi en presence de deux participes qui peuvent etre employes substan-
tivement comme de nombreux exemples le montrent: kullak «la priere» de kulla- «prier»,
hutlak «le messager» de hutla- «envoyer», turuk «la parole » de turu- «dire», etc. Le pre-
mier, lipki est le participe du verbe lip- qui signifie « etre ici, etre present, se trouver la». Pris
substantivement, il peut done signifier «la presence ». Le second, izzaka est celui du verbe
izza/i/uzzu qui est un verbe de mouvement qu'on rend generalement par « aller » mais qui peut
etre traduit plus precisement par «retourner, rente ». Le substantif peut done etre traduit par
«retour». Nous aurions ainsi une construction en hendiadys qui signifie: «le retour de la
presence (de Dilbat) » et l'ensemble de la malediction pourrait etre rendu par : « Que le retour
de la presence de Dilbat sur lui soit enleve / eloigne! »
Du point de vue religieux, cette formule est interessante car elle nous laisse supposer
que certaines divinites en Elam jouent un role protecteur en se tenant pres, voire au-dessus, du
fidele, un peu comme les « anges gardiens » des Chretiens.
Erifin, certains textes prcvenant de Samati mentionnent «le clerge de Dilbat » (W.G.
Lambert, 1995).
La nouvelle interpretation de cette epithete divine conduit a reprendre le probleme de l'au-
teur du rapt de la deesse en Mesoptamie. La plupart des specialistes, en raison de la presence
d'un Kutir-Nahhunte sur le texte d'Assurbanipal K 2660, ont opte, soit pour le premier du nom,
le sukkalmah successeur de Kudu-zulus 28 , soit pour le second, le fils de Sutruk-Nahhunte 29 .
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Dans une formule identique a celle-ci en EKI 76 § 37, le nom de Dilbat est remplace par celui de Masti (lu
precedemment Parti), F.W. Konig {EKI p. 160, n. 12) a considere que Dilbat etait Tecriture ideographique de
Ma§ti. Mais ceci n'est pas un argument car en Elam differentes divinites peuvent porter la meme epithete.
Ainsi, pour ne prendre qu'un seul exemple, « le plus grand des dieux » {risar nappipir) est attribue a Insusinak
mais egalement a Humban! n a cependant ete suivi par F. Grillot (1971, 231-232). Mais W. Hinz prefere
identifier Dilbat a Nairsina, une divinit6 rarement attestee (W. Hinz 1962, 110, 22-23). Ces deux hypotheses
peuvent etre desormais abandonees.
G. Bianchi, 1986.
V. Scheil, 1932 ; F.W. Konig, 1938, 330 ; W. Hinz, 1973, 266 et 1980-83, 383-384 ; W.F. Leemans 1968
217.
G.G. Cameron, 1936, 59 et 111 ; R. Labat, 1975, 487 ; M.W. Stolper,1984, p. 89, n. 323 ; F. Vallat, 1993.
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Fr. Vallat, La Dame faite prisonniere a Babylone
Mais deux elements nous permettent d'eliminer ces deux hypotheses. En effet, si la
Belti d'Untas-Napirisa est bien Inanna/Istar et peut done etre assirnilee a Nanaia, V attribution
a Kutir-Nahhunte II est impossible puisque le texte d'Untas-Napirisa (qui la qualifie de
«Dame d'antan») est anterieur d'un siecle a son regne. Quant a Kutir-Nahhunte I qui a regne
plus de trois siecles avant Untas-Napirisa, il pourrait etre un candidat possible. Cependant, a
son epoque, les conditions politiques ne sont pas favorables 30 .
On pourrait done envisager une autre hypothese que celle d'un Kutir-Nahhunte. Comme
l'epithete que lui attribue Untas-Napirisa («Dame d'antan») peut imphquer une tres longue
periode et qu'Assurbanipal dit que la deesse est restee prisonniere en Elam pendant 1635 ans,
on pourrait envisager de faire credit au roi assyrien. Si on ajoute a ce nombre d'annees la date
de la redaction probable de ce texte vers 645 on devrait situer la scene vers 2280. Or, Sargon
qui, d'apres la nouvelle chronologie 31 , a regne de 2200 a 2145, est le contemporain de Luh-
hisan et Hisep-Ratep, respectivement les 8e et 9e rois de la deuxieme dynastie d'Awan. Parmi
leurs predecesseurs, on peut simplement noter que le 5e souverain de cette dynastie porte un
nom compose avec le mot Suse : Susun-tarana. II s'agit la d'une hypothese qu'il sera difficile
de confirmer mais elle ne peut plus desormais etre ecartee.
Ainsi, sous differents noms 32 et different.es graphies ( d MUS, Innana, Istar, Belti/Beltiya,
Nanaia 33 et d DlL.BAT), la grande divinite sumero-accadienne a ete periodiquement veneree en
Elam 34 .
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Sur la situation politique en Mesopotamie a cette epoque, cf. H. Gasche, 1989.
H. Gasche et alii, 1998.
n se pourrait, enfin, qu'elle se dissimule sous les traits de la deesse elamite Upurkupak qui a pour epithete :
« Dame dispensatrice des lumieres », ce qui fait dire a M.-J. Steve a son sujet : 'On aurait done affaire a une
divinite astrale, une des nombreuses equivalences d'Inanna / Istar.' {MDP 53, p. 44). La remarque de M.-J.
Steve est d'autant plus pertinente que cette epithete ne signifie pas «Dame dispensatrice des lumieres » mais
« Dame des astres » (litt. « des producteurs de la lumiere »).
C'est aussi sous ce nom de Nanaia que la deesse devient la divinite poliade de Suse sous les Seleucides
(F. Cumont, 1928, 77-98 et G. Le Rider, 1965, 481) et qu'elle sera confondue avec Artemis a 1'epoque parthe
(G. Le Rider, 1965, 474).
C'est a la demande de H.-P. Francfort, directeur de la mission archeologique frangaise en Asie Centrale (UMR
7041 du CNRS) que j'ai entrepris de rechercher les traces de la deesse Nanaia dans la litterature suso-elamite.
Sans la nouvelle traduction de cette epithete divine et F identification de Beltiya, cette recherche n'aurait pas
abouti.
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