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I
L'A B C DE L'ARGENT
EN VENTE CHEZ LE MÊME EDITEUR
LES IDÉES DE M. CARNEGIE
L.'EMPIRE OES AFFAIRES
Traduit de l'Anglais par Arthur MAILLET
Préface de Gabriel BONVALOT
Dixième mille
Un volume in-18. — Prix 3 50
SOUS PRESSE :
LES IDÉES DE M. CARNEGIE
DÉMOCRATIE TRIOMPHANTE
Traduit de l'Anglais par Arthur MAILLET
Un volume in-18. — Prix 3 50
n
LES IDÉES DE M. ANDREW CARNEGIE
L'A B C
de l'Argent
PAR ANDREW CARNEGIE
Traduit de V anglais par Arthur MAILLET
PARIS
ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
26, RUE RACINE, 26
Droits de Iraduction el de reproduction réservés pour tous les pays^
y compris la Suède et la Norvège.
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BIBLIOTHECA
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M. Carnegie
M. CARNEGIE
QUELQUES NOUVEAUX DETAILS BIOGRAPHIQUES
V Empire des affaires a eu un succès pro-
digieux. En moins de trois mois^ dix mille
exemplaires ont été vendus. Et la vente conti-
nue ! Pour trouver un succès analogue, il faut
pénétrer dans le domaine de la pornographie.
Que les dieux soient loués ! C'est peut-être
le signe que le goût des français, — et
aussi hélas ! des françaises — , revient à des
choses plus saines. C'est en tout cas, le
signe bien certain que l'inquiétude est entrée
dans leur esprit et qu'ils ont compris que le
temps était venu de s'occuper de questions
plus sérieuses que des « histoires de femmes »
contées avec plus ou moins de talent.
Ce succès nous a engagé à publier le pré-
b L A B C DE L ARGENT
Voici sur ce point l'opinion de M. Stead :
« M. Carnegie a des dons que beaucoup
d'hommes ayant des prétentions littéraires
pourraient lui envier. Il est simple, naturel et
clair. Quelques-uns de ses articles sont des
modèles d'exposition et d'argumentation serrée.
Il a parcouru le monde entier, et partout il a
soigneusement observé les hommes et les cho-
ses. Il est doué d'une excellente mémoire et
d'une association d'idées très prompte. Aussi
ses essais abondent-ils en exemples heureux et
en citations. Le grand charme de son style, c'est
le naturel. Il sait intéresser les lecteurs même
avec des statistiques ».
M. E. Ledrain a consacré à V Empire des
Affaires un long et consciencieux article, dans
V Illustration. Il a fort bien vu en M. Carnegie
le poète et l'écrivain, et il les a ainsi définis :
« ... Cet homme d'affaires, dit-il, est en
même temps un grand moraliste. N'est-ce pas
aussi un poète ? N'a-t-il pas apporté dans sa
royauté de l'acier, et dans toutes ses entrepri-
ses, cette dose d'imagination sans laquelle rien
de grand n'est possible ? En Pasteur, son beau-
père, M. Valéry Radot, nous a montré un
poète qui concevait rapidement, qui, comme
M. CARNEGIE [7
sur des ailes, était porté tout à coup jusqu'au
sommet. Le savant positif redescendait ensuite,
remontait pédestrement, pas à pas, la monta-
gne qu'il avait franchie d'un seul coup, véri-
fiant exactement chaque chose. Ainsi semble
procéder M. Carnegie. Il y a comme un Pégase
qui le prend et l'enlève et puis, son esprit clair,
positif, s'assure de tous les points, les examine
minutieusement. On ne fait rien de grand qu'à
cette double condition. Point de génie créateur,
sans poésie sublime à la racine.
« On éprouvera à la lecture de ces oraisons
de M. Carnegie, un plaisir infini. Il n'y a pas
de lettrés plus savoureux que les hommes
étrangers aux lettres, mais qui marquent par
leur esprit transcendant dans un autre spécia-
lisation. Ils savent trouver les formules origi-
nales, les mots énergiques et neufs. Personne
n'est capable, parmi les professionnels de la
littérature, de donner une émotion littéraire
aussi profonde que M. Carnegie ».
M. Carnegie a trois ardentes passions : sa
mère, l'Ecosse, son pays natal, et l'Amérique,
8 l'a b g de l'argent
son pays d'adoption. Sur ces trois sujets, il est
intarissable, lis reviennent continuellement sur
ses lèvres ou sous sa plume. Pour en parler, il
trouve des accents d'une grande éloquence.
En tête d'un de ses livres, il a écrit ces mots :
/ dedicate thèse pages
to
my Favourite Héroïne
MY MOTHER
Je doute qu'un fils, fut-il un très grand poète,
ait jamais trouvé pour exprimer l'amour et
l'admiration que lui inspirait sa mère, des mots
plus expressifs que ces trois mots : My Favou-
rite Héroïne. Ils valent le plus long poème.
M. Carnegie ne se maria qu'à l'approche de
la soixantaine. Tant que sa mère vécut, il ne
voulut pas, — malgré ses instances — , donner à
une autre femme, la plus petite part de son
affection, comme s'il eut craint qu'il n'en res-
tât plus assez pour l'admirable femme qu'il
appelait aussi son Ange gardien et sa Sainte,
Son amour pour l'Ecosse éclate, à travers
tous ses écrits en phrases passionnées. Il
s'écrie :
M. CARNEGIE 9
(( Existe-t-il des peuples qui aiment leur pays
aussi passionnément que les Ecossais aiment
le leur ? J'entends le sol même, les atomes
dont ses montagnes et sBs vallons sont faits.
J'en doute... L'Ecosse occupe toujours la pre-
mière place dans le cœur des Ecossais. Certains
d'entre eux, j'en ai la conviction, lorsqu'ils
entreront au Paradis, le critiqueront, s'il ne le
trouvent pas semblable à l'Ecosse ».
Et encore ces lignes, écrites à l'occasion
d'un de ses voyages en Ecosse :
(( Oh ! Ecosse, mon pays natal, ton fils exilé
te revient, avec des sentiments d'amour tels
qu'aucun homme n'en éprouva jamais pour sa
propre patrie. Je remercie Dieu de m'avoir fait
naître écossais, car je ne vois pas comment
j'aurais pu m'accommoder de tout autre pays ».
Il vient d'arriver, en compagnie de sa mère,
à Dumferline, sa ville natale, après une absence
de nombreuses années. La cloche de l'abbaye
se met à sonner. Et aussitôt tous les souvenirs
de sa jeunesse de se presser en foule dans son
cœur attendri :
« J'étais debout, dit-il, sur le siège, à l'avant
de la voiture, quand les premiers sons de la
cloche de l'abbaye frappèrent mon oreille. Mes
10 l'a b c de l'argent
genoux fléchirent sous moi, et des larmes montè-
rent à mes yeux. Je crus que j'allais m*évanouir.
(n ... Jamais sur cette terre mon oreille ne sera
frappée, ni mon âme remuée par un son capa-
ble de me dominer et de m'émouvoir de façon
aussi puissante, aussi douce et aussi attendris-
sante que le son de la cloche de mon pays.
« C'est elle qui, chaque soir, m'annonçait que
le moment était venu d'aller dormir, dans mon
petit lit, le sommeil de l'innocence. Mon père et
ma mère, tantôt l'un et tantôt l'autre, m'avaient
enseigné, quand ils se penchaient avec amour,
au-dessus de ma tête, ce que cette cloche disait.
Combien de bonnes paroles m'ont été ainsi tra-
duites par eux ! Jamais je ne commis de fautes,
durant le jour, sans que cette voix ne me les
reprochât doucement avant que je m'endorme.
Elle me disait très clairement que notre père
à tous, du haut du ciel, avait tout vu, qu'il
n'était pas irrité, mais si attristé ! Aujourd'hui
encore, je ne suis pas sourd aux accents de cette
cloche. Elle parle à mon âme. En ce moment,
elle sonnait pour fêter le retour de la mère
et du fils exilés qui venaient se replacer sous
sa protection.
« Le monde ne saurait inventer et encore
M. CARNEGIE II
moins accorder une récompense semblable à
celle que nous donna la cloche de Tabbaye
quand elle sonnait en notre honneur.
« Mais mon frère Tom n'était pas là I Cette
pensée attristait nos cœurs. Quand nous par-
tîmes pour les pays plus neufs que le nôtre,
lui aussi commençait à comprendre les accents
de cette cloche merveilleuse.
« Rousseau souhaitait de sortir de ce monde
aux accents de la musique. S'il m'était donné
de faire un choix, en pareille matière, je deman-
derais que la cloche de l'abbaye m'accompagnât
jusqu'aux portes de l'éternité, en me parlant de
ma vie écoulée, et en m'invitant à dormir paisi-
blement mon dernier sommeil >.
Un des premiers livres de M. Carnegie fut
écrit en l'honneur de l'Amérique. (1)
« Ce livre, dit M. Stead, nous rappelle les
exclamations de surprise, d'émerveillement et
de plaisirs qui s'échappent des lèvres d'un
enfant intelligent qu'on promène à travers les
salles d'un palais ou d'un musée. A mesure que
les merveilles passent sous ses yeux, il crie son
(1) Triunphant Democracy. La traduction de ce livre est en pré-
paration.
12 LA B G DE L ARGENT
admiration... A la fin, on se sent fatigué par
cette admiration continuellement répétée des
merveilles du Nouveau Monde. Nous ne pouvons
contester la vérité de ses assertions, mais nous
sommes un peu dans l'état d'esprit des Athéniens
quand ils bannirent Aristide ».
Ce livre portait la dédicace suivante : A la
République bien aimée, sous les lois de
laquelle je suis Vègal de tout autre homme,
tandis que Vègalité politique Tn'est refusée
par mon pays natale je dédie ce livre, avec
une intensité de reconnaissance, et une admi-
ration que ses citoyens de naissance, ne peu-
vent ni ressentir, ni comprendre.
Après une telle déclaration, on devine que
M. Carnegie n'est pas un ami de la royauté. A
diverses reprises, il s'est exprimé là dessus, en
termes d'une violence extrême, dont voici un
échantillon :
« Des hommes peuvent éprouver à embrasser
la main de la reine le sentiment de fierté
qu'ils éprouveraient à embrasser la main de
toute autre femme de bien. Mais quand le
prince de Galles tendra sa main, et que
MM. Chamberlain, Morley, Collinge, Broa-
dhurst, Treveylan, Fowler et d'autres seront
M. CARNEGIE l3
obligés d'embrasser cela! Est-ce que même
des radicaux ne considéreront pas cet acte
comme une dégradation, comme une tache sur
leur honneur d'homme? En tout cas, l'homme qui
éprouvera les sentiments qu'il doit éprouver,
quand la main sera tendue vers lui, ou bien
sourira à l'idée qu'on le croit capable de
s'abaisser ainsi, et la secouera gaiement, ou
bien il abattra sa Majesté à ses pieds ».
Cette phrase de Triumphant Democracy
amena l'intervention du grand jury qui siégeait
à Wolverhampton. Il jugea que ce livre ne
pouvait figurer dans la bibliothèque gratuite de
la ville. Il engagea le bibliothécaire à le faire
disparaître, et, en même temps, à poursuivre
l'éditeur. Celui-ci répondit qu'il n'avait pas
l'autorité nécessaire.
Ce livre contenait les principales idées de
M. Carnegie sur l'Amérique. Il n'a rien
perdu de son intérêt, bien qu'il compte
plusieurs années d'existence. Depuis qu'il
a paru, l'Amérique a subi de grandes trans-
formations matérielles et morales. Notam-
ment, elle n'est plus la grande nation paci-
fique que M. Carnegie croyait incapable de
prendre les armes contre les autres. Elle a déjà
i4 l'a b c db l'argent
sur la conscience, — - en admettant qu'elle ait
une conscience — , la guerre des Philippines.
Mais les idées générales du livre restent bonnes
à connaître et à méditer.
J'ai dit : dans le précédent volume que
M. Carnegie avait songé un instant à jouer un
rôle politique en Angleterre et à créer des jour-
naux à un sou. Il abandonna ce projet unique-
ment parce que M. Morley refusa d'en prendre
la direction et qu'il ne jugea aucun autre homme
digne de cette tâche.
M. Carnegie est partisan du Home Rule,
mais non à la façon de M. Gladstone. Tout
comme Gecil Rhodes, il pense que le seul
remède possible serait d'appliquer à l'Irlande
les principes de la constitution américaine et de
la traiter comme si elle était un Etat de l'Union
Fédérale. Il essaya, par une lettre rendue publi-
que, de gagner le Times à cette façon de voir.
Ce fut en vain. Depuis il a cessé de s'intéresser
àla question, au moins publiquement.
Sur le régime foncier, il a des idées très
arrêtées. Il est l'adversaire résolu du système
anglais. Son idéal est une ferme de 200 acres (1),
(1) L'aere vaut 40 ares 4671.
M. CARNEGIE l5
pour le plus grand nombre possible de familles
de fermiers. Il ne pense pas que ces familles
puissent vivre à Taise sur une étendue moindre.
Je lui laisse encore la parole :
« Les forces actuellement en jeu dans le
monde tendent à développer l'Individualisme.
Nous ne connaissons rien qui puisse rem-
placer la magie de la propriété. Donnez à
un homme un petit bout de terre, et il en fera
un jardin. Donnez-lui un enfant, et il consacrera
à l'éducation de cet enfant le meilleur de son
cœur et de son argent. Par tous les moyens
possibles, on doit amener les hommes à
économiser et à devenir propriétaires de leur
maison. Je ne crois pas qu'un homme puisse
atteindre le développement complet de sa virilité
s'il ne possède sa maison et sa ferme. Les grands
propriétaires qui louent des terres à des fer-
miers tiennent ces fermiers dans une situation
analogue à celle des serfs. Ce qui fait de
l'Amérique un pays si conservateur, — il est le
plus conservateur du monde — , c'est que cinq
ou six millions de ses citoyens sont proprié-
taires de leurs terres et de leur maison. Vous
ne pouvez prêcher le socialisme à ces gens-là.
Le nombre des fermes en Amérique dépasse
i6 l'a b g de l'argent
cinq millions. D'ordinaire, en Amérique, tout
cultivateur, — et tout allemand — possède sa
maison ».
*
* *
M. Carnegie et M. Cecil Rhodes ont, sur les
devoirs les gens riches, à l'égard de leurs sem-
blables, au moins une idée commune. Tous
deux pensent qu'ils doivent employer leur
argent a des œuvres d'intérêt général. On sait
comment M. Rhodes disposa de toute sa fortune,
à sa mort, en faveur de diverses institutions.
Mais ce faisant, il péchait contre l'Evangile de
la Richesse tel que le prêche M. Carnegie.
Selon cet Evangile, le millionnaire doit disposer
de sa fortune avant sa mort, afin d'éviter
les risques que courent les testaments les
mieux faits, et aussi afin de surveiller la façon
dont l'argent est employé.
D'autres différences séparent M. Carnegie
et M. Rhodes, et il n'est pas sans intérêt
de tracer un bref parallèle, entre les princi-
pales idées de ces deux hommes. J'aurai encore
recours pour cela, à M. W. Stead qui consa-
cra à M. Cecil Rhodes, ces années dernières,
une étude aussi complète qu'à M. Carnegie.
M. CARNEGIE I7
« M. Cecil Rhodes n'est pas Thomme des
mots, mais des faits. Il a la réputation d'être
riche, et il est très vrai qu'il manie des mil-
lions. Mais j'ai rarement connu un homme riche,
qui ait moins d'argent disponible. Si aujour-
d'hui quelqu'un donnait un million de livres
sterling à M. Cecil Rhodes, demain il ne lui res-
terait pas un penny. Dès qu'il a de l'argent, il
le met au service de son idée d'Impérialisme.
Sans doute, un socialiste critiquerait un tel
emploi de cet argent. Mais M. Cecil Rhodes et
un socialiste sont d'accord sur ce point, que
l'argent doit être consacré à des œuvres d'inté-
rêt général et non à des usages personnels.
« ...M. Rhodes ne se pose pas en socialiste,
mais il admet que ses idées sont essentiellement
socialistes. Il dénonçait devant moi la conduite
d'un de • ses amis riches qui ne consacra que
la moitié de ses millions à des œuvres d'intérêt
général et qui partagea l'autre moitié entre ses
enfants. « Aucun homme, dit-il, ne devrait lais-
ser d'argent à ses enfants. L'argent est un mal-
heur pour eux. Le meilleur service que nous
puissions rendre à nos enfants, c'est de leur don-
ner la meilleure éducation possible, et ensuite de
les lâcher dans le monde sans un sou en poche.
a.
i8 l'a b g de l'argent
Qu'arrive-t-il quand vous laissez de Targent à
vos enfants ? Plus rien ne les pousse à l'effort. Ils
dépensent leur argent à boire, à entretenir des
femmes et à jouer. Ils déshonorent leur nom ».
M. Cecil Rhodes comprenait son rôle ici-bas,
de la façon suivante :
« Il se mit à rechercher, dit M. Stead, quels
étaient les spécimens de la race humaine les
plus accomplis, et il se demanda qu'elle était
la race qui avait le mieux établi son état social,
sur ces trois pierres angulaires : Justice, Liberté
et Paix. Il arriva bien vite à la conclusion que
la race qui, à l'heure actuelle fait, et qui vrai-
semblablement, dans l'avenir, continuera à faire
le plus d'efforts pratiques et utiles, en vue
d'établir le règne de la Justice, de la Liberté et la
Paix, sur la plus grande étendue possible de la
planète, c'est la race de langue anglaise, com-
prenant l'Angleterre, l'Amérique, l'Australie,
et... le sud de l'Afrique.
« S'il y a un Dieu, pensa-t-il,et s'il s'inquiète
de ce que je fais, il est clair qu'il désire que je
fasse ce qu'il fait lui-même. Et comme manifes-
tement il a choisi la race anglaise, comme l'ins-
trument au moyen duquel il veut amener sur
cette terre, un état social basé sur la Justice,
M. CARNEGIE I9
la Paix et la Liberté, il doit évidemment sou-
haiter que je fasse de mon mieux, pour fournir
à cette race, tout le pouvoir et toute la sphère
d'action possible. Si donc il y a un Dieu, je
crois que son désir est que je travaille à tein-
dre en rouge la plus grande surface possible
de la carte du sud de l'Afrique, et de faire
ailleurs, ce que je pourrai pour amener l'unité
et étendre l'influence de la race anglaise. ».
M. Carnegie croit comme M. Rhodes, que la
race de langue anglaise a pour mission de
travailler au progrès de l'humanité. Mais Cecil
Rhodes veut atteindre ce résultat, au moyen
de l'Impérialisme, ce qui justifie la guerre du
Transvaal. M. Carnegie, au contraire, est grand
ennemi de l'Impérialisme et de toute idée
d'expansion. Une race soumise à une autre race,
lui semble une monstruosité. Il n'admet pas la
théorie des races inférieures. Tous les hommes
sont nés libres et égaux, sans distinction de
race ou de couleur.
Il fait siennes les paroles fameuses d'Abraham
Lincoln : « Aucun homme n'a le droit de gou-
verner un autre homme, sans son consentement .
Je crois que c'est là le principe dirigeant, l'an-
cre de salut de l'américanisme. Quand l'homme
20 L A B G DE L ARGENT
blanc se gouverne lui-même, il fait du self-
govern'tnent ; quand en plus, il en gouverne
un autre, il ne fait plus du self-government,
mais du despotisme. »
Ceux qui refusent la liberté aux autres, ne la
méritent pas pour eux-mêmes. M. Rhodes accep-
tait cette doctrine sans réserve quand elle s'ap-
pliquait à la race blanche ; mais il soutenait
qu'il est impossible de gouverner les races de
couleur avec ces mêmes principes de liberté.
Le Hottentot, le Chinois n'entendent rien aux
principes de la démocratie. Il faut, ou bien ne
pas s'occuper d'eux, ou bien les gouverner des-
potiquement. M. Rhodes accepte le dernier terme
de l'alternative, et M. Carnegie le premier.
M. Carnegie voudrait qu'on laissât les races de
couleur absolument tranquilles et libres de vivre
comme elles l'entendent. Il considère l'Inde
comme une pierre au cou de l'Angleterre,
et la guerre des Philipines comme une
monstrueuse injure faite à l'idéal américain de
gouvernement.
(( L'impérialisme, dit M. Carnegie, n'est un
devoir sacré que dans le cas où, sans une inter-
vention violente, on peut rendre des services
à une race inférieure. Dans tout autre cas, cette
M. CARNEGIE 21
intervention est « une criminelle agression ».
Cette dernière a-t-elle des effets bons ou mau-
vais ? De cela, il est facile de se rendre compte, car
les puissances européennes ont de nombreuses
dépendances sur la surface de la terre. L'in-
fluence de la race supérieure sur la race inférieure
a-t-elle profité à l'une ou à l'autre de ces races
soumises? J'ai visité beaucoup d'entre elles, et
nulle part je n'ai constaté qu'il en fut ainsi.
« Tout tend à prouver que l'influence d'une
race supérieure sur une race inférieure habi-
tant les tropiques a été démoralisante. La race
conquérante ne peut se développer sous ce
climat, et, là où une race ne peut se développer,
elle ne peut rien pour la civilisation des autres.
Elle ne saurait que retarder leur développe-
ment, et non pas le hâter. L'Inde a été soumise
à la domination anglaise, pendant près de deux
cents ans, et aujourd'hui encore pas une seule
pièce d'artillerie n'est confiée aux troupes
indigènes. Les Indiens doivent être contenus
avec autant de rigueur qu'au début. Il en est
de même dans toutes les possessions où le plus
fort s'arroge le droit de gouverner le plus
faible, sans être capable de s'installer à ses
côtés et de se fondre avec lui. Nous mettons
aa
LA B C DE L ARGENT
au défi les Impérialistes de nous montrer dans
toutes les possessions britanniques un seul
exemple contraire ».
*
* *
« L'Empire des affaires » traduit en Alle-
magne, à peu près en même temps qu'en France,
y a excité une vive curiosité, mais, en même
temps de Tirritation. M. Carnegie, à diverses
reprises, parle en termes très flatteurs des
Allemands, mais il les place après les Améri-
cains, en tant qu'industriels, et leur amour-
propre refuse de se contenter d'une seconde
place, même aussi estimable. Cela amena plu-
sieurs journaux à prétendre que M. Carnegie
disait d'excellentes choses, notamment sur les
rapports entre les patrons et les ouvriers, mais
qu'il se gardait bien de les appliquer. Ils
rappelèrent la fameuse grève des usines de
Homestead qui eut lieu, il y a une dizaine
d'années, et fut d'une violence inouïe. Les
troupes de police du colonel Pickerton, appe-
lées pour défendre les usines, furent enfer-
mées et subirent un véritable siège. Le sang
coula, les victimes furent nombreuses. Les
M CARNEGIE 23
grévistes essayèrent d'empoisonner les hommes
qui travaillaient, en s'introduisant dans les
cuisines et mêlant du poison à leur nour-
riture.
Cette grève fut par la suite l'objet d'une
enquête ordonnée par le congrès. Le souvenir
en fut maintes fois rappelé par les ennemis de
M. Carnegie, qui voulurent faire remonter jus-
qu'à lui une bonne part de la responsabilité.
La vérité est qu'il était en Ecosse à cette
époque, et que l'opinion unanime fut qu'il n'y
aurait pas eu de grève, s'il eût été présent.
Après cette grève, M. Carnegie établit dans
ses usines, la participation aux bénéfices, au
moyen d'une échelle mobile. Les hommes l'ac-
ceptèrent avec empressement, mais plus tard,
à l'instigation de meneurs, ils refusèrent d'exé-
cuter ce contrat et en demandèrent la revision.
Pour l'obtenir ils se mirent en grève. Le récit
des rapports de M. Carnegie avec ses ouvriers
à cette occasion, mérite d'être raconté. M. Car-
negie vécut toujours avec ses ouvriers sur le
pied d'une cordiale familiarité. Il prétend
qu'on peut faire d'eux ce qu'on veut si on les
traite avec franchise et droiture.
Quand les délégués se présentèrent, M. Car-
24 l'a b c de l'argent
negie, les accueillit avec cordialité, se moqua
d'eux parce qu'ils laissaient les usines inac-
tives, leur demanda quand ils se remettraient à
la besogne, puis changeant subitement de
ton : « On vous a dit, mes amis, que je n'en-
trerais jamais en lutte avec mes ouvriers,
que jamais je n'aurais de disputes avec eux.
C'est la vérité absolue. Mais quand on est allé
plus loin et qu'on a prétendu que je ne lutterais
jamais contre vous, en dépit de tout ce que
vous pourriez faire, on a oublié que j'étais un
« écossais ». Je ne serai jamais l'ami d'ouvriers
américains qui se déshonorent en violant un
contrat qu'ils ont accepté de leur plein gré.
Vous avez fermé les usines, c'est votre droit.
Mais il n'y a qu'une personne au monde qui
puisse les rouvrir. Cette personne, c'est le
(( petit patron » (1). Quand vous désirerez qu'il
les ouvre, vous aurez à lui demander son con-
sentement, et il ne vous cédera que quand
vous serez prêt à signer un engagement que
vous respecterez. Au revoir, Messieurs ».
A la réunion du Syndicat, le soir même,
(1) M. Caroegie a été suraommé par ses ouvriers le « the litt' «
boss ».
M. CARNEGIE 25
quand les délégués rendirent compte de leur
entrevue avec lui, le président résuma ainsi ses
impressions : « Mes amis, le « petit patron, »
pour me parler, s'est installé dans sa chaise, et
je crois qu'il y tournera à l'état de squelette
plutôt que de se lever, si vous n'acceptez pas
ses conditions ».
M. Carnegie partit pour New-York où une
délégation des grévistes le rejoignit. Il leur
demanda s'ils avaient un pouvoir en règle pour
accepter les nouvelles conditions. Sur leur
réponse négative, il leur dit : « Au revoir,
Messieurs. Je regrette que vous ayez pris la
peine de venir à New-York » .
La délégation revint à quelques jours de là.
Cette fois, elle avait le pouvoir demandé.
M. Carnegie conduisit les délégués au « Central
Park », leur offrit à dîner chez Deimonico et
présenta à leur signature le nouveau contrat.
Ce contrat comprenait le principe de la hausse
et de la baisse des salaires, suivant les fluctua-
tions du marché, et, il réglait les conditions,
dans lesquelles les livres et les pièces de comp-
tabiUtés seraient examinées par les représentants
du Syndicat.
Les ouvriers demandèrent s'ils pouvaient
3
26 l'a b c de l'argent
signer comme délégués de leurs camarades :
« Certainement, dit M. Carnegie. Vous pouvez
signer comme il vous plaira». Ils signèrent en
toute hâte. Cela fait, M. Carnegie leur dit :
« Puisque je vous ai fait le plaisir de vous
laisser signer comme vous le vouliez, voulez-
vous à votre tour me faire le plaisir de signer,
sous votre responsabilité personnelle ». Les
délégués étaient acculés et ne purent refuser.
Ainsi se termina la seule collision que M. Carne-
gie ait jamais eue avec ses ouvriers.
Des détails sur le fonctionnement de la par-
ticipation aux bénéfices, se trouvent dans un
des chapitres de ce volume.
* *
Au-dessus du château de Skibo flotte un
drapeau, américain d'un côté, anglais de l'autre,
symbole des deux patries de M. Carnegie.
M. Stead a visité plusieurs fois Skibo, et du récit
de ces visites, je tirerai les détails qui achève-
ront de compléter la curieuse figure de ce
milliardaire.
« M. Carnegie, est le plus aimable, le plus gai,
et le meilleur des mortels. Quoique dans sa
M. CARNEGIE 27
soixante sizième année, il a conservé pour tous
les amusements simples, sains et naturels,
Tardeur d'un jeune homme de dix-sept ans.
L'énorme fortune qu'il a amassée, au cours de
sa vie, à raison d'un million par an, n'est pas
pour lui un poids trop lourd. « Sa tête cou-
ronnée ne repose jamais en paix », sont des
mots qui ne s'appliquent pas à ce roi sans
couronne du monde moderne. Il est aussi
guilleret qu'un moineau, et ne semble pas
porter davantage de responsabilités.
«Voilà l'homme tel que je le connais. Il est
possible qu'il ait une autre face, mais je ne l'ai
pas découverte. En ma présence, il a toujours
été amusant et enjoué, se délectant d'une
plaisanterie, adorant une bonne histoire, et
riant de bon cœur, quand il vous avait donné
une poussée espiègle dans les côtes. J'ai
conservé le souvenir de notre dernière conver-
sation. Il y avait là deux ou trois personnes,
dont un fonctionnaire de la ville assez gêné
en la présence d'un puissant millionnaire.
Mais le puissant millionnaire n'était pas
d'humeur à se laisser flatter^ et, tout le temps,
il s'amusa à nos dépens. J'eus ma large part
de sa verve. Il demanda au citadin, le plus
28 l'a b c de l'argent
sérieusement du monde, s'il connaissait la
différence qu'il y a entre « le pape au Vati-
can à Londres (mon adresse télégraphique),
et le pape qui vivait au Vatican à Rome » . Le
citadin répondit qu'il n'en voyait aucune.
« Alors, déclara M. Carnegie, je vais vous
la dire. Le pape à Rome sait qu'il n'est pas
infaillible, et le « pape au Vatican » à Londres,
sait qu'il est infaillible ».
« La vie a été bonne pour M. Carnegie, et
il lui en est reconnaissant. Sans doute, il ne
manquera pas de gens pour dire que si la vie leur
avait donné un million Je rentes, ils seraient,
eux aussi, tout en faisant autant de besogne
qu'ils peuvent durant les douze mois de l'année,
de bonne humeur et même enclins à l'opti-
misme. Mais combien d'hommes ayant amassé
des millions, n'ont pas la gaieté de M. Carne-
gie ! Ils ont dépensé leur vie et épuisé les
facultés de leur âme dans l'acquisition de leurs
richesses. Ce ne fut pas le cas de M. Carnegie.
Le travail lui fut un jeu, et en s'amusant, il a
fait plus que la plupart d'entre nous ne peuvent
faire au prix du travail le plus acharné.
M. Carnegie attribue sa fortune tout simplement
à son bon sens écossais.
M. dARNEGIE 29
« Nul ne repousse avec plus de force toute
prétention à un talent exceptionnel et à plus
forte raison, au génie. Pourtant M. Carnegie est
un homme de génie à sa façon, et un génie tout à
fait exceptionnel. So,n génie ne se manifeste pas
seulement dans l'acquisition de l'argent. Il fait
preuve, dans l'apréciation des événements de ce
monde d'une clairvoyance supérieure à celle de
presque tout autre homme. A coup sûr, je ne
connais aucun homme d'Etat, dans notre pays
ou à l'étranger, qui ait un coup d'œil aussi
étendu, qui se soit livré à tant de prophéties
et dont les prophéties se soient aussi conti-
nuellement réalisées. M. Carnegie peut, lors-
qu'il passe en revue les affaires de son pays
et de l'Angleterre, dire à tout propos : « Je vous
l'avais bien dit... » Dans ces conditions, doit-on
s'étonner qu'il soit un petit homme de bonne
humeur, content de lui-même, du monde et de
tout ce qu^'il contient ?
« M. Carnegie n'aime pas être battu au golf,
surtout chez lui, et ses courtisans — car il a
ses courtisans, comme tous les autres grands
sur la terre — ont grand soin de ne jamais
jouer mieux que leur hôte. M. Carnegie aime
pasionnémentcejeu. Comme mes seuls rapports
3.
3o l'a b c de l'argent
avec le jeu de golf ont consisté à servir de
caddy à mes amis, je ne suis pas en état
d'exprimer une opinion sur les talents de
M. Carnegie. Je sais seulement qu'il en tire du
plaisir et de la santé, et n'est-ce pas là tout ce
qu'un homme sage doit demander à un jeu ?
« Chez lui, M. Carnegie est simple et cordial.
[1 a une telle horreur du tabac que nul ne fume
dans sa maison. Pour s'adonner à ce plaisir, il
faut aller dans le parc. M""^ Carnegie est une
hôtesse charmante. Sa fille qui est l'idole de ses
parents, a autant que n'importe quelle enfant sur
cette terre, toutes les chances d'être gâtée. Elle
est fille unique. Son père et sa mère raffolent
d'elle. C'est une intelligente et jolie petite fille,
avec des manières plaisantes et aimables.
« D'après un journal de New-York, elle a fait
don d'un lion vivant au Jardin Zoologique de
cette ville. L'idée de ce don lui était venue en
entendant les histoires d'un chasseur-natura-
liste en visite chez son père. Les récits d'élé-
phants, de tigres et de lions l'avaient tellement
fascinée qu'elle demanda à son père de prier
cet explorateur de lui acheter un véritable lion
et de le placer dans le parc où les enfants pour-
raient le voir. »
M. CARNEGIE 3l
J'ai raconté dans V Empire des affaires^ que
la famille de M. Carnegie avait quitté l'Ecosse
pour l'Amérique dans un état voisin du dénû-
ment. Le fait suivant raconté par M. Stead,
montre qu'il n'y avait là aucune exagération.
Madame Carnegie avant de s'embarquer avait
dû emprunter à une voisine quelques shillings
avec promesse de les rendre, dès que la fortune
lui sourirait. Longtemps après, quand elle
revint en Ecosse, elle paya ses dettes avec les
intérêts, mais celle-là fut oubliée. Nul n'en
aurait plus entendu parler, si l'entreprenant
administrateur d'une drogue pharmaceutique
ne l'avait ramenée aii jour, de façon inatten-
due.
Il avait choisi comme sujet d'une des
petites brochures qu'il tire chaque année à des
millions d'exemplaires, pour sa publicité :
«M. Carnegie et ses millions », et il avait offert
un prix à ceux de ses lecteurs qui donneraient
un avis dont M. Carnegie ferait son profit.
Parmi les milliers de réponses reçues se trou-
vait celle-ci : « Le meilleur usage que M. Car-
negie peut faire de son argent, c'est de payer
les dettes de sa mère ». L'auteur de la lettre
ajoutait que les filles de la voisine à qui
32 l'a b c de l'argent
Madame Carnegie avait emprunté ces quelques
shillings habitaient l'Ecosse. M. Carnegie eut
connaissance de cette lettre. Après avoir vérifié
l'exactitude du fait, il calcula à combien la
dette s'élèverait si la somme avait été prêtée à
5 0/0, et à intérêts composés. Cela montait à
environ 8 livres sterlings 15 shillings. Il fit
deux chèques de cette somme, et les en-
voya à chacune des filles, auxquelles il paya
ainsi 17 livres 10 shillings pour le rembourse-
ment d'une somme de lo shillings.
M. Carnegie n'appartient à aucune église. Il
est un mélomane passionné. Chaque matin, dans
sa résidence de Skibo, il se fait jouer de l'orgue
et, de ces séances musicales, il dit que « c'est
sa façon de dire la prière en famille ».
Madame Carnegie mène une vie fort retirée.
Un jour que M. Stead lui demandait des détails
sur elle-même, elle lui répondit : « En Amé-
rique, jamais rien n'a été écrit sur moi, et
j'espérais qu'il en serait de même ici. Tout ce
que vous pouvez dire, si vous désirez dire
quelque chose, c'est que je suis . l'épouse
inconnue d'un homme très connu ». — « Mais
vous pouvez ajouter, dit M. Carnegie, qui avait
entendu cette remarque, qu'elle n'en est pas
M. CARNEGIE 33
moins le vrai pouvoir de la maison ».
M. Stead dans tous les articles qu'il a consa-
crés à M. Carnegie insiste sur le bonheur de
vivre qu'il semble éprouver : « Je ne connais
pas, dit-il, d'homme riche ou pauvre, dont le
visage soit aussi continuellement éclairé d'un
sourire de contentement. Après tout, que nous
construisions un palais- de marbre dans un
grand domaine, ou que nous fassions des pâtés
de boue dans la rue, nous tirons de l'occupa-
tion le même plaisir. Qu'importent les maté-
riaux ! Je crois que le plus grand éloge que
je puisse faire du tempérament de M. Car-
negie, c'est de dire qu'il prend autant de plai-
sir à la construction d'une cabane pour l'affût,
et au nivellement d'une route que des gamins
en prennent à barrer les ruisseaux des rues ou
à faire rouler des cerceaux ».
M. Carnegie lit beaucoup et il a une extraor-
dinaire mémoire. Ses écrits et sa conversation
abondent en citations, surtout de Burns et
d'Herbert Spencer. Les murs de Skibo Castle
sont couverts d'inscriptions tirées de ses
auteurs favoris, parmi lesquels il faut aussi
citer Ruskin.
Voici une des inscriptions écrites en lettres
34 L*A B C DE l'argent
d'or sur les murs d'une chambre à coucher
destinée à ses hôtes :
Dors d'un sommeil agréable
Dans cette chambre tranquille
O toi
Qui que tu sois.
Et ne laisse pas
Les soucis d'hier
Troubler la paix de ton cœur.
Ni demain
Chasser ton repos
Avec des rêves de malheurs prochains.
Ton créateur
Est un ami sûr.
Son amour t'entoure
Encore.
Oublie ton existence
Et celle du monde.
Eteins toutes les lumières brillantes.
Les étoiles veillent sur toi
Au-dessus de ta tête.
Dors donc paisiblement.
Bonne nuit !
Ses relations avec ses tenanciers sont des plus
simples : « Au milieu d'eux, il n'est qu'un homme
au milieu d'autres hommes. Pour tout le reste
du monde, il est le propriétaire de la bourse du
moderne Fortunatus ; pour ses tenanciers, il
n'est qu'Andrew Carnegie, continuellement
M. CARNEGIE 35
au milieu d'eux, mettant son nez partout,
s'intéressant à tout ce qui se passe autour de
lui^ et toujours prêt à seconder les nombreuses
œuvres de bienfaisance de Madame Carnegie ».
M. Carnegie est peut-être l'homme du monde
qui reçoit le plus de lettres ; il est aussi celui
qui en écrit le moins. Chaque jour, à Skibo
Castle, il en arrive des centaines, écrites par
des hommes et des femmes de toute classe et
toute condition, qui lui proposent toutes sortes
de moyens de consacrer son argent au bonheur
de l'humanité en général, et à leur bonheur en
particulier. Sur ces centaines de lettres,
M. Carnegie en lit à peine une dizaine.
Si je relate ce fait, c'est que de nombreuses
personnes m'ont écrit pour me demander
l'adresse de M.Carnegie. Evidemment, la plupart
d'entre elles rentrent dans l'une des deux caté-
gories ci-dessus. Qu'elles ne soient donc pas trop
surprises si elles ne recevaient pas de réponse.
Et si elles sont tentées d'accuser M. Carnegie
d'impolitesse, qu'elles veuillent bien réfléchir
qu'à sa place, elles en feraient tout autant.
Cette façon de juger les actes de son prochain
en se mettant à sa place, par l'imagination, est
assurément la meilleure. A. M.
L'Evangile de la Richesse
L'ÉVANGILE DE LA RICHESSE (i)
LE PROBLEME DE L EMPLOI DE LA RICHESSE
A notre époque est échu le devoir de dis-
poser de la richesse de façon à unir les riches
et les pauvres en une harmonieuse fraternité.
Les conditions de la vie humaine ont été non
seulement changées, mais révolutionnées, du-
rant les derniers siècles. Jadis, il y avait peu
de différence entre l'habitation, le costume
et la nourriture du chef et de ses hommes.
Les Indiens en sont aujourd'hui au point où
(l) Extrait de la Norlh American Review, juin et décembre i889.
4o l'a b c de l'argent
l'homme civilisé en était alors. Lorsque je visi-
tai les Sioux je fus conduit au v^igwam du chef.
L'extérieur de ce wigwam était semblable à
l'extérieur des autres, et l'intérieur ne dif-
férait que bien peu de ceux des plus pauvres
guerriers. Le contraste entre le palais du
millionnaire et le cottage du travailleur,
chez nous, donne la mesure des change-
ments apportés par la civihsation. On ne
doit pas déplorer ce changement, mais au
contraire le considérer comme un très grand
avantage. Il est bon, il est même essen-
tiel au développement de la race que les mai-
sons de quelques-uns servent d'asile à tout ce
qu'il y a de plus grand et de meilleur dans la
littérature et les arts, et à tous les raffinements
de la civilisation. Cette grande inégalité est
préférable à l'universelle barbarie. Sans riches-
ses, point de Mécènes.
Le « bon vieux temps » n'était pas un « bon
vieux temps ». Le maître et le serviteur n'étaient
pas aussi heureux que de nos jours. Un retour
à leur ancienne condition, serait un malheur
pour tous deux — surtout pour le serviteur —
et il amènerait la ruine de notre civilisation.
D'ailleurs, bonne ou mauvaise, cette évolu-
l'évangile de la richesse 4i
tion doit être subie. Il n'est pas en notre pou-
voir de la modifier. Acceptons-la donc et tirons-
en le meilleur parti. C'est une perte de temps
que de critiquer l'inévitable.
Il est facile de voir comment le change-
ment s'est produit. Un exemple tiré de l'indus-
trie servira à ma démonstration. Il s'appli-
que à toutes les branches de l'activité humaine,
telles que les inventions de notre époque
scientifique les ont créées. Autrefois, les
objets étaient fabriqués au foyer domestique,
ou dans de petites boutiques qui n'étaient
qu'une partie de la maison. Maître et apprentis
travaillaient côte à côte. L'apprenti vivait
avec le maitre et comme lui. Quand il s'élevait
au rang de maître, sa manière de vivre ne
changeait guère. A son tour, il formait des
apprentis et il les élevait comme il avait été
élevé. Il existait entre les maîtres et les
apprentis une véritable égalité sociale, et
même politique, car ceux qui suivaient la car-
rière industrielle n'avaient pas voix — ou si
peu — dans les affaires de l'Etat.
Avec un tel mode de fabrication, on n'obte-
nait que des articles grossiers coûtant très cher.
Aujourd'hui chacun de nous se procure des
4.
42 l'a, b c de l'argent
produits de qualité excellente, à des prix que
même la génération antérieure à la nôtre aurait
cru impossibles. Dans le commerce, des causes
similaires ont produit des effets similaires. Et
de tout cela nous avons profité. Le pauvre jouit
d'objets que le riche ne pouvait autrefois se
procurer. Les objets de luxe sont devenus des
nécessités de la vie. L'ouvrier a aujourd'hui
plus d'aisance que n'en avait le fermier, il y a
quelques générations. Le fermier a plus de luxe
que n'en avait le propriétaire ; il est mieux
habillé et mieux logé. Le propriétaire a des
livres et des tableaux plus rares, et vit dans
un milieu plus artistique que le roi de jadis.
Sans doute ce changement salutaire n'est
obtenu qu'au prix de grands inconvénients.
Dans l'usine et dans la mine, on rassemble
des milliers d'ouvriers que le patron ne connaît
pas et pour lesquels il n'est guère autre chose
qu'un mythe. Nul rapport n'existe entre lui
et eux. Des castes rigides se forment, et, iné-
vitablement une ignorance mutuelle engen-
dre une méfiance mutuelle. Chaque caste est
sans sympathie pour l'autre, et prête à ajouter
foi à toutes les calomnies. La loi inflexible de
la concurrence oblige ceux qui emploient des
l'évangile de la richesse 43
milliers d'ouvriers à des économies fort stric-
tes, et ces économies sont réalisées, pour une
large part, sur les salaires. Gela engendre de
fréquentes difficultés entre l'employeur et
l'employé, entre le Capital et le Travail, entre
le riche et le pauvre. La société humaine perd
ainsi son homogénéité.
Si les inconvénients de la concurrence —
tout comme ceux qui résultent de notre
amour du luxe et du confort — sont grands,
les avantages de cette concurrence sont plus
grands encore, puisque c'est à eux que nous
devons le prodigieux développement matériel
qui améliore nos conditions d'existence. En
tout cas, que cette loi soit douce ou non, nous
devons dire d'elle ce que nous avons dit des chan-
gements survenus dans la condition des hom-
mes: elle existe, et nous ne pouvons lui échap-
per. On n'a rien trouvé pour la remplacer, et
si elle est parfois cruelle pour les individus,
elle est excellente pour l'ensemble de la
race, puisqu'elle assure le triomphe du plus
capable, dans toutes les branches de l'activité
humaine. Donc, acceptons sans regrets, puis-
que nous ne pouvons les éviter : une grande
inégalité dans les conditions d'existence, la con-
44 L*A B C DE l'aÏ^GENT
centration des affaires industrielles et commer-
ciales dans les mains d'un petit nombre d'hom-
mes et la concurrence entre ces hommes. Tout
cela est non seulement utile, mais indispensable
à l'avenir de la race. Il est évident que les
négociants et les fabricants qui dirigent de
grandes affaires trouvent dans cet état de cho-
ses, un champ très étendu pour leur activité.
Le talent d'organisation et d'administration est
rare. Nous en avons la preuve dans ce fait
qu'il procure invariablement de grandes riches-
ses à ceux qui le possèdent, n'importe où et
dans n'importe quelles conditions. Pour l'hom-
me d'affaires expérimenté, le point le plus
important dans l'appréciation d'un homme,
c'est de savoir s'il a en lui l'étoffe d'un associé. La
question de capital est secondaire. Des hommes
intelligents ont bientôt fait de créer du capital,
et, entre les mains de gens maladroits, le capi-
tal s'enfuit à tire d'aile. Ces hommes intelli-
gents deviennent intéressés dans des maisons qui
manient des millions, et en tenant compte seu-
lement de l'intérêt du capital placé, il est iné-
vitable que leurs revenus excèdent leurs
dépenses et qu'ils deviennent riches. Il n'est
pas pour eux de terrain moyen, car la grande
l'Évangile de la richesse 4^
entreprise industrielle ou commerciale qui ne
gagne pas au moins l'intérê
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