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Idees Directrices Pour Une PhenomenologieE.HusserlTrad: P.RicoeurEd: tel/Gallimard
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Husserl
Idées directrices
pour une
phénoménologie
tOl gallimard
COLLECTION TEL
EDMUND HUSSERL
Idées directrices
pour
une phénoménologie
TRADUIT DE L’ALLEMAND
PAR PAUL RICŒUR
GALLIMARD
Cet ouvrage a initialement paru
dans la « Bibliothèque de Philosophie » en 1950. 9
© Éditions Gallimard , 1950.
IDÉES DIRECTRICES
POUR UNE PHÉNOMÉNOLOGIE
ET UNE PHILOSOPHIE
PHÉNOMÉNOLOGIQUE PURES
TOME PREMIER
INTRODUCTION GÉNÉRALE
A LA PHÉNOMÉNOLOGIE PURE
Le texte allemand original
IDEEN ZU EINER REINEN PHAENOMENOLOGIE
UND PHAENOMENOLOGISCHEN PHILOSOPHIE
a été publié pour la première fois en 1913 en tirage à- part
du Jahrbuch fiir Philosophie tuid phânomenologische
Forschung, t. I, édité par E. Husserl (Max Niemeyer, Halle).
Cette traduction est faite sur la troisième édition (sans
changement) de 192 $.
[7]
PREMIÈRE SECTION
LES ESSENCES ET LA CONNAISSANCE
DES ESSENCES 1
[7] 1- Essence* et connaissance des essences. — Cette première
section des « Ideen » forme une sorte de préface générale à Vœu¬
vre : Il n’y est pas encorè question de phénoménologie ; mais,
comme tout le groupe des sciences auquel elle appartient, la phé¬
noménologie présuppose qu’il existe des essences et une science des
essences (cf. § 18, premières lignes) qui non seulement rassemble
les vérités formelles <^ui conviennent à toutes les essences, mais
encore les vérités matérielles qui régissent leur distribution
à priori en certaines «régions >: la phénoménologie elle aussi met
en oeuvre l’intuition des essences et porte, au moins sous sa forme
rudimentaire, sur une « région » de l’étre.
Le premier chapitre établit de façon directe et systématique ccs
présuppositions. Le second chapitre les confirme par la uoie indi¬
recte de la polémique avec Vempirisme, Vidéalisme, le réalisme
platonicien, etc ...
INTRODUCTION A 1DEEN 1 DE E. HUSSERL
par le traducteur
à Mikel Dufrenne.
Il ne saurait être question, dans l’espace restreint
d une introduction, de donner une vue d’ensemble de
la phénoménologie de Husserl. Aussi bien la masse
énorme des inédits que possèdent les Archives Husserl
à Louvain nous interdit-elle de prétendre actuellement
à une interprétation radicale et globale de l’œuvre de
Husserl. 30.000 pages in-8° d’autographes, dont la pres¬
que totalité est écrite en sténographie, représentent une
œuvre considérablement plus vaste que les écrits pu¬
bliés du vivant de l’auteur. La transcription et la publi¬
cation, partielle ou totale, de ces manuscrits, entreprise
par les Archives Husserl à Louvain sous la direction
du Dr H. L. Van Bréda, permettra seule de mettre à
l’épreuve la représentation que l’on peut se faire actuel¬
lement de la pensée de Husserl, principalemei^t d’après
les Logische Untersuchungen *, Vorlesungen zur Phâ-
nomenologie des inneren Zeitbewusstseins 1 2 , Philosophie
als strenge Wissenschaft 3 , Ideen zu einer reinen P/id-
nomenologie und phânomenologischen Philosophie \ Phe -
nomenology 5 , Fprmale und transzendentale Logik 6 ,
Méditations Cartésiennes 7, die Krisis der europâischen
Wissenschaften und die transzendentale Phànomenolo -
gie 8 , Erfahrung und ürteil
1. l ro éd., t. I (1900), t. II (1901), Niemeyer (Halle ; 2? éd. re¬
maniée en 3 vol. (1913 et 1922) ; 3* et 4» éd. sans changement
(1922 et 1928). Les lecteurs de langue anglaise en ont un ample
résumé dans Pexcellent ouvrage de Marvin Farber : The Founda¬
tion op Phenombnology, Edmond Husserl and the Quest por a
rigourous Science op Philosophy. Cambridge ,(Mass.), Harvard
University Press, 1943. XII + 586 pp. ; cf. partie. 99-610.
2. Leçons extraites d’un cours de 1904-5 et de travaux échelon-
XII
IDÉES
Le but de cette introduction est donc très modeste :
il s’agit d’abord de réunir quelques thèmes issus de la
critique interne des Ideen 1 et dispersés dans le Commen¬
taire ; ensuite d’esquisser, à l’aide des principaux ma¬
nuscrits de la période 1901-1911, Vhistoire de la pensée
de Husserl des Logische Untersuchungen aux Ideen .
i
LE PROGRÈS DE LA RÉFLEXION A VINTÉRIEUR
DE IDEEN I
Il est particulièrement difficile de traiter Ideen I
comme un livre qui se comprend par lui-même. Ce qui
rend la chose plus difficile dans le cas de Ideen I, c’est
d’abord le fait que ce livre fait partie d’un ensemble de
trois volumes dont le premier seul est paru. Ideen II,
que nous avons pu consulter aux Archives Husserl, est
une étude très précise des problèmes concernant la
constitution de la chose physique, du moi psycho-phy¬
siologique et de la personne du point de vue des scien¬
ces de l’esprit. C’est donc la mise en œuvre d’une
méthode qui, dans Ideen I, est seulement présentée dans
nés de 1905 h 1920, édités en 1928 par Heidegger dans le Jahrbuch
füT Philos . u. phünomen, Forschung IX, pp. 367-496 ; reproduites
en tirage à part, Niemeyer (Halle), 1938.
3. Article publié dans la revue Logos I (1911), pp, >289-341.
4. 1^ édition du tome I (seul publié) dans le Jahrhuch..., I, 1913;
2° et 3° édition tirées à part sans changement. Niemeyer (Halle).
_ Trad. anglaise de W>R. Boyce Gibsôn (Londres : George Allen
and Unwin ; New-York, Macmillan ), 1931. Préface de E. Husserl
publiée à part avec de légères modifications sous le titre : Nach -
mort zn meinen c Idebn zu einer reinen phaenomenologib ünd phajs-
nomenolotiISChen Philosophie, Jahrbuch .. 1930 ; tirage à part Nie-
nieyer, 1930. — E. Levinas en a donné un bon résumé dans laiter;.
Phil t mars-avril 1929 : « Sur les Ideen de Af. E. Husserl ».
5. Article publié dans YEncyclopœdia britannica , 1927, 4 # édi¬
tion, vol. 17, pp. 699-702.
6. Jahrbuch... et Niemeyer (Halle), 1930.
7. Paris 1934„ A Colin (trad. Peiffer et Lévinas).
8. 1** partie seule publiée, revue Philosophia I, 1936, pp. 77-176,
Belgrade.
9. Edit, par Landgrebe, Prague 1939.
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR
XIII
son principe et sur quelques exemples très abrégés.
Ideen III, dont la transcription définitive n’était pas
encore achevée quand nous avons terminé notre tra¬
vail, doit, selon l’introduction de Ideen l, fonder la
philosophie première sur la phénoménologie. D’autre
part Ideen / présuppose des connaissances logiques pré¬
cises, empruntées aux Logische Untersuchungen (Etu¬
des Logiques) ; elles sont traitées le plus souvent par
allusion dans l’ouvrage présent et on n’est pas en état
d en comprendre le sens technique sans recourir aux
Etudes Logiques, ni d’en saisir le lien exact avec l’idée
centrale de la phénoménologie transcendantale sans
recourir à la Formate und transzendenjtale. Logik (Logi¬
que formelle et transcendantale) qui montre le passage
de la logique formelle à son fondement transcendàntal
dans la phénoménologie. Ajoutons enfin que Ideen I
est un livre dont le sens reste caché et que l’on est iné¬
vitablement enclin à chercher ailleurs ce sens. A chaque
instant on a l’impression que l’essentiel n’est pas dit,,
parce qu’il est plutôt question de donner à l'esprit une
nouvelle -vision du monde et de la conscience- que de
dire sur la conscience et sur le monde des choses défini¬
tives qui précisément ne* seraient pas comprises sans
ce changement de vision. Cette clef de l’œuvre semble
échapper, même à la lecture des Méditations cartésien¬
nes, postérieures de vingt ans aux Ideen. Or le texte
le plus explicite que nous possédions pose les questions
les plus embarrassantes ; ce texte n’est pas de E. Hus¬
serl lui-même, mais de E. Fink qui fut le collaborateur
de Husserl pendant plusieurs années et qui connaît de
l’intérieur non seulement l’œuvre publiée, mais une
bonne part de l’œuvre'manuscrite et surtout la pensée
vivante du maître; il s’agit du grand article intitulé : die
phânomenologische Philosophie Edmund Husserls in
der gegenwârtigen Kritik, publié dans les ICantstudien
t. 38, cahier 3-4i 1933. On pourrait craindre qu’il re¬
présente seulement l'interprétation de Fink ou une
interprétation de Husserl .par lui-même, à un moment
donné, sous l’influence de E. Fink; il reste que Husserl
a accrédité ce texte de la façon la plus nette : « Je me
réjouis de pouvoir dire qu’il ne contient pas une phrase
que je ne puisse m’approprier parfaitement et recon-
XIV
IDÉES
nîiitre explicitement comme l’expression de ma propre
conviction x» Avant-Propos. On n’a donc pas le droit de
négliger ce texte : nous y recourrons pour tenter d’élu¬
cider les questions que la lecture directe laisse- en
suspens.
1” Section.
Ideen I s’ouvre sur un très difficile chapitre de Lo¬
gique que le lecteur peut omettre provisoirement pour
comprendre le mouvement spirituel de l’œuvre, mais
qu’il lui sera essentiel de réintégrer en cours de route
pour saisir finalement le statut de la phénoménologie
comme science. Outre un fourmillement de difficultés
techniques de caractère en quelque sorte local que nous
avons essayé d’éclairer par le commentaire, une incer¬
titude pèse sur l’interprétation générale de ce chapi¬
tre • si la phénoménologie doit etre « sans présupposé »,
en quel sens présuppose-t-elle une armature logique?
Il est impossible au premier abord de répondre à cette
question : car ce sera précisément la loi de ce mou¬
vement spirituel, que nous allons essayer de surpren¬
dre dans Ideen I, de s’appuyer d’abord sur une logique
et sur une psychologie, puis par un mouvement en
vrille de changer de plan, de s’affranchir de ces pre¬
mières béquilles et finalement de s’apparaître comme
première, sans présupposé; c’est seulement au terme
de ce mouvement d’approfondissement que la phéno¬
ménologie serait en état de fonder les sciences qui
d’abord l’avaient amorcée.
Le but de ce chapitre de Logique est de montrer :
1° qu’il est possible d’édifier une science non empiri¬
que mais éidétique 1 de la conscience et 2° de com¬
prendre les essences de la conscience comme les genres
suprêmes qu’on retrouve dans toute la « Tégion »
conscience (par opposé à la « région > nature) 2 . La
phénoménologie paraît donc bien tributaire de cette
double analyse logique des essences et des régions ;
1. Sur essence, cf. Commentaire, p. 9 n. 5. N. B. — Le commen¬
taire du traducteur, qu’on trouvera au bas des pages, suit la
pagination du texte allemand indiquée par les chiffres entre cro¬
chets en marge de la traduction.
2i Sur région, cf. Commentaire, p. 19 n . 1.
XV
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR
mais précisément elle s’élèvera à un point du sujet
qui sera constituant par rapport à ces sciences qui lui
ont donné son premier statut : on verra en particulier
que la « région » conscience n’est pas coordonnée à la
« région > nature, mais que celle-ci se rapporte à celle-
là et même, en un sens très spécial du mot, s’y inclut;
ainsi peut-on soupçonner que la phénoménologie qui
avait pu paraître découper son objet dans une réalité
totale (nature plus conscience) puisse fonder les autres
sciences et fonder enfin sa propre méthodologie, en fon¬
dant de manière générale la logique elle-même, comme
il apparaît dans Formate und transzendentale Logik.
Laissons donc de côté pour le moment ce rapport com¬
plexe de la Logique à la Phénoménologie, puisque aussi
bien ce sera le problème historique du passage des
Logischen Untersuchungen aux Ideen auquel nous con¬
sacrerons la deuxième partie de cette introduction.
II' Section.
Les Ideen dessinent un chemin ascendant qui doit
conduire à ce que Husserl appelle la réduction ou mieux
la « suspension » de la thèse naturelle du monde (thèse=
position) et qui n’est encore que l’envers, le négatif
d une œuvre formatrice, peut-être même créatrice de
la conscience, appelée constitution transcendantale.
Qu est-ce que la thèse du inonde ? Qu'est-ce que la
réduire ? Qu'est-ce que constituer ? Qu'est-ce qui est
constitué ? Quel est ce sujet transcendantal qui se dé¬
gage ainsi de la réalité naturelle et s’engage dans l’œu¬
vre de constitution ? Cela ne peut être dit « en l’air »
mais conquis par l’ascèse même de la méthode phéno¬
ménologique. Ce qui déconcerte beaucoup le lecteur des
Ideen, c’est qu’il est malaisé de dire à quel moment on
exerce effectivement la fameuse réduction phénoméno¬
logique. Dans cette II* Section on en parle du dehors en
termes énigmatiques et même trompeurs (§§ 27-32, 33
?6-62)’ mais les analyses les plus importantes de la
IP.Seohon sont en dessous du niveau de la réduction
et il n’est pas certain, si l’on en croit Finie, que les ana¬
lyses de la III* et de la IV* Section, dépassent un niveau
indécis entre la psychologie préparatoire et la philo¬
sophie vraiment transcendantale. Laissant l’énigmati-
XVI
IDÉES
que chapitre I, qui est en avance sur l’ascèse à produire,
considérons les analyses de la 11° Section, qui prépa¬
rent à la réduction phénoménologique, en partant du
plan de la réflexion psychologique. Elles sont encore à
l’intérieur de « l’attitude naturelle » qu’il s’agit préci¬
sément de réduire. Elles comportent deux temps :
1* Le chapitre II contient l’étude de l’intentionnalité
de la conscience, cette propriété remarquable de la con¬
science d’être conscience de..., visée de transcendance,
éclatement vers le monde 1 ; il la couronne par la dé¬
couverte de la réflexion qui est la révélation de la
conscience à elle-même comme éclatement hors de soi.
A quoi tend cette analyse (qu’on peut appeler phénomé¬
nologique au sens large d’une description des phéno¬
mènes tels qu’ils s’offrent à l’intuition, mais non au
sens strict de la phénoménologie transcendantale intro¬
duite par la réduction et la constitution) ? Le but est
modeste : il s’agit de se préparer à s’affranchir de
l’attitude naturelle en brisant le naturalisme qui n’en
est qu’une des manifestations les moins subtiles. En
langage husserlien : la « région * conscience est autre
que la « région * nature ; elle est autrement perçue,
autrement existante, autrement certaine 2 . On voit la
méthode toute cartésienne d’amorçage. C’est un che¬
min, mais ce n’est pas le seul, puisque aussi bien For¬
mate und transzendentale Logik procédera uniquement
par la voie logique (le grand inédit Krisis discerne cinq
voies différentes). Le chemin n’est pas sans danger ; il
incline déjà à penser que la réduction consiste à
soustraire quelque chose : la nature douteuse —-, et à re¬
tenir par soustraction un résidu : la conscience indubi¬
table. Cette mutilation qui, au reste, ne laisse subsister
qu’une conscience psychologique, non un su i et trans¬
cendantal, est la contrefaçon de la réduction» véritable.
Mais la méthode pédagogique, plus cartésienne que kan¬
tienne, des Ideen prête au risque de cette méprise s .
2° Le chapitre III redresse l’analyse : la conscience
est non seulement autre que la réalité, mais la réalité
^ j.jp7 Sartre : Uns Idée pondambntalê dé la Phénoménologie
dê Husserl, N . R. F. 1939, pp. 129-132.
2. Cf. Commentaire* pp. 48 n. 1, 57 n. 3, 80 n. 1.
3. Commentaire* pp. 48 n. 3, 53 n. 1, 54 n. 1, etc.. n. 4.
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR
XVII
est relative à la conscience, en ce sens qu’elle s’y an¬
nonce comme une unité de sens dans un divers « d’es¬
quisses > convergentes 1 ; l’esprit est ainsi oriente vers
l’idée de réduction et de constitution. On montre qu’il
n’est pas contraire à l'essence d'un objet et du monde,
que les apparences s’accordent autrement et même
qu’elles ne s’accordent plus du tout ; dans celte hypo¬
thèse-limite forgée par l’imagination, mais à laquelle
ne résiste nulle essence, le monde serait anéanti 2 ; dès
lors la nature n'est plus seulement douteuse mais con¬
tingente et relative; la conscience n’est plus seulement
indubitable mais nécessaire et absolue 3 .
L’esprit ainsi préparé s’aperçoit qu’il s’est peu à peu
mis au ton de la réduction, celle-ci d’ailleurs servant
de pôle d’aimantation à une analyse qui ne cesse de
se dépasser elle-même.
3° Si maintenant on veut approcher de la fameuse
réduction phénoménologique, il faut essayer de pren¬
dre en bloc <t thèse naturelle », « réduction de la thèse »
et « constitution transcendantale » 4 . On se ferait illu¬
sion si l’on croyait pouvoir définir l’attitude naturelle
du sein de cette attitude, pour la dépasser ensuite;
c est précisément la réduction qui la révèle comme
« thèse du monde » et c’est en même temps la consti¬
tution qui donne son sens positif à la réduction. C’est
pourquoi tout ce qu’on dit de la thèse naturelle est
d abord obscur et prête à méprises. En particulier on
est tenté d’essayer un schéma cartésien ou kantien, l’un
dans la ligne du chapitre II, l’autre dans la ligne du
chapitre III. On dira ainsi que la thèse du monde c’est
l’illusion que la perception est plus certaine que la ré¬
flexion ; ou bien que c'est la croyance naïve à l’existence
en soi du monde. La réduction serait alors quelque
chose comme le doute méthodique ou le recours à la
conscience comme condition à priori* de possibilité de
l’objectivité. Ce ne sont là que des voies d’approche
possible parmi d’autres. En particulier la réduction
1. Commentaire, p. 87 n. 4 et 5.
2. § 49.
3. §§ 54-5.
4. Cf. Commentaire, pp. 48 n. 3, 53 n. 1, 54 n. 1, 4, 5, 56 n. 1, 57
n. 3, 69 n. 3.
XVIII
IDÉES
n’est pas le doute, puisqu’elle laisse intacte la croyance
sans y participer ; donc la thèse n’est pas à proprement
parler la croyance mais quelque chose qui la conta¬
mine. La * réduction n’est pas non plus la découverte
d’une action législatrice de l’esprit, puisque la con¬
science continue d’être un sujet d 'intuition et non de
construction 1 : l’intuitionnisme de base de l’épistémo¬
logie husserlienne n’est pas ruiné par la phénoménolo¬
gie transcendantale ; au contraire Husserl ne cessera
d’approfondir sa philosophie de la perception au sens
le plus large d’une philosophie du voir. La thèse est
donc quelque chose qui se mêle à une croyance indu¬
bitable et, qui plus est, de racine intuitive. Husserl a
donc en vue un principe qui s’immisce dans la croyance
sans être croyance et qui contamine le voir sans être
ce voir même, puisque le voir sortira de la réduction
phénoménologique dans toute sa gloire.
Nous progresserons vers le point essentiel en remar¬
quant que la thèse du monde n’est pas un élément po¬
sitif que viendrait ensuite annuler la réduction enten¬
due comme un moment privatif : au contraire la
réduction supprime une limitation de la conscience en
libérant son envergure absolue.
Ce qui permet de l’affirmer c’est précisément le lien
entre thèse, réduction et constitution. Si la constitution
doit pouvoir être la positivité essentielle de la con¬
science, la réduction doit être la levée d’un interdit qui
pèse sur la conscience.
Quel interdit peut donc limiter la conscience qui
croit au monde et qui voit le monde auquel elle croit?
On pourrait dire — en restant encore dans les méta¬
phores — que la thèse du monde c’est la conscience
prise dans sa croyance, captive du voir, tissée avec le
monde dans lequel elle se dépasse. Mais ceci même est
encore trompeur : car il faudrait déjà comprendre quel
sujet est ainsi captif, puisque cette captivité n’empêche
point la liberté psychologique de l’attention qui se
tourne ou se détourne, considère ceci ou cela. Mais cette
liberté reste une liberté à l’intérieur d’une certaine en¬
ceinte qui est précisément l’attitude naturelle. Com-
1. Nachwort zu meinen , « Ideen... », pp. 3-5.
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR XIX
prendre la thèse du monde c’est déjà me réaliser comme
sujet non plus psychologique mais transcendantal. Au¬
trement dit c’est déjà avoir accédé au sommet de la
phénoménologie (sommet qui n’est encore lui-même
qu’un sommet provisoire).
Faute de pouvoir accéder d’un seul coup à l’intelli¬
gence radicale du sujet transcendantal par rapport au¬
quel la « thèse du monde » prend son sens, l’analyse des
Ideen laisse la réduction dangereusement associée à l’idée
de la destruction du monde et à l’idée de la relativité du
monde à l’absolu de la conscience. Mais l’atmosphère
kantienne (et même cartésienne) de cette hyperbole
pédagogique ne permet plus de comprendre comment
dans la IV* section l’intuition marque l’ultime « légiti¬
mation de toute croyance, qu’elle soit mathématique,
logique, perceptive, etc. En effet la réduction, loin de
ruiner l’intuition, en exalte au contraire le caractère
primitif, originaire. Si' l’intuition doit être le dernier
mot de toute constitution, il faut donc aussi que la
« thèse du monde > soit quelque altération de l’intui¬
tion même
Une expression étonnante de Husserl nous met sur
la voie : Husserl appelle l’intuition qui peut « légiti¬
mer» toute signification visée par la conscience: «l’in¬
tuition donatrice originaire » ( originâr gebende Ans-
chauung) t. Que l’intuition puisse être donatrice, c’est
là au premier abord une expression plus énigmatique
qu’éclairante : en effet, je crois que l’on comprendrait
Husserl si l’on arrivait à comprendre que la constitu¬
tion du monde c’est non une législation formelle mais
la donation même du voir par le sujet transcendantal.
On pourrait dire alors que dans la thèse du monde je
vois sans savoir que je donne. Mais le « je » du « je
vois », dans l’attitude naturelle, n’est pas au même ni¬
veau que le « je » du « je donne », dans l’attitude trans¬
cendantale. Le premier « je » est mondain, comme est
mondain le monde où il se dépasse. L’ascèse phénomé¬
nologique institue un dénivellement entre le « je » et le
monde, parce qu’elle fait jaillir le « je » transcendantal
du « je » mondain. Si donc le « je » transcendantal
1. Commentaire, p. 7 n. 6.
XX
IDÉES
est la clef de la constitution, celle-ci de la réduction,
celle-ci de la thèse du monde, on comprend que Husserl
ne pouvait parler que très énigmatiquement de la thèse
du monde, s'il voulait commencer par là, comme il le
fait dans les Ideen.
Je pense que chacun est invité à retrouver en soi ce
geste de dépassement; j’oserai ainsi esquisser pour
moi-même le sens « existentiel » de la thèse du monde
je suis d’abord oublié et perdu dans le monde, perdu
dans les choses, perdu dans les idées, perdu dans les
plantes et les bêtes, perdu dans autrui, perdu dans les
mathématiques; la présence (qui ne sera jamais reniée)
est le lieu de la tentation, il y a dans le voir un piège,
le piège de mon aliénation; je suis dehors, diverti. On
comprend que le naturalisme soit le plus bas degré de
l’attitude naturelle et comme le niveau où l’entraîne sa
propre retombée; car si je me perds dans le monde, je
suis déjà prêt à me traiter comme chose du monde. La
thèse du monde est une sorte de cécité au sein même
du voir; ce que j’appelle vivre c’est me cacher comme
conscience naïve au creux de l’existence de toutes cho¬
ses : « im natürlichen Dahinleben lebe ich immerfort
in dieser Grundform ailes aktuellen Lebens > 1 . Ainsi
l’ascèse phénoménologique est une vraie conversion du
sens de l’intentionnalité qui est d’abord oubli de la con¬
science et se découvre ensuite comme don .
C’est pourquoi l’intentionnalité peut être décrite avant
et après la réduction phénoménologique : avant, elle
est une rencontre; après, elle est une constitution. Elle
reste le thème commun de la psychologie pré-phénomé¬
nologique et de la phénoménologie transcendantale. La
réduction est le premier geste libre, parce qu’il est libé¬
rateur de l’illusion mondaine. Par lui je perds en
apparence le monde que je gagne véritablement.
III e Section.
Non seulement dans les Ideen les problèmes de cons¬
titution se situent dans une certaine zone indécise entre
une psychologie intentionnelle et une phénoménologie
1. Idbbn I, pp. 60-1.
introduction du traducteur
XXI
franchement transcendantale *, mais ils sont volontaire¬
ment maintenus dans des bornes étroites : on ne con¬
sidère que la constitution des « transcendances » et
principalement celle de la nature, qui est considérée
comme la pierre de touche de l’attitude phénoménolo¬
gique 2 ; c’est tout juste si l’on aborde en passant des
transcendances plus subtiles, comme celle du moi psy¬
chologique, qui sont « fondées » dans la nature par
1 intermédiaire du corps 2 . Une très petite place est
faite à la transcendance des essences logiques, qui pour¬
tant alimentait les principales analyses des Eludes Lo¬
giques *. II n’est pas douteux que* l’attitude naturelle
enveloppe aussi la logique, que la réduction la concerne
et qu'il y a un problème de constitution des disciplines
Iogico-mathématiques comme le III" chapitre de la
IV e Section l’esquisse. Cette esquisse est importante, .car
elle montre bien que la logique elle-même a une racine
transcendantale dans une subjectivité primordiale; les
Logische Untersuchungen ne sont donc pas reniées
mais intégrées; Formate und transzendentale Logik le
montre surabondamment. Mais dans les Ideen la mé¬
thode psychologique d’amorçage de la phénoménologie
laisse mal entrevoir cette greffe de la logique sur le
nouvel arbre phénoménologique. En gros les Ideen ont
leur centre de gravité dans une phénoménologie de la
perception (sensible). De là l’ampleur des problèmes ré¬
siduels auxquels on fera allusion pour finir.
Dans la III® Section les problèmes de constitution
sont présentés avec beaucoup de prudence autour de
l’idée de noème. Cette idée est amenée lentement, à
travers de longs préparatifs méthodologiques (chap. I)
et non sans que l’on repasse sur les thèmes de la pre¬
mière analyse phénoménologique (réflexion, intentio-
rialité, etc.) mais surplombés à un autre niveau du
mouvement en vrille de l’analyse (chap. Il); le noème
l f C’est pourquoi dans Nachwort zu meinen « Ideen zu einku
reinen Phaenomenologie... > Husserl insiste longuement sur le dé¬
partage de la « Psychologie phénoménologique » et de la « Phé¬
noménologie transcendantale », pp. 3-10.
2. Ideen, §§ 47 et 56.
3. 5 53.
4. §§ 59-60.
XXII
IDÉES
est étudié au chap. III : c’est le corrélât de la conscience,
mais considéré précisément comme constitué dans la
conscience (en grec voGç veut dire esprit) Mais a)
cette constitution est décrite encore comme le parallé¬
lisme entre tels caractères du noème (côté-objet de la
conscience) et tels caractères de la noèse (côté-sujet
de la conscience) 1 2 ; b) cette constitution laisse provisoi¬
rement hors de question la matière de l’acte (ou hylé,
en grec) que la forme constituante anime 3 . Par
cette double limitation la constitution n’apparaît pas ici
comme créatrice. Mais de temps en temps une percée
héroïque en direction des problèmes radicaux de la phi¬
losophie phénoménolçgique laisse entendre que la con¬
science est ce qui « prescrit » par sa « configuration »,
par son « enchaînement », le mode de donnée et la struc¬
ture de tout corrélât de conscience; inversement toute
unité de sens qui s’annonce dans la conscience est l 'index
de ces enchaînements de conscience 4 .
Mais les exercices phénoménologiques de cette IIP
Section — sous le titre de l’analyse noético-noématique
— restent en deçà de cette promesse : ils consistent
dans un départage et une recherche de corrélation entre
les traits de l’objet visé (noème) et les traits de la visée
même de conscience (noèse) : les analyses les plus
remarquables sont consacrées aux « caractères de
croyance » (certitude, doute, question, etc., du côté de
la noèse; réel, douteux, problématique, etc., du côté du
noème). De proche en proche on constitue tous les ca¬
ractères du « visé comme tel » 5 , — tous les caractères,
sauf un, celui auquel est consacré la IV 0 Section. Ces ca¬
ractères sont constitués en ce sens que par exemple le
douteux, le réel sont inclus dans le « sens » même du
« visé comme tel » et apparaissent corrélatifs d’un
caractère qui appartient à la visée de conscience. Peu
à peu le « visé comme tel » se gonfle de tous les carac¬
tères qui à la limite égalent la réalité même.
1. Cf. Commentaire, p. 179 n. 1
2. § 98.
3. Pp. 171-2, 178, 203.
4. §§ 90, 96.
5. Tout le chapitre IV.
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR
XXIII
Mais les problèmes résiduels de cette III 0 Section
sont peut-être plus importants que les analyses explici¬
tes : tout porte à penser que si les problèmes de cons¬
titution traités dans les Ideen concernent les transcen¬
dances qui s’annoncent dans le vécu — donc la face-
objet du vécu, — il reste le problème plus radical de la
constitution du moi — de la face-sujet du moi i. Or le
sens du moi dont le libre regard « traverse » tous les
actes reste indécis : les Logische Untersuchungen affir¬
maient que le moi est dehors parmi les choses et que le
vécu n est qu’un faisceau d’actes liés entre eux qui
n’exigent pas le centre de référence d’un moi. Dans les
Ideen Husserl revient sur cette condamnation : il y a
un moi pur non réduit 1 2 . Mais ce moi pur est-il le sujet
trancendantal le plus radical? Rien ne l’indique. Au
contraire il est clairement affirmé qu’il est lui-même
constitué en un sens spécifique 3 4 : en effet le problème
du temps ouvre une brèche dans le silence de Husserl
sur ces difficiles questions. Bien plus, l’ancienneté d’un
livre comme Zeitbewusstsein (1904-1910) atteste que les
problèmes les plus radicaux de l’Egologie sont contem¬
porains de la naissance même de la phénoménologie
transcendantale. Un groupe important d’inédits est
consacré à cette question*. Dans les Ideen, même l’en¬
chaînement du temps implique que la réflexion n’est
possible qu’à la faveur de la « rétention » du passé im¬
médiat dans le présent. Mais, plus radicalement encore,
on entrevoit que c’est dans la connexion immanente du
flux vécu que réside l’énigme même de cette matière
sensible dont le divers recèle en dernière analyse les
ultimes configurations où s’annoncent des transcendan¬
ces. Or la constitution des transcendances laisse préci¬
sément pour résidu cette Hylé (matière), ce divers d’es¬
quisses; on en laisse donc entrevoir la constitution à
un autre degré de profondeur. Quoi qu’il en soit, moi,
1. Cf. Commentaire, pp. 161 n. 1, 163 n. 1.
2. Sur cette discordance entre les Logische Untersuchungen et
les Ideen, cf. Commentaire, p. 109 n. 1.
3. Cf. p. 163 haut.
4. Groupe D de la classification des manuscrits élaborés par E.
Fink et L, Landgrcbe, en 1935, sous le titre : « Primordiale Konsti-
TUTION > (« ÜRKONSTITUTION »).
XXIV
IDÉES
temporalité, Hylé, forment une trilogie qui appelle une
proto-constitution seulement saluée de loin dans les
Ideen.
IV* Section.
Si l’on fait abstraction des lacunes volontaires de
l’analyse du côté du sujet et des difficultés corrélatives
du côté de l’objet, il reste à combler un dernier écart
entre ce que nous appelons désormais le «sens* du
noème et la réalité. On a bien essayé de constituer le
sens du noème, par exemple le sens de cet arbre que je
perçois là, déterminé comme vert, rugueux, et en outre
caractérisé comme perçu avec certitude, doute, conjec¬
ture, etc.; constituer ce sens de l’arbre, c’était selon la
troisième section montrer qu’il est corrélatif de cer¬
taines structures de la conscience; le terme même de
noème signifie que dans le sujet il y a plus que le sujet
et qu’une réflexion spécifique découvre en toute démar¬
che de la conscience, un corrélât qui y est impliqué. La
phénoménologie apparaît alors comme une réflexion
non pas seulement sur le sujet, mais sur l’objet dans le
sujet.
Or quelque chose d’essentiel échappe encore à cette
constitution, à savoir le « plein > de la présence perçue,
le « quasi-plein > de l’imaginaire, ou le « simplement
visé * des déterminations seulement signifiées 1 . La
phénoménologie trancendantale a l’ambition d’intégrer
au noème sa relation même à l’objet, c’est-à-dire le
« plein * qui achève de constituer le noème complet.
Cette péripétie ultime des Ideen est capitale : en effet
toute la théorie de l’évidence édifiée dans les Logische
Untersuchungen repose sur le remplissement des signi¬
fications vides par la présence « originaire * (en origi¬
nal, en personne) de la chose même, de l'idée même,
etc. 2 . La fonction universelle de l’intuition — que ce
soit l’intuition de l’individu empirique, celle des es¬
sences de choses, celle des essences-limites des mathé¬
matiques, celle des idées régulatrices au sens kantien
_est de remplir le « vide * des signes par le « plein *
1. Cf. Commentaire, p. 265 n. 1.
2. Logische Untersuchungen, VI* Etude , 2* Partie.
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR XXV
des présences. Constituer la réalité c’est refuser de
laisser hors du « sens » du monde sa « présence ».
Les Idecn nous ramènent ainsi, dans la IV® Section, à
la difficulté initiale qui commandait l’interprétation de
la « thèse » du monde. La phénoménologie transcen¬
dantale serait édifiée si nous avions montré effective¬
ment que l’intuition est « prescrite » par un « enchaîne¬
ment de conscience ». îdeen I le promet plus qu’il ne le
montre: la «relation à l’objet», est-il affirmé, «est
le moment le plus intérieur au noème... le point le
plus central du noyau » ; l’objet réel représente « un
index qui renvoie chaque fois à des systèmes parfai¬
tement déterminés de la conscience présentant une
unité téléologique » K
Toute la phénoménologie trancendantale est suspen¬
due à cette double possibilité : d’affirmer d’un côté le
primat de l’intuition sur toute construction, d’autre
part de faire triompher le point de vue de la constitu¬
tion transcendantale sur la naïveté de l’homme natu¬
rel. Dans son Nachwort ... aux Ideen (1931) Husserl sou¬
ligne la jonction de ces deux exigences : la subjectivité
transcendantale issue de la réduction est elle-même .un
<r champ d’expérience », « décrite » et non « cons¬
truite » 1 2 3 4 .
H
DIFFICULTÉS D’UNE INTERPRÉTATION D’ENSEMBLE
DES IDEEN
La phénoménologie qui s’élabore dans les Ideen est
incontestablement un idéalisme, et même un idéalisme
transcendantal ; le terme même n’est pas dans les
Ideen , alors qu’il se rencontre dans les inédits anté¬
rieurs, dans Formale und iranszendentale Logik 3 et
dans les Méditations cartésiennes * ; néanmoins Land-
1. Ideen, pp. 268-9, 303.
2. Nachwort... p. 4.
3. § 66, PSYCHOLOGISTISCHER UND PHABNOMF.NOLOGISCHER IdEALISMUS.
4. § 40 : passage au problème de l’idéalisme transcendantal ;
§ 41 : l’explication phénoménologique véritable de V « Ego cogito »
comme idéalisme, transcendantal.
XXVI
IDÉES
grebe, dans son Index Analytique des Ideen, n'hésite
pas à grouper autour de ce mot les analyses les plus
importantes de la constitution et Husserl l'emploie
pour caractériser les Ideen dans le Nachwort zu. meinen
« Ideen ... » L Mais il est finalement impossible, sur la
seule base des Ideen , de caractériser définitivement cet
idéalisme qui reste à l’état de projet — de promesse ou
de prétention, comme on voudra. Les parties les plus
élaborées des Ideen sont soit des fragments d’une psy¬
chologie intentionnelle (II® Section), soit des exercices
en direction d’une constitution radicale de la réalité,
mais en dessous du niveau de l’idéalisme visé (III* et
IV® Section). Finalement la «conscience pure», la
« conscience transcendantale », « l’être absolu de la
conscience», «la conscience donatrice originaire»,
sont des titres pour une conscience qui oscille entre plu¬
sieurs niveaux ou, si l’on veut, qui est décrite à des
phases différentes de son ascèse : de là les erreurs d’in¬
terprétation dont Husserl s’est plaint si constamment
et si amèrement. Si l’on interprète les phases ultérieu¬
res en restant au niveau de départ, celui de la psycho¬
logie intentionnelle, l’idéalisme trancendantal paraît
n’être qu’un idéalisme subjectif; «l’étant» du monde
est réduit, au sens de dissous, à « l’étant » de la cons¬
cience, telle que la plus ordinaire perception interne la
révèle. Mais alors il devient impossible d’accorder cet
idéalisme rudimentaire avec la philosophie constante de
l’intuition qui ne s’est jamais démentie depuis les Lo-
gische Untersuchungen (1900-1), jusqu'à Erfahrung
und Urteil (1939) 1 2 : c’est l’intuition, soit sous sa forme
sensible, soit sous sa forme éidétique ou catégoriale 3 ,
qui « légitime » le sens du monde et celui de la logique
1. n oppose le transzendental-phânomenologischer Idealismns
au pstjchologischer Idealismus , p. 11,
2. Lévinas, La Théorie do l'Intuition dans la Phénoménologie
de Husserl, Alcan 1930, pp. 101-174. J. Héring a fortement montré,
dans sa discussion avec L. Chestov, qu’il Ji’y a pas chez Husserl
d’autocratie de la raison et de la logique, mais un règne de 1 in¬
tuition sous toutes ses formes. Herîng : sub specie ætemi . (Revue
d’Histoire et de Philosophie rel. 1927), en réponse à Memento mori
(Revue Phil . janv. 1926).
3. Commentaire p. 9 p. 5.
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR
XXVII
au sens le plus large de ce mot (Grammaire pure, logi¬
que formelle et mathesis universalis, etc.). L’idéalisme
transcendantal est tel que l’intuition n’y est pas reniée
mais fondée.
Les critiques néo-kantiens ont cru discerner dans les
Ideen un mélange inconsistant de réalisme platonicien
et d idéalisme subjectif, ces éléments disparates étant
eux-mêmes maintenus ensemble par l'artifice d’un lan¬
gage de style kantien 1 . Comme Fink l’a fortement mon¬
tré, il n’y a jamais eu chez Husserl de réalisme plato¬
nicien, même pas dans les Logische Untersuchungen ,
comme on le rappellera tout à l’heure. Il n’y a pas non
plus chez lui d’idéalisme subjectif masqué par un lan¬
gage kantien. Ceci doit être montré maintenant.
Or rien n’est plus difficile que de fixer le sens final
de^ l’idéalisme husserlien qui se réalise par le progrès
même de la réflexion. Nous n’avons dans les Ideen qu’un
chemin parmi d’autres en direction d’un centre qui ne
peut être donné du dehors. Il faut bien alors risquer un
sens et voir si les « indices de direction épars dans les
Ideen, concordent avec ce sens.
C’est ici que s’offre l’interprétation de E. Fink qu’il
faut bien au moins prendre à l’essai, puisque aussi bien
Husserl lui-même l’a reconnue pour sienne à un mo¬
ment donné 2 ..
La « question » de Husserl, écrit E. Fink 3 , n’est pas
celle de Kant; Kant pose le problème de la validité
pour une conscience objective possible : c’est pourquoi
il reste à l’intérieur d’une certaine enceinte qui est en¬
core l’attitude naturelle. Le sujet transcendantal kantien
c’est encore une apriorische WeHform, un sujet mon¬
dain, weltimmanent , bien que formel. Le vrai dénivelle¬
ment du sujet absolu n’est pas opéré. La question de
Husserl, selon E. Fink, c’est la question de l’origine du
monde ( die Frage nach dem Ursprung der Welt) 4 ; c’est
1. Fink, art. cité pp. 321-6, 334-6.
2. Dans un autre article, E. Fink parle du « risque 5 > de l’inter¬
prétation : Das Problem der Phaenomenologie E. Husskrls, Revue
Iriter. de Phil., 15 janvier 1939, p. 227.
3. Arti cité, cas particulier pp. 336, sq.
4. Ibid., p. 338. — Sur Husserl et Kant, cf. G. Berger, Le Cogito
dans la Philosophie de Husserl, Aubier 1941, pp. 121-133.
XXVIII
DÉ K S
si l’on veut, la question impliquée dans les mythes, les
religions, les théologies, les ontologies; mais cette ques-
tioh n’était pas encore élaborée scientifiquement ; la
phénoménologie seule met en question l’unité de l’« é-
tant » et de la « forme du monde » ; elle n’a pas la
naïveté de recourir à un autre « étant », à un arrière-
monde; il s’agit précisément de surmonter toute forme
« welthaft » d’explication, de fondement, de forger un
nouveau concept de la science wclttranszcndent et non
plus weltimmancnt. La philosophie phénoménologique
prétend fonder même la sphère de problème à laquelle
le criticisme se rapporte à sa façon. Elle est une philo¬
sophie qui montre l’inclusion du monde — de son
« étant », de son sens, des essences, de la logique, des
mathématiques, etc. — dans l’absolu du sujet.
a) C’est pourquoi l'opération principale — ou réduc¬
tion — est une conversion du sujet lui-même qui s’af¬
franchit de la limitation de l’attitude naturelle. Le sujet
qui se cachait à lui-même comme partie du monde se
découvre comme fondement du monde 1 .
Mais, dira-t-on, si cette interprétation est exacte,
pourquoi Husserl ne l’a-t-il pas dit au début des Ideen?
Précisément la question même est incompréhensible
avant la marche méthodique qui l’élabore en tant que
question. La phénoménologie n’a pas de motif intra-
mondain antérieur à elle-même. C’est par la réduction
phénoménologique que le projet du problème transcen¬
dantal du monde surgit. C’est pourquoi toute descrip¬
tion de l’attitude naturelle sur son propre terrain est
une méprise. Plus radicalement encore, la phénoméno¬
logie n’est pas. une possibilité naturelle de l’homme ;
c’est en se vainquant comme homme que le sujet pur
inaugure la phénoménologie. Dès lors la phénoméno¬
logie, non motivée dans l’attitude naturelle, ne peut
donner que de mauvaises raisons, ou des raisons équi¬
voques — cartésiennes ou kantiennes — à sa propre
irruption. Seule la réduction révèle, ce qu’est la croyance
mondaine et l’érige en « thème transcendantal ». Tant
qu’elle est encore énoncée daiîs la lettre et dans l’esprit
de l’attitude naturelle, la réduction paraît n’être que
1. Ibid*, pp. 341-3.
INTHOhr CT I ON im; traducteur
XXIX
l’inhibition mondaine de la croyance intra-mondaine à
l’être du inonde 1 .
b) Ces méprises sur la réduction sont des méprises
sur la constitution : le sujet transcendantal n’est point
hors du monde ; au contraire il est fondation du
monde. C’est ce que signifie cette affirmation constante
de Husserl : le monde est le corrélât de la conscience
absolue, la réalité est l’index des configurations radica¬
les de la conscience. Découvrir le sujet transcendantal
c’est précisément fonder la croyance au monde.
Toute nouvelle dimension du moi est une nouvelle
dimension du monde. C’est en ce sens que l’intentiona-
lité reste le thème commun à la psychologie intention¬
nelle et à la philosophie phénoménologique 2 3 . Mais tou¬
tes les fois qu’on rabat la réduction phénoménologique
sur la conscience psychologique, on'réduit le sens du
moi à un simple pour-soi de nature mentale, à une
pensée impuissante qui laisse l’en-soi au dehors. Tant
que la réduction est une « limitation » à l’intérieur du
monde et non une « illimitation > 3 par delà le monde,
le monde est hors de la conscience comme une autre
région. C’est en transcendant le monde que la con¬
science «a-régionale» l’inclut, ainsi que toutes les
«régions». En retour la méthode phénoménologique
consiste à faire l’exégèse de l’Ego en prenant le phé¬
nomène du monde comme fil conducteur. Il y a ainsi
plusieurs plans de vérité concernant la constitution, de
même qu’il y a un approfondissement progressif de la
réduction; au plus bas degré, celui de la psychologie
intentionnelle, la constitution garde un moment de ré¬
ceptivité dont la doctrine de la hylé est le témoin. Les
Idecn appellent déjà constitution, par anticipation du
plus haut degré, les simples corrélations entre noème
et noèse; mais, assure Fink, au dernier degré l’inten¬
tionnalité transcendantale est « productive », « créatri-
1. Ibid., p. 369 ; en faveur de cette interprétation : Médita¬
tions cartésiennes, pp. 70-4. — G. Berger, o.c., 43-61, donne un re¬
marquable exposé de la réduction phénoménologique avec toutes
ses difficultés.
2. Les Méditations Cartésiennes proposent cette formule déve¬
loppée du cogito : « Ego-eogito-cogitatuin », p. 43.
3. Einschrânkung , Entschrunkung, art. cù* 359.
XXX
IDÉES
ce
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