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BIBLIOTHÈQUE PLON
LA CHÈVRE D'OR
PAUL ARÈNE
LA
CHÈVRE D'OR
précédée d'une étude sur
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARÈNE
par Charles MAURRAS
■Sa
PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON- NOURRIT et C 1 *, IMPRIMEURS-EDITEURS
8, RUE GARANClàRE — 6 •
Tous droits réservés
LA VIE ET LES OEUVRES
DE PAUL ARÈNE
On pouvait lire Paul Arène et le méconnaître : son art,
son génie, se dérobent avec une grâce sauvage. Mais il
n'était guère possible de le rencontrer sans être vivement
frappé de son aspect. « II va tout d'une pièce, dit quelqu'un
qui ne l'a méconnu sous aucun rapport, à petits pas, l'œil
vif dans un visage immobile... C'est un Méridional con-
tenu dont l'abord étonne. On n'a jamais vu bouger un
muscle de son visage. Même quand il parle, sa face au front
large, à la barbe pointue, reste silencieuse. Il a l'air de sa
propre image modelée et peinte par un maître. » M. Ana-
tole France, de qui l'on vient de reconnaître le style nerveux
et doux, retourne, dans un autre passage de la Vie littéraire,
à la peinture de « ce visage immobile qui semble avoir été
taillé dans le buis d'un bois sacré par un chevrier aimé des
dieux au temps des faunes et des dryades ».
Tel était bien le Paul Arène que nous avons connu. Il
vieillissait un peu, et tous ses traits s'accentuaient. Les
cheveux jadis châtain sombre, devenus grisonnants, et que
les dernières saisons couvrirent tout à coup d'une neige
brillante, dégageaient, en s'êclaircissant, la courbe magni-
fique de la voûte du front. Un je ne sais quoi de farouche,
d'âpre et même de dur qui paraissait dans toute la physio-
nomie ne diminuait point, mais laissait voir, comme par
transparence, la délicatesse presque enfantine du teint et
LA CHEVRE D(
des traits. Ainsi la sagesse de Paul Arène, sa sensibilité
ne cessaient de percer sous la rudesse. Je donnerais beau-
coup pour qu'un sculpteur se fût trouvé au lit du poète mou-
rant pour mouler le. masque glacé, car la mort dut creuser
et souligner le visible travail de la maladie et de l'âge.
Paul Arène naquit le 26 juin 1843, sur la roche de Siste-
ron, ville de la haute Provence, où sa famille était fixée de-
puis longtemps. Le nom d'Arène est fort commun par toute
la contrée, jusqu'en Corse et en Italie; il ne s'arrête même
pas aux pays de langue latine. Homère parle, à plusieurs
reprises, de « la riante ville d'Arène » et de « l'aimable Arène ».
Il y eut au seizième siècle un A.ntonius Arena ou, ce
qui revient au même, de Arena, de qui Von connaît un
poème macaronique, mélange bizarre de français, de latin,
d'italien et de provençal, sur La Me) T gra Entrepresa, c'est-
à-dire sur V expédition malheureuse des impériaux en Pro-
vence contre François I eT : les Provençaux défendirent seuls
leur pays, incendièrent leurs moissons, rasèrent leurs
arbres et firent une guerre de partisans si bien menée que
l'ennemi dut regagner Nice et le Piémont. Antoine Arène
avait pris sa part de la guerre; en bon homéride, c'était ses
exploits qu'il chantait. On lui doit aussi des pohnes enjoués
ou burlesques sur les réjouissances des écoliers d'Avignon
et les différentes figures de la danse; il promettait à un de
$es amis, Raynier, de l'île de Martigues, de le nommer un
jour Dansarum lo capitanus. 77 pouvait transmettre ce
grade, car il l'avait. Le roman de cette vie joyeuse plaisait
à Paul Arène. Il aimait à se réclamer du vieil Antoine,
tout au moins comme d'un aïeul spirituel. Il composa pour
le buste du poète macaronique cette épigraphe provençale
que je traduis :
1 Voici le portrait de maître Antoine Arène; — il vécut en
LA VIE ET LES ŒUVRES. DE PAUL ARENE 7
hardi compagnon (bragard) et s' éteignit l'âme sereine : —
écolier, puis soldat, féiibre, homme de loi, — Provence l'au-
gura comme fils d'élection. — Soliès-Pont garde so'n berceau,
puis, vers la fin, comme il était — juge dans Saint-Rcmy,
canton voisin de Berre, —sur le parler latin il pila son grain
de sel : — et toujours souriant soit en paix, soit en guerre, —
il se battit pour la France et resta Provençal. »
L'Arène moderne ne fut point sans ressemblance avec
ce portrait de famille. Paul Arène se battit pour la France
et sut demeurer Provençal. Lui aussi fut bragard, autant
dire bon vivant et hardi rieur, bien qu'il préférât vivre
et sourire en dedans. Son esprit avait bien quelque chose
de la molle douceur des sables de la mer que son nom rap-
pelait, mais cette arène primitive s'était, à la surface,
cuite et durcie comme la brique, au vent des Alpes. Sortis
peut-être du rivage de la déesse, ses arrière- grands-parents,
fixés à Sisteron, étaient devenus d'assez rudes montagnards.
On est tenté de raconter sa naissance à peu près comme
son héros le pins connu, Jean des Figues, conte la sienne :
a Je vins au monde au pied d'un figuier, il y a vingt-cinq
ans, un jour que les cigales chantaient et que les figues-
fieurs, distillant leur goutte de miel, s'ouvraient au soleil
et faisaient la perle. » Dès son enfance, le pays lui appar-
tint. Il en connut par cœur les arbres, les herbes, les oiseaux,
les rochers. L'école buissonnière lui offrait d'ailleurs un
commentaire vivant des belles-lettres qu'on enseignait au
collège. Celles-ci convenaient à son souci, à son étude, à
son amour de la nature. Elles lui fournissaient un langage
capable de traduire ses goûts. Un écolier intelligent qui vit
à la campagne n'a qu'à ouvrir les yeux pour y retrouver
Horace et Virgile à tout bout de champ. Ce trait n'est point
particulier aux petits Français du Midi. On trouverait des
indications du même ordre dans les souvenirs d'enfance
d'un Parisien comme Anatole France qui passa plusieurs
mois de vacances dans les campagnes mancelles et ange-
vines, et jusque d'un Normand comme Gustave Levavasseur.
8 LA CHÈVRE D'OR
Mais voici noire Jean des Figues :
a Vieux chênes verts que je prenais pour le hêtre; large
étendue des bergeries latines; petit pont sonore sous lequel
j'ai tant rêvé...; maigres ruisseaux presque à sec l'été, mais
dent le murmure parmi les galets et les rocs sonnait harmo-
nieusement à notre oreille ainsi qu'un son de flûte antique;
lointains souvenirs, paysages demi effacés, je n'ai, pour les
faire revivre, qu'à ouvrir deux livres bien jaunis et bien
usés, les Géorgiques et les Odes. Il y a là des fragments
d'idylle, où vous ne verriez rien, et qui sont pour moi un
coin de vallon; des hexamètres emmêlés entre lesquels j'aper-
çois encore, comme entre les branches d'un buisson, le nid
de merles que je découvris une après-midi en levant mes
yeux de sur mon Horace, des strophes qui veulent dire un
sommeil à l'ombre et dont moi seul je sais le sens. Est-ce
dans Virgile, est-ce dans Horace tout cela? Certes, je l'ignore!
Libre i vous de jeter au feu ces vieux livres, si vous ne
trouvez pas sous leurs feuillets les fleurs desséchées de votre
enfance, et si, derrière les saules virgiliens, au lieu des
blanches épaules de quelque Galathée rustique, vous appa-
raît pour tout souvenir la tête furieuse de votre premier
maître d'études. »
MaUre d'études, Paul Arène l'avait lui-même été, pen-
dant un an ou deux, aux lycées de Marseille et de Vanves;
il prit de bonne heure sa licence es lettres. Une petite pièce
jouée avec succès à l'Odéon, Pierrot héritier, lui fit quitter,
en 1865, l'Université pour le journalisme. On a retenu de
Pierrot héritier la chanson d'un tour agréable :
Du temps qu'on adorait les merles,
Cléopâtre, reine du Nil,
Dans le vin grec jetait des perles
Grosses comme des grains de mil
Or, je fais, moi, Polichinelle,
Autrement qu'elle :
En fait de perles, j'aime mieux
Boire une larme de ma belle
Dans un grand verre de vin vieux
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARÈNE 9
II avait vingt-trois ans. C'est vers cette époque qu'il com-
mença de collaborer au Figaro littéraire et fit les premiers
vers provençaux qui parurent dans /'Almanach avignon-
nais de Roumanille.
II
On ne sait pas assez que Paul Arène a honoré deux litté-
ratures françaises, celle du nord et celle du midi de la France.
Ses meilleurs vers sont provençaux, comme sa meilleure
prose (1) est française; celle-ci est de premier ordre, mais ceux-
là ne le cèdent qu'aux œuvres de Mistral. Pour la force du
style, la vérité du sentiment, la finesse, la fraîcheur et la
clarté de la peinture, pour je ne sais quelle divine pureté
de la langue et du rythme, il y a des hommes de goût pour
les préférer même à ceux de Théodore Aubanel, qui se res-
sentait des romantiques parnassiens. Le futur auteur du
Parnassiculet connaissait ces mauvais modèles; il en pré-
serva ses écrits.
Le sujet de toutes ses pièces provençales est tiré de quelque
particularité de mœurs ou de paysage, propre à la contrée
qui s'étend sous les murailles de Sisieron. Paul Arène poète,
comme Paul Arène conteur, ne sortait guère jamais de son
arrondissement; mais il y mettait l'univers. Les jeunes
rustres qu'il peignait laissaient voir la nature humaine;
les clôtures, les puits, les rangées d'oliviers lui montraient,
en quelque façon, l'histoire du monde. C'est le grand pro-
cédé, le procédé classique. N'importe qu'on soit de Ché-
ronée ou d'Athènes, le tout est qu'on sache, en creusant,
découvrir, sous la mince êcorce brillante, le fond durable
de la vie.
Dans Fontfrediero, la belle reine Jeanne, comtesse de
Provence, reine de Naples, de Sicile, de Chypre et de Jéru-
salem, est arrêtée au bord de la source, dans un tiède vallon
(1) Il a d'ailleurs fwl peu écrit en prose provençale.
ÎO LA CHEVRE D'OR
des Alpes. La naïade s'émeut d'une si brillante princesse :
t Entre ses doigts couleurs de l'aube, — elk prit mon eau et
la but, — un page lui tenait sa robe, — et mon onde tres-
saillit. » Comme le nom de la reine Jeanne est resté insé-
parable de certains proverbes de nos campagnes, ainsi la
source a conservé ce bouillonnement immortel.
Dans Lis Estello negro, Arène célèbre ces petites étoiles
de pierre noire dont les orfèvres de Digne, ville proche de
Sisteron, tirent un joyau populaire, rien qu'en y appli-
quant un liséré d'argent ou d'or : on les recueille entré les
roches du plateau de Saint-Vincent; elles passent, chez les
savants, pour des éclats d'aérolithes. Le poète adresse à son
amie une parure faite de ces astérisques de deuil, dont il
évoque la fortune. Cette pierre, débris d'une étoile perdue et
qui traversa tout le ciel, apporte une image nouvelle de la
destinée de l'amour.
Le sonnet de Raubatori (le Rapt) s'ouvre aussi par le
même curieux mélange de traits locaux et de rêverie histo-
rique, avivée par le sentiment : « Si j'avais un long man-
teau brodé, — comme l'avait La Belaudière, — je m'arrête-
rais au milieu de la rue — droit à cheval sur ton balcon. —
Viole aux doigts, êpêe au côté, — je te dirais ma dernière
chanson, — vous seriez deux pour m' écouter : — toi, et
l'étoile du matin. » Qu'on prenne garde à ce constant souci
du ciel et des étoiles chez un écrivain rustique qu'on se figu-
rerait, comme tant d'autres, inclinés sur la glèbe à laquelle
il s'est attaché.
Je trouve une semblable élévation aux lumières du firma-
ment sur la fin d'une autre chanson d'amour de Paul
Arène : « Le long du chemin de Saint- Jacques, — il y a un
vol d'astres palpitants : — qu'une étoile s'en détache — moi,
j'irai te la cueillir (i). » Cela est caractéristique. Les chan-
sons de Paul Arène partent d'un petit coin de terre soi-
(i) Le Pont du Gard, écrit en collaboration avec Théodore Auba-
nel. La dernière strophe ne peut être que de Paul Arène.
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARENE II
pieusement déterminé, et d'où l'on va droit aux étoiles.
Le défaut de ces beaux poèmes, c'est d'être courts et peu
nombreux. Le plus long de tous, Lis Estello negro, compte
une vingtaine de strophes de quatre vers... Il faut beaucoup
produire pour fixer l'attention. Délicat, paresseux, plus
prodigue de ses heures et de ses pas que de ses paroles
écrites, enfin très sévère à lui-même, Paul Arène n'a pas
donné le recueil de ses poèmes en langue d'oc. Ce qu'il a
fait reste dispersé dans les florilèges.
Paul Arène tournait aussi de jolis vers français qu'il
allait réciter à ses nouveaux amis les poètes parisiens.
Un incident faillit le brouiller avec cette troupe. Son Par-
îiassiculct lui valut, un instant, de vives inimitiés. C'est
une parodie du majestueux Parnasse contemporain (i),
qui venait de paraître chez l'éditeur Lemerre. Les auteurs
du Parnasse y étaient appelés tout net, dès la préface, « des
Turcs attardés qui ont oublié, ou qui ne savent peut-être
point que le carnaval romantique est clos depuis trente ans ».
Quelque talent était concédé à deux ou trois de ces Parnas-
siens, qui n'en étaient que plus sévèrement repris sur leurs
extravagances : « Que les enfants de chœur fassent la cabriole
derrière l'autel, passe encore! mais des chanoines! » Entre ces
chanoines aussi peu épargnés que les enfants de chœur dans
les feuilles narquoises du Parnassiculet, un certain Nara-
patissejou, à qui l'on faisait entonner gravement ce couplet :
Iraouady, tes vagues saintes
Aux bagues saintes du Kiendwen
Disent les fureurs et les plaintes
Du fier rajah de Sagawen,
(i) Publiée quelque trente ans plus tard, /'Anthologie Lemerre
(t. III), qui renferme plusieurs poèmes français de Paul Arène,
avec une notice biographique, est muette sur le grave chapitre du
Parnassiculet. La rancune du Parnasse aura été plus longue que
celle de la Mule du pape.
12 LA CHEVRE D OR
rappelait, à ne s'y point tromper, M. Leconte de Liste. Un
autre, le héros ^'Avatar, sonnet qui débute par ce distique :
Près du Tigre, sous l'or des pavillons mouvants,
Dans un jardin de marbre où chante une piscine,
et qui se ferme sur ce vers :
Je suis chanteur lyrique et je couche tout nu,
était montré du doigt, selon la chronique du temps, comme
un frère jumeau de M. Catulle Mendès. Celui-ci, emporté
par la juste colère, envoya ses témoins à Paul Arène.
Un certain nombre de poèmes de Paul Arène datent du
même temps. Ceux qu'il a composés plus tard ne se dis-
tinguent pas beaucoup de ces premiers ouvrages. Le vers
d'Arène se reconnaît aisément à je ne sais quoi de pur et
de bref dans le style et à la sécheresse élégante du tableau
qui s'égaie parfois d'un sourire. On cite volontiers le début
et la fin de la Bouquetière :
Épris des margots idéales
Et rêvant au siècle dernier,
Je la rencontrai près des halles,
Qui portait un petit panier...
Elle était blonde, presque rousse,
L'œil malin, mais bon en dessous,
Et vendait, piqués dans la mousse,
De petits bouquets à deux sous.
La fraîcheur de la bouquetière
Me fit désirer son bouquet...
Frontin, je le dis sans reproches,
Avait, ce matin, oublié
De mettre de l'or dans mes poches,
Et j'étais fort humilié.
Elle, devinant ma pensée,
Prit le bouquet entre ses doigts i
« C'est le dernier, je suis pressée
Vous me pairez une autre fois. *
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARENE 13
Puis elle rit, étant de celles
Qui, plébéiennes au cœur haut,
D'une reprise à ses dentelles
Faisaient crédit à Diderot.
Il y a aussi dans le Noël en mer un modèle de récit, nu et
simple, sans autre accent que celui de la vérité et de la nature.
On pourrait y désirer plus de chaleur. Le vieux pêcheur
Thamus, dont il est question dans Plutarque, a entendu des
voix mystérieuses annoncer la mort de Pan, la naissance
du dieu nouveau; et, tout en conduisant la barque à travers
les écueils, sa longue expérience lui inspire un sage dis-
cours d'espoir et de crainte à la Lucrèce, à la Voltaire :
Qu'il vienne donc! Qu'il vienne enfin l'enfant débile
Et divin, si longtemps promis par la Sibylle!
Qu'il vienne celui qui, détrônant le hasard,
Doit donner à chacun de nous sa juste part
De pain et de bonheur! Plus de maux, plus de jeûnes!
Les Dieux sont bons parfois, mon fils, quand ils sont jeunes.
La fin de ce Noël n'est pas moins curieuse. Mais tout
serait à citer, et je ne puis que mentionner un autre poème
d'Arène, qui a de la grâce, Pourquoi Vénus est-elle blonde?
77 faut avouer cependant que ses vers français laissent Paul
Arène dans l'altitude difficile du chanteur plein de mépris
pour les fausses beautés à la mode, mais qui ne peut at-
teindre aux parfaites beautés.
III
Deux mois de l'été 1868, juillet et août, lui suffirent pour
tracer les deux cents pages accomplies de Jean des Figues,
son chef-d'œuvre.
Il ne faut pas résumer Jean des Figues, mais le lire,
devoir auquel les dernières générations ont trop manqué.
14. LA CHÈVRE D'OR
De là les lacunes profondes des jugements sur Paul Arène.
Jean des Figues doit éire lu en tête des ouvrages de ce maître
dans l'art des contes. Il les éclaire tous. Dans la Chèvre d'or.
dans Domnine, un chœur d'allusions subtiles ramène sans
cesse la pensée à ce premier livre.
Il faut le lire encore pour un autre motif. Ecrit dans une
langue aussi ferme que sure, d'un style aussi simple que
pur, Jean des Figues sera compté entre les monuments de
la prose française. Petit monument, si Von veut. Un petit
monument au pied de l'Acropole nous conserve plus clai-
rement que les hautes colonnes du Jupiter Olympien, le
souvenir exact, le témoignage clair de ce que furent le goût
et la grâce à Athènes. Bien des ouvrages ambitieux pourront
être emportés; si Jean des Figues reste, l'on saura que le
goût français n'avait pas disparu vers le troisième tiers du
dix-neuvième siècle.
Jean des Figues renferme, d'ailleurs, un sens assez con-
sidérable, je ne sais si l'auteur l'y voulut mettre de propos
délibéré; mais^à mesure qu'il racontait, en y prenant plai-
sir, l'aventure du petit garçon de Canteperdrix, de son âne
Blanquet et de Roset, sa Bohémienne, Paul Arène s'aper-
cevait peut-être qu'il faisait un véritable panégyrique du
naturel en toutes choses. Sans trop peser sur cette idée, il lui
permit de transparaître çà et là.
Né en plein champ, comme on l'a vu, et ramené à Cante-
perdrix dans un sac plein de figues que son père avait pendu
au bât de Blanquet, Jean des Figues reçut un jour quelque
coup de soleil de trop. Ce rayon, lui met tant cigale en tê/e,
lui fit faire bien des sottises. Son vice le plus ordinaire fut
de perdre de vue les choses et de se payer sur les mots, qui
n'ont point de réalité. Cent fois il négligea l'avertissement
du plaisir; cent fois il étouffa son cœur pour l'image d'une
chimère.
Dès l'âge le plus tendre, ayant découvert dans la malle
d'un certain cousin, le cousin Mitre, un paquet de lettres
d'amour, Jean des Figues rêva de connaître l'amour.
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARÈNE 15
L'amour ne se commande pas, il ne naît pas à point nommé;
le petit Jean n'en put trouver qu'une pâle contrefaçon qui,
du reste, suffit tout d'abord à lui remplir l'âme, et quand le
vrai amour survint, la place était prise... Sous le frais et
vivant baiser de la jeune Bohémienne, puis à la sensation
délicieuse que lui laissa le goût de ce beau fruit de chair, il
continua de préférer les grâces minaudières d'une petite
demoiselle, froide, blonde, ignorante, et ses rendez-vous
inutiles à l'extrémité du jardin.
A Paris où il arriva sur l'âne domestique, Jean des
Figues se paya de moindre monnaie encore. Ses meilleures
maîtresses furent les dames d'utopies qui hantaient Vécri-
toire et le pupitre des musagefes contemporaines, Malaises,
Grecques ou Bédouines, revêtues des costumes les plus
variés, mais, les malheureuses/ sans corps. En vain la
petite Roset emprunte l'un de ces costumes pour rejoindre
son Jean dans le cénacle des renchéris. Il la repousse ou
il la perd de façons ridicules. Elle l'aime et le lui fait voir.
Mais il ne songe qu'à publier sur un beau papier le volume
de Mes Orgies.
Misère et folle vanité! Jean des Figues dut traverser bien
des épreuves avant que de connaître enfin la saveur et la
vérité de la vie. Un important de Canteperdrix faillit lui
eclloquer sa fille et la jolie Roset lui échapper à tout jamais;
pendant plusieurs semaines Jean ne l'avait-il pas pleurée,
la croyant morte et enterrée par des Bohémiens sous le tronc
d'un figuier? Heureusement, il n'y avait d'enterré au pied
de cet arbre que le grison Blanquet. Roset et Jean se rejoi-
gnirent, les tristesses s'évanouirent, les sottises s'oublièrent,
on n'eut pas à se pardonner, et Jean des Figues aima
comme l'y invitait raisonnable ment la nature.
Celte analyse a le défaut de dessécher une narration char-
mante de vivacité et de grâce. Je voudrais m excuser par
une citation. Copier ai-je la page où Von croit sentir renaître
le vent des fleurs? ou le portrait du notaire cantoperdrisien,
M. Tullius Cabridens, académicien, numismate, botaniste
16 LA CHÈVRE D'OR
et violoniste, qui montrait un si vif dédain pour les poètes
Provençaux, « des gens qui écrivent en patois et qui ne sont
membres de rien »? Vous montrer ai-je Mlle Reine? Ou
rapporterai-je l'histoire de la façon miraculeuse dont cette
jeune demoiselle avait été conçue? Préférez-vous la lettre
que reçut Jean des Figues d'un père justement courroucé
des lyriques débordements qui s'étalent dans les sonnets de
Mes Orgies?
Tout compte fait, mieux vaut détacher de ce premier livre
de quoi montrer ce que Paris avait ajouté de nouveau à la
sensibilité provençale de Paul Arène. Voici Roset et Jean
des Figues vagabondant par les fraîches campagnes du
Valois et du Parisis :
a Roset ne connaissait, comme moi, que les belles aridités
du Midi provençal, ses côtes plantées d'oliviers couleur
d'argent et d 'amandiers au feuillage pâle, ses rochers cou-
verts de lavande et ses racines brûlées du soleil sans un brin
d'herbe, où coule sur la marne bleue un mince filet d'eau
claire.
a Ici, au contraire, la verdure et Veau, les fleurs humides,
les mousses mouillées où le pied s'enfonce, et partout, même
aux endroits élevés du bois où 71' apparaissent ni étang ni
fontaine, un bruit d'eaux cachées qui vous environne,
comme si de petites sources couraient de tous côtés sous vos
pieds en nombre infini, et montant par d'invisibles canaux
dans l'intérieur des hautes herbes et jusqu'à la cime des
grands arbres, venaient se résoudre en vapeur sur la sur-
face veloutée des feuilles et affluer plus abondants aux
lèvres toujours f raidies des fleurs.
« — C'est plus beau, disait Roset dans son enthou-
siasme, oui, c'est plus beau que le travers des Sorgues à
Maygremine. »
Telle est la veine parisienne de Paul Arène. Elle ne cessa
de lui inspirer de petits tableaux qui sont des merveilles de
raison et de vérité. Pour le sentiment du paysage d'Ile-de-
France, cette Attique du Nord, je ne connais qu'un écrivain
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARÈNE 17
qui ait surpassé le provençal, et c'est Gérard de Nerval qui,
de son côté, accomplît aussi le prodige inverse : né du
Valois, il trouva d'admirables pages pour marquer les
tons de lumière ardente, les traits de pure sécheresse de la
Grèce et de l'Orient. Curieuse parenté de deux génies char-
mants, et injustement méconnus (1) !
Sans chercher la raison de cette affinité, il reste à dire que
la seconde partie de Jean des Figues exprime à merveille
les sentiments de Paul Arène : comme bien d'autres Méri-
dionaux, comme l'Empereur Julien, dont il rappelait volon-
tiers le témoignage, comme Montaigne encore, il adorait
Paris. Il aimait Paris pour tous les villages divers dont la
ville est formée, pour la vie familière et intime qui se dévoile
à qui l'étudié dans les coins, et encore, parce que l'on y ren-
contre un grand nombre de Provençaux morts ou vivants
qui aidèrent un peu à former cette grande ville, tête et cœur
de notre patrie.
IV
Quand la guerre éclata, Paul Arène mit immédiatement
en pratique la devise de cette Ligue du Midi, tant calomniée
par l'histoire; il se dit, comme beaucoup de ses camarades,
Marseillais ou Gavois : « Allons au secours de Paris » et
partit avec les soldats de sa ville natale qui l'avaient choisi
pour chef, « Ce petit homme raide et tranquille devait avoir
l'air assez crâne, en 1870, dans sa vareuse de capitaine
de mobiles (2). » La fameuse chanson du Midi bouge fut
composée à cette occasion.
(1) Depuis que ces pages ont été écrites, la nouvelle génération
littéraire a réparé celte injustice. Jeunes filles et jeunes gens savent
par cœur Sylvie, Angélique, les sonnets et les chansons des Filles
du Feu.
(2) On ne se lasse pas de citer sur cet article M. Anatole France,
le seul critique qui se soit occupé sérieusement de l'auteur de Jean
des Figues, dont s Sarcey n'a loué que le talent de torero ».
iS LA CHÈVRE D'OR
Demain sur les tombeaux
Les blés seront plus beaux.
Serrons nos lignes!
Nous aurons, cet été,
Du vin aux vignes,
Avec la liberté!
REFRAIN
Un', deux, le Midi bouge,
Tout est rouge! f , .
TT > J l > bls
Un , deux! .
Nous nous fichons bien d'eux... }
Des chroniques, des contes, des poèmes, des saynètes
rimées, tout cela net, gracieux et fin, occupèrent après iSyo
les jours de Paul Arène. C'étaient les temps des vieilleries
bruyantes du naturalisme et du renaissant parnassisme.
Tout ce que pouvait faire notre conteur était donc d'attendre
la gloire, en peignant tour à tour son vieux Rhône et sa
bonne Seine. Un pot à fleurs à une fenêtre ou des bouts de
futaie entrevus par-dessus des murailles bordées de lierre,
inspiraient la méditation ou le commentaire. Quant aux
choses de son Midi, il les passait en minutieuse revue :
de V Artésienne blonde à V Artésienne brune, de Votive verte
à l'olive mûre, du nougat de Gardanne épais et noir comme
la poix, au nougat d'Istre, blanc, léger et diaphane comme
une hostie, depuis les souvenirs du paganisme antique,
comme ceux qui faisaient invoquer le dieu Pan, sous le
vocable de saint Pansi, aux paroissiens d'un vieil ermite
(la Mort de Pan), jusqu'aux traces laissées par la Révolu-
tion ou la Restauration dans le régime de la terre ou l'état
des esprits (le Tors d'Entrays (i), le Clos des âmes), enfin
jusqu'à ces plaisanteries singulières que l'homme du Midi
se fait volontiers à lui-même (le Canot des six capitaines),
Arène recueillait tout le pittoresque de sa patrie. Il y met-
(i) Une des rares pièces où Paul Arène ait fait abus des proven*
çalistnes dans le langage. A cet égard il fut très sobre.
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARÈNE 19
tait une conscience profende, avec un art extrême à généra-
liser le détail. Dumas voulait que l'on donnât le nom de
Victor Hugo à une étoile nouvelle; il faudrait appeler du
nom de Paul Arène soit un nouveau ruban dans la coiffe
des filles d'Arles, soit une variété nouvelle de cyprès, d'oli-
vier, de pin ou de ces châtaignes de mer dont il nourrissait
volontiers ses amis de prédilection.
On le ferait sans raillerie comme- il le faisait. Car il faut
admirer combien, sur les sujets les plus délicats et les plus
dignes de soulever la juste indignation de Canteperdrix,
de Rochcgude ou de Pamparigouste, son tact exquis pré-
serve Arène d'écrire jamais une raillerie trop acide. La
religion de la patrie menait, mais retenait, entraînait et
précipitait, mais en l'arrêtant au point juste, cet écrivain
doué d'un sens si fin du ridicule. Il n'avait point de peine
à suivre les conseils de ce sentiment et ses compatriotes lui
savaient gré de ne pas retourner contre le sein de la Pro-
vence quelques armes légères aiguisées par des Provençaux.
Cette touche sans fiel ni venin apparaît dans un chapitre
du Canot des six capitaines, intitulé « Parfums et -fleurs ».
Ce texte pourrait aussi montrer comment toute chose s'im-
prègne d'ambroisie quand les dieux bons le veulent bien :
« Saint-Aygous n'était pas précisément rentier. Il n'exer-
çait aucune des paisibles industries que ses concitoyens
exercent. Il n'avait pas de moulin à huile, il ne salait pas
d'olives, il ne séchait pas de figues, il ne menuisait pas de
cannes avec la palme des dattiers, il ne distillait pas de
liqueur locale en macérant au soleil des baies de myrte dans
de vieille eau-de-vie, il fie combinait pas de cette exquise
saumure noire, le pey-sala, bouillie d 'imperceptibles petits
poissons triturés qui, jadis, sous le nom de garum, faisait
se pourlécher les babines romaines, il ne pressurait pas les
tomates comme fabricant de jus de tomates, ni les étrangers
comme propriétaire de villas...
« Saint-Aygous, pour fortune, possédait au quartier de la
Badine un tout petit clos précédé d'un tout petit pavillc;:.
20 LA CHÈVRE D'OR
Dans le pavillon s'arrêtaient, du matin au soir, les pas-
sants encouragés par une enseigne accueillante; dans le
clos, cent dix orangers épanouissaient leurs fleurs au soleil
et mûrissaient leurs fruits à la brise marine. Chaque jour,
une vieille femme, armée d'une courge creuse taillée en
longue cuiller, versait au pied de chaque oranger, avec une
religion toute chinoise, l'humble mais féconde offrande
laissée au pavillon par les passants de la veille!
« Et voyez les mystères du circulas : le parfum des fleurs
ne semblait que plus doux, la saveur des fruits plus exquise.
Les cent dix orangers, à dix francs par pied et par an, ren-
daient, tant en fruits qu'en fleurs, onze cent francs, la vieille
femme une fois payée; et, tandis que dans le Nord, avec des
lieues de forets, un homme peut se trouver pauvre, Saint-
Aygous, avec ses cent dix orangers et son pavillon, portait
des souliers de toile en tout temps, des pantalons blancs, des
vestes courtes, et se promenait de la ville au Bigorneau, un
parasol sous le bras et coiffé d'un chapeau manille baissé
sur les yeux et relevé sur la nuque, ce qui, dans Antibes et
tout le long du littoral, est l'apanage de la richesse. »
Au Bon Soleil, la Gueuse parfumée, parus à des dates
diverses, renferment les principaux contes de Paul Arène;
ces deux volumes ne se distinguent guère l'un de l'autre
que par le titre. On sait que le second tient son nom de
Godeau, évêque du pays, qui, voyant la Provence pauvre
et triste sous le myrte et sous l'oranger, l'avait comparée,
dans ses lettres, à une « Gueuse parfumée ». Arène fit à
ce joli mot sa nouvelle fortune.
La Chèvre d'or est une histoire de Maugrabins et. de
Maugrabines qui se déroule dans un petit village de la
Provence orientale. Une chèvre mystérieuse, gardienne d'un
trésor caché, et une chevrette vivante, misé Jano, la maîtresse
de celle-ci, Mlle Norette Honnorat, enfin cinq ou six per-
sonnages de moindre i?nportance en font les frais. Et tout
ce monde se trouve être un peu mahométan.
Pour l'expliquer, Arène nous découvre le fond de son cœur:
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARENE 21
t Plus que la Grecque, qui, avec ses yeux gris-bien s' en-
cadrant de longs sourcils noirs, évoque la vision de quelque
Cypris paysanne, plus que la Romaine dont souvent tu
admiras les fières pâleurs patriciennes, me plaît, rencontrée
au détour d'un sentier, la souple et fine Sarrazine, à la
lèvre rouge, au teint d'ambre. Et tandis que d'autres sentent
leur cœur battre à la trouvaille d'un fragment d'urne antique
ou d'une main de déesse que le soleil a dorée, je ne me sentis
jamais tant ému qu'un jour dans Nîmes, près des bains de
Diane, dont les vieilles pierres disparaissaient sous un
écroulement de roses, en joutant parmi les débris le plafond
de marbre fouillé et gaufré que les envahisseurs venus
d'Afrique et d'Espagne ajoutèrent ingénument aux orne-
ments ioniens du temple des nymphes. »
La Chèvre d'or est symbolique. Je pense qu'Arène a
voulu désigner par le nom de trésor tous les biens de la
terre, tenus pour méprisables en comparaison de l'amour.
De siècle en siècle, une famille du Puget-Maure s'est agitée
et déchirée afin de connaître le lieu de la cachette.
Au seizième siècle, l'affaire que voici marqua un terrible
épisode :
a Vers l'an 1500, deux cousins, l'un Gazan, l'autre Gal~
far, se trouvèrent en rivalité pour épouser une cousine :
non qu'ils l'aimaient; elle était, il est vrai, admirablement
belle; mais aussi pauvres l'un que l'autre, s' étant ruinés
l'aîné à faire des caravanes sur mer, l'autre dans les tripots
d'Avignon sous prétexte d'étudier la médecine, c'est surtout
le secret du trésor qu'ils désiraient d'elle.
a Aucun ne voulait céder. Ils se querellèrent, et le cadet
souffleta l'aîné.
« Puis, sans que personne les vît, un soir, tous deux Caïn,
tous deux Abel, ils allèrent dans la montagne, du côté de la
chapelle, que déjà un ermite gardait.
a Au milieu de la nuit, l'ermite crut rêver que quelqu'un
frappait de grands coups à sa porte et, s éveillant, il enten-
dit : « Au secours/ j'ai tué mon frère! » Alors étant sorti,
22 LA CHÈVRE D'OR
il vit à la clarté des étoiles, dans l'herbe du cimetière, un
jeune homme étendu, dont un cavalier plus âgé, mais lui
ressemblant singulièrement, soutenait la tête.
« Comme le jeune homme se mourait, l'ermite le confessa.
Et quand le jeune homme fut mort, le cavalier qui se tenait
debout, appuyé au mur, dit : « Mon Père, il est grand temps
t que vous me confessiez aussi! » Alors l'ermite, se retour-
nant, vit sur son pourpoint ensanglanté le manche d'un
long poignard qu'il s'était enfoncé dans la poitrine. Et
quand il fut confessé, le cavalier retira la lame et se coucha
dans l'herbe à côté de l'autre dont il baisait en pleurant les
cheveux et les yeux.
« Le matin, au moment de les ensevelir, on les trouva
enlacés si étroitement, que pour séparer les cadavres il
aurait fallu briser les os des bras. On les mit ensemble, sans
cercueil, dans la même fosse, et une messe fut fondée pour
l'âme de ceux qui sont morts. »
Or, Norette Honnorai passe pour la dernière dépositaire
du malfaisant secret. Mais elle ne consent à mettre sa main
dans la main d'un époux qu'après qu'elle s'est assurée qu'il
nourrit un profond dédain pour les richesses de Mahom.
C'est pourquoi certain talisman pendu au cou de la chevrette
est (sacrifice peut-être inutile!) jeté à la mer, et les généra-
tions qui naîtront dans le Puget-Maure seront absolument
délivrées du souci qui avait attristé leurs aïeux. Norette est
devenue mère, « mère avec emphase », écrit joliment Paul
Arène, au dernier feuillet de ce conte sans déclamation.
A la Chèvre d'or succédèrent les Ogresses, le Midi bouge,
ingénieux recueil des mêmes récits dont nous avons vu l'es-
sence, puis un livre charmant, écrit en collaboration avec
l'historien de Vadier et de Gambetta, M. Albert Tournier,
Des Alpes aux Pyrénées, journal de voyages accomplis
dans le Sud-Ouest et le Sud-Est par des troupes de cigaliers
et de félibres parisiens; encore d'autres Contes, et presque
en dernier lieu Domnine.
Domnine le montre peut-être plus sobre, plus dépouillé,
LA VIE ET LES ŒUVRES DE PAUL ARÈNE 23
plus lumineux encore que la Chèvre d'or. Pour la saveur
des impressions, pour la sage et profonde économie de l'ou-
vrage, cette histoire passionnée forme un petit chef-d'œuvre,
presque aussi expressif du génie méridional que de la per-
sonne privée de Paul Arène : tous les personnages qui y
paraissent montrent autant de réflexion que de sentiment et
de vie. Comme toujours, l'existence rochegudaise est fixée
dans ses moindres traits.
On put seulement remarquer l'excès de sécheresse dans
quelques-unes des petites légendes que Paul Arène publia
dans les journaux après Domnine. La faiblesse fut passa-
gère, et, pendant sa dernière année, comme si les repos de
convalescence l'eussent renouvelé, il parut retrouver les
forces de sa jeunesse. Tout devenait frais et vivant sous sa
plume facile; un sobre coloris rehaussait le trait fin et la
ligne harmonieuse de sa narration. Un nouveau Jean des
Figues semblait donc nous être promis.
Pour achever de se remettre, Paul Arène alla s'établir
dans le Midi. C'était au milieu de l'été; il ne quittait pas
sans regrets Paris, ses rues et ses jardins, la petite maison
champêtre de Clamart, où la bonté de l'air, l'ample douceur
du bois lui avaient rendu la santé. Sisteron et Antibes hit
firent accueil tour à tour. Et cependant, il se faisait peu
d'illusion. Mais son égalité d 'âme était parfaite. Ce « bon
soleil », qu'il vénérait comme un ami et comme un dieu, le
réchauffa et le soutint quelques semaines. Les lecteurs du
Journal eurent de nouveau l'occasion de vérifier la renais-
sance de V imagination et du sentiment de leur chroniqueur.
Mais comme tout le monde reprenait con fiance, les dernières
approches du solstice d'hiver nous l'ont enlevé brusque-
ment de sa solitude d' Antibes, le 17 décembre, au soir.
Ramenés à Sisteron, par les soins d'une sœur fidèle,
Mlle Isabelle Arène, et d'un disciple dévoué, M. Auguste
Marin, rejoints bientôt par M. Albert Tournier, les restes
de Paul Arène ont été rendus à la terre natale, au milieu
d'un grand concours de peuple. On raconte que l'enterre'
24 LA CHÈVRE D'OR
ment fut suivi de la gare à Ventrée du cimetière par un berger
et son troupeau, que les sons d'une marche funèbre, exécutés
par la musique locale, avaient charmés. Un conteur d'une
si élégante rusticité n'eût point réglé le convoi de ses funé-
railles autrement que le fit le caprice du bon hasard. Il
repose parmi les siens, sous les herbes et les roches qu'il a
aimées; la main d'un ami a glissé dans son cercueil quelques
figurines d'argile qu'il destinait à la crèche de la Noël sui-
vante, jusqu'à laquelle il n'a pu conduire ses jours. Ces
objets familiers divertissent son ombre; son nom deviendra
mémorable et vénérable, entre des murailles et des tours qu'il
sauva des démolisseurs. Son nom grandit déjà parmi tous
ses compatriotes de France, parmi tous les lettrés du monde,
à qui la douceur de notre langue est sacrée. Un peu partout,
pendant longtemps, aussi longtemps que dureront les deux
langues de Jean Racine et de Frédéric Mistral, sera gardée
l'épitaphe de Paul Arène ;
M'en vau Vamo ravido
D'ave pantaia ma vido.
« Je m'en vais l'âme ravie — d'avoir rêvé ma vie. » Ce
défenseur du naturel en toute chose n'ignorait pas qu'il
faut savoir fermer les yeux et corriger la réalité par le songe.
Charles Maurras. L'Étang de Berre.
(Champion, éditeur.)
Janvier iSgy.
AU DOCTEUR Z.,
Ris, ne te gêne point, ami très cher, ô grand docteur!
Je te vois d'ici lisant ma lettre an fond du fastueux cabinet
encombré de la dépouille des âges où, pareil à un Faust qui
serait bibelotier, tu passes au creuset de la science moderne
ce que Vhumanité gardait encore de mystères, où, parmi les
tableaux anciens et les statues, les émaux, les tapisseries,
tu uses tes jours, poussé par je ne sais quel contradictoire
et douloureux besoin de vérité, à réduire en vaine fumée les
illusions de ce passé dont le reflet pourtant reste ta seule
joie; et je devine le sourire d'ironie compatissante qui,
avant une minute, va éclairer ton numismatique profil.
Tel que tu me connais : devenu douleur par raison, guéri
des beaux enthousiasmes et déshabitué de l'espérance, je
suis très sérieusement occupé à la recherche d'un trésor.
Oui! ici, en Provence, dans un pays tout de lumière et
de belle réalité, aux horizons jamais voilés, aux nuits claires
et sans fantômes, je rêve ainsi tout éveillé le plus merveiU
leux des rêves.
Folie! vas-tu dire. Rassure-toi. Bientôt ta sagesse recon-
naîtra qu'il me faudrait, au contraire, être fou pour renoncer
à ma folie. Car le trésor en question est un trésor réel, pal-
pable, depuis plus de mille ans enfoui, un vrai trésor en
or et qui n'a rien de chimérique. Bien que comparable aux
amoncellements de joyaux précieux et de frissonnantes pier-
reries dont V imagination populaire s'éblouissait au temps
20 LA CHÈVRE D*OR
des mille et une nuits et des califes, aucun génie ne le garde
et bientôt il m'appartiendra.
Comment?... Laisse-m'en le secret une semaine encore.
Du reste j'avais, à ton intention, jeté sur le papier, d'abord
pour occuper mes loisirs, plus tard pour amuser mon impa-
tience, le récit exact de mes sensations et de mes aventures
depuis le jour de mes adieux.
Tu recevras le paquet en même temps que cette l-ettre. Tout
un petit roman dont les circonstances ont seules tissé la
trame et où ma volonté ne fui pour rien. Il ne s'y agit de
trésor qu'assez tard. Je t'enverrai la suite et tu pourras ainsi
t' associer aux émotions que je traverse. En attendant, montre-
toi indulgent à ma chimère.
Pour te prouver que je suis lucide et que la manie des
grandeurs ne m'a pas troublé le cerveau, je te jure que
bientôt, à Paris, je rirai avec toi et plus fort que toi de mes
déconvenues si, au réveil, sous le dernier coup de pioche, je
ne trouve, comme dans les contes, à la place du Colchos et
de la Golconde espérés, qu'un coffre vermoulu, des cailloux
et des feuilles sèchts.
Ton
LA CHÈVRE D'OR
i
EN VOYAGE
Me voici loin, résumons-nous !
Le bilan est simple : des amours ou soi-disant tels qui
ne m'ont pas donné le bonheur ; des travaux impatients
qui ne m'ont pas donné la gloire ; des amitiés, la tienne
exceptée, qui m'ont toutes, en s'égrenant, laissé ce froid
au cœur mêlé de sourde colère que provoque l'humilia-
tion de se savoir dupe.
Bref ! je me retrouve de même qu'au début, avec en
moins la foi dans l'avenir et le don précieux d'être
trompé qui, seul, fait la vie supportable. Je ne rappelle
que pour mémoire une fortune fort ébréchée sans même
que je puisse me donner l'excuse de quelque honorable
folie.
J'ai eu très distinct le sentiment de cela, il y a un ins-
tant, dans l'éternelle chambre d'hôtel banale et triste,
en écoutant l'horloge de la ville sonner.
Par une rencontre qui n'a rien de singulier, cette hor-
loge au milieu de la nuit sonnait l'heure de ma naissance,
cependant qu'à défaut de calendrier, un bouquet d'anni-
versaire, envoi d'une trop peu oublieuse amie, me disait
avec une cruelle douceur le chiffre de mes quarante ans...
Ne serait-ce point la cloche d'argent du palais d'Avignon,
au même tintement grêle et clair, qui ne sonnait qu'à la
mort des papes?
28 LA CHÈVRE D'OR
Il me semble, en effet, qu'en moi quelque chose vient
de mourir.
A quoi me résoudre? M 'établir pessimiste? Non pas
certes ! J'aurais trop peur de ta trop bien portante rail-
lerie.
Après tout, je ne suis plus riche : mais il me reste de
quoi vivre libre. Je ne suis plus jeune, mais il y a encore
une dizaine de belles années entre l'homme qui m'appa-
raît dans cette glace et un vieillard. Il est trop tard pour
songer à la gloire : mais le travail même sans gloire a ses
nobles joies.
Et, puisque je n'eus pas le génie d'être créateur, peut-
être qu'un effort dans l'ordre scientifique, une série de
recherches établies nettement et courageusement pour-
suivies, me débarrasseront des désespérantes hésitations
qui, si souvent, m'ont laissé tomber l'outil des mains à
mi-tâche devant des entreprises trop purement imagi-
natives pour ne pas, à certains moments douloureux,
apparaître creuses et vaines au raisonneur et au timide
que le hasard a fait de moi.
Après avoir cherché, réfléchi, je me suis donc fixé une
besogne selon mon courage et mes goûts.
Tu sais, s'il m'est permis d'employer une expression
que tu affectionnes et que tu as même, je crois, un peu
inventée, quel enragé traditionnisie je suis.
En exil au milieu du monde moderne, j'ai cette infir-
mité qu'aucune chose ne m'intéresse si je n'y retrouve
le fil d'or qui la rattache au passé. Mon sentiment, d'ail-
leurs, peut se défendre : l'avenir nous étant fermé, revivre
le passé reste encore le seul moyen que nous ayons d'al-
longer intelligemment nos quelques années d'existence.
Tu sais aussi, pour m'avoir souvent plaisanté sur un
vague atavisme barbaresque que ton érudition moqueuse
me prêtait, tu sais quel faible j'eus toujours pour les sou-
venirs de la civilisation arabe.
Dans ce beau pays où, par la langue et par la race, au-
EN VOYAGE 29
dessus du vieux tuf ligure, tant de peuples, Phéniciens,
Phocéens, Latins, ont laissé leur marque, les derniers
venus, les Arabes seuls m'intéressent.
Plus que la Grecque qui, avec ses yeux gris-bleu s'en-
cadrant de longs sourcils noirs, évoque la vision de quelque
Cypris paysanne, plus que la Romaine dont souvent tu
admiras les nères pâleurs patriciennes, me plaît rencon-
trée au détour d'un sentier la souple et fine Sarrazine, à
la lèvre rouge, au teint d'ambre. Et tandis que d'autres
sentent leur cœur battre à la trouvaille d'un fragment
d'urne antique ou d'une main de déesse que le soleil a
dorée, je ne me sentis jamais tant ému qu'un jour dans
Nîmes, aux bains de Diane dont les vieilles pierres dis-
paraissaient sous un écroulement de roses, en foulant
parmi les débris le plafond de marbre fouillé et gaufré
que nos constructeurs d'aihambras ajoutèrent ingénu-
ment aux ornements ioniens du temple des Nymphes.
On accueillit en ami, chez nous, ces chevaleresques
aventuriers qui, au milieu du dur moyen âge, nous appor-
taient, vêtus de soie, la grâce et les arts d'Orient. Quand
les. Arabes vaincus se réembarquèrent, la Provence entière
pleura comme pleurait Blanche de Simiane au départ de
son bel émir.
J'avais entrepris autrefois sur ce sujet un travail, hélas !
interrompu trop vite, et retrouve même fort à propos un
cahier jauni dont bien des pages sont restées blanches. Je
ferai revivre, en les complétant, ces notes longtemps
oubliées. Je recommencerai mes longues courses sous ce
ciel pareil au ciel d'Orient, à travers ces rocs mi-africains
qui portent le palmier et la figue de Barbarie, le long de
ces calanques bleues propices au débarquement de ces
plages, où, dans le sable blond, s'enfonçait la proue des
galères.
Heureux le soir et n'ayant pas perdu ma journée, si je
découvre quelque nom de famille ou de lieu dont la con-
sonance dise l'origine, si j'aperçois au soleil couchant,
50 LA CHEVRE D OR
près de la mer, sur une cime, quelque village blanc avec
une vieille tour sarrazine, gardant encore ses créneaux
et l'amorce de ses moucharabis.
Dans ce pays hospitalier, indulgent aux mauvais chas-
seurs, un fusil jeté sur l'épaule me donnera l'accès auprès
des paysans.
La mission, gratuite d'ailleurs et peu déterminée, que
ton amitié, à tout hasard, m'avait obtenue du ministère,
me fera bien accueillir des savants locaux, des curés, des
instituteurs et me permettra de fouiller les vieux cahiers
de tailles, les cadastres, les résidus d'archives.
Et, après un mois ou deux de cette érudition en plein
air, j'espère te rapporter sinon d'importantes découvertes,
du moins un ami bronzé et solide à la place du Parisien
ultra nerveux que tu as envoyé se refaire l'esprit et le
corps au soleil
îî
LA PETITE CAMARGUE
Mais avant d'entrer en campagne, avant de mettre à
exécution tous ces beaux projets, j'aurais besoin de me
recueillir quelques jours. Si j'allais demander l'hospitalité
à patron Ruf ? Il vit sans doute encore. Nous sommes liés
depuis quatre ans, et voici comment je fis sa connais-
sance.
Je voyageais, suivant la côte de Marseille à Nice, quand
un soir, pas bien loin d'ici, aux environs de l'Estérel, mon
attention fut attirée par une demeure rustique dent la
singularité m'intéressa.
C'était, au pied d'un rocher à pic, une de ces cabanes
basses spéciales au delta du Rhône, faites de terre battue
et de roseaux et d'une physionomie si caractéristique
avec leur toit blanc de chaux relevé en corne.
Le rocher, évidemment, plongeait autrefois dans la
mer ; mais l'amoncellement de sables rejetés là par les
courants, l'alluvion d'une petite rivière dont l'embou-
chure paresseuse s'étale en dormantes lagunes avaient
peu à peu fait de la baie primitive une étendue de limon
saumâtre coupée çà et là de flaques d'eau où poussent
des herbes marines, quelques joncs et des tamaris.
Trouver ainsi en pleine Provence levantine une minus-
cule Camargue et sa cabane de gardien avait déjà de quoi
me surprendre ; mais mon étonnement fut au comble
quand j'aperçus, raccommodant des filets devant la porte,
une femme vêtue du costume camarguais.
A mon approche l'homme sortit. Je le saluai d'ua
32 LA CHÈVRE D'OR
« bien le bonjour I » provençal. Au bout de dix minutes
nous nous trouvions les meilleurs amis du monde.
Ruf Ganteaume, et plus usuellement patron Ruf, com-
promis en 185 1 pour avoir avec son bateau facilité la
fuite de quelques soldats de la résistance, s'en était tiré
à bon compte, évitant Cayenne et Lambessa, par un
internement aux environs d'Arles.
Plus heureux que d'autres, en sa qualité de pêcheur,
il put gagner sa vie sur le Rhône, se maria et revint au
pays après l'amnistie, ramenant une belle fille noire, Tar-
dif des Tardif de Fourques et qu'il continuait à appeler
Tardive.
Ruf et Tardive avaient un fils qu'ils voulurent me pré-
senter.
On appela : « Ganteaume ! Ganteaume ! » Je m'atten-
dais à quelque solide gaillard déjà tanné par le soleil et
la mer ; je vis sortir d'une touffe de tamaris un tard venu
de dix ans, les cheveux ébouriffés, l'air sauvage, tenant
par les pattes une grenouille énorme qu'il venait de cap-
turer. C'était M. l'Aîné, porteur du nom, c'était Gan-
teaume.
Je parvins à apprivoiser Ganteaume et vécus chez ces
braves gens toute une semaine. J'avais promis de leur
donner de mes nouvelles. Je ne l'ai point fait. Me recon-
naîtront-ils après quatre ans?...
lis m'ont reconnu, et j'ai trouvé toutes choses en état.
Une cabane toujours neuve ; car Ruf, à chaque au-
tomne, en renouvelle la toiture en roseaux, et Tardive
tous les samedis, Ganteaume tenant le seau où flotte la
chaux délayée, rebadigeon
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