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\
ANTÔINE,JMiCHEL f FILHOL ,
tmot
NE A PARIS AV J1Ç1S D\iOl r T lj^€j 9
Mort le 5 Mai 1812,
GALERIE
DU
MUSÉE NAPOLÉON.
TOME PREMIER.
Nota. La partie littéraire des neuf premières Livraisons
a été rédigée par CarAïte , Peintre , membre de l'Aca-
démie royale de peinture de Berlin.
I
GALERIE
DU
MUSÉE NAPOLÉON,
Publiée par FILHOL, graveur,
c?*j zédïfféo jvav LAVAL LEE (Joseph), éeczétaizo jiezpétuel do
éa (Société) j)$y£otecé>mciuo , de<ù <y£cadémie(û do £dïJotu eus do 92attcy , '
do fa ébciétô zo^a/o de<ù <$'cieuce<b do Çottâiuffuo } etc.
DÉDIÉE
A S. M. L'EMPEREUR NAPOLÉON I. ER
TOME PREMIER.
PARIS,
Chez FILHOL, Artiste -Graveur et Éditeur, rue des Francs -Bourgeois
Saint-Michel , N.° 785.
DE L'IMPRIMERIE DE GILLÉ FILS.
AN XII. — 1804.
thé mrnmtt*:
COURS
HISTORIQUE ET ÉLÉMENTAIRE
DE PEINTURE,
o u
GALERIE COMPLETTE
DU MUSÉUM CENTRAL DE FRANCE,
air wwl>- SociitL>-~b CUwatetRà eiSà OLttiéteA .
PARIS,
Chez FIHOL, Artiste -Graveur et Editeur, rue des
Francs-Bourgeois Saint-Michel , N.° 785.
T)E L'IMPRIMERIE DE GILLÉ FILS.
An X. — 1802.
COURS
HISTORIQUE ET ÉLÉMENTAIRE
DE PEINTURE.
DE L'ORIGINE
ET
DE LA MARCHE PROGRESSIVE
DES ARTS.
XJ N sentiment inquiet tourmente sans cesse l 'imagi-
nation de l'homme : placé entre le passé et l'avenir t
comme entre deux abymes , il tenterait en vain de
s'arracher à l'idée de sa position ; et presque toutes
ses études et ses recherches tendent , plus ou moins
directement , à sonder la profondeur des gouffres
creusés aux deux extrémités de sa carrière : sa destinée
future est le premier objet de sa curiosité, et son
œil indiscret se porte avidement vers le point où il
croit enseveli cet important secret : après avoir par-
couru l'immensité du vide , ne découvrant au loin
(4)
que l'obscurité profonde dans le sein de laquelle
repose son destin à venir , l'audacieux se trouble ,
et reste un instant immobile sur le penchant du
précipice; cependant, toujours soumis à l'action in-
connu qui le chasse hors du présent , il cherche un
nouvel aliment à l'inquiétude qui le dévore , détourne
ses regards et les fixe sur le passé : le premier as-
pect sourit à son espoir ; des objets plus distincts
semblent d'abord se présenter à sa vue ; mais les
apparences trompeuses ne tardent point à l'égarer :
c'est en vain qu'il se traîne à l'aide du fil incertain
de l'histoire ; ce léger secours échappe bientôt de ses
mains , et l'homme , ainsi perdu dans un labyrinthe
nouveau, s'arrête tout-à-coup sur la route qui le con-
duisait à la connaissance de sa propre origine : dans
cette situation pénible , il s'attache aux premiers
objets qui le frappent , et prétend trouver dans leur
correspondance avec celui de ses recherches , les
éclaircissemens qu'il désire.
Telle est, si l'on y réfléchit attentivement, la source
de cette curiosité dominante , qui porte l'homme à
vouloir approfondir les causes et les effets , le principe
et la fin de toutes choses : un grain de blé provoque
son attention et son étonnement ; la génération pre-
mière et la reproduction de ce simple végétal sont
des mystères sur lesquels il interroge en vain la na-
ture ; et sa curiosité , toujours repoussée par les
( 5 )
obstacles , sans jamais se rebuter, passe de l'examen
des objets créés par ses besoins , à l'observation de
ceux de ses jouissances. C'est ainsi que , non content
d'exercer les arts qu'il possède , il veut remonter pas
à pas à l'époque de leur invention : cette découverte
a été souvent l'objet de ses sollicitudes , et c'est en-
core elle qui nous occupe dans ce moment ; mais ,
vainement prétendrions - nous la saisir à laide des
traditions incomplettes.
L'allégorie est peut être seule dépositaire de ce
secret , ainsi que de tous ceux qu'il nous importe le
plus de connaître. C'est dans son sein que la Divinité
semble cacher les rayons de sa gloire , dont nos
organes trop grossiers ne pourraient soutenir l'éclat :
c'est elle qui enveloppe d'un tissu ingénieux le ber-
ceau de l'homme, et qui couvre d'un voile épais celui
de tous les peuples ; c'est donc elle seule qui semble
devoir servir de base à l'histoire des Arts, dont l'origine
commune se confond avec celle de l'espèce humaine.
Cependant, notre intention n'est pas de chercher
inutilement à approfondir le sens caché de la fable ;
nous ne la considérerons que comme une barrière
à franchir , pour entrer dans la route historique de
laquelle nous ne devons pas nous écarter.
L'AMOUR, célébré par tous les mythologistes comme
l'unique agent qui féconde la nature , fut le père
i . . .
(6)
commun des Arts, et la Musique fut son enfant
premier-né. En effet, la voix et l'ouïe étant les pre-
miers organes par l'entremise desquels l ame éprouve
et manifeste ses affections , l'Art qui résulte de l'as-
semblage plus ou moins expressif, et plus ou moins
mélodieux des sons , dut naître et se perfectionner
avant les autres.
De simples accens exprimèrent d'abord des sensa-
tions vagues ; bientôt le sentiment de la reconnais-
sance pour l'Auteur de l'univers et celui de la tendresse
pour une belle compagne , inspirèrent à l'homme des
chants plus harmonieux ; les mots se formèrent insen-
siblement de l'assemblage de plusieurs sons , et la
Musique et la Poésie naquirent de la mesure et de
la combinaison des accords de la voix. C'est à la
conformité de leur origine et à l'intimité de leur
union , que ces deux sœurs doivent le nom de chant
qui leur est commun , bien que l'une soit restée
simple et vierge , et que l'autre ait été assujettie , sui-
vant les tems et les lieux , aux différentes modifica-
tions et altérations du langage ; ce n'est pas aussi sans
raison que les anciens nous ont représenté le divin
Apollon tenant une lyre entre ses mains.
La vue étant le dernier sens qui se forme , l'idiome
des lignes dut naître le dernier , et les Arts auxquels
il sert de base furent également retardés dans leur
( 7 )
marche. Selon les Grecs, ce fut une femme qui,
appercevant les traits de son amant tracés par l'effet
de la lueur d une lampe , essaya la première de des-
siner cette image chérie , en suivant les contours
produits par la projection de l'ombre. L'imagination
ne tarda pas à s'emparer de cette ingénieuse décou-
verte , et le Dessin , qui n était qu'une science gros-
sière employée à donner la forme aux instrumens
nécessaires pour se procurer les premiers besoins
de la vie , traça les caractères qui fixent la parole
et les nombres , et présenta , sous un aspect ma-
gique , la pensée du Statuaire et du peintre : cet
art , peu cultivé chez les peuples qui gémissaient
sous le joug de la nécessité, dut ses progsès au
loisir , enfant d'une longue et pénible expérience :
celle-ci , en régularisant les travaux , simplifia les
moyens lents et compliqués jusqu'alors en usage , fit
une distribution plus sage et mieux calculée de l'em-
ploi du tems, assigna à chacun l'occupation à laquelle
il était propre , après avoir consulté les forces et les
talens des hommes qui s'étaient soumis aux mêmes
lois. Ainsi s'organisèrent les sociétés , et commen-
cèrent à s'opérer méthodiquement les échanges du
produit de l'industrie contre celui du sol. Le génie
élevé se livra aux recherches utiles et à l'étude de la
nature ; l'homme robuste et vigoureux fut réservé aux
soins du labourage et à la conduite des troupeaux ,
et les Arts , jusqu'alors négligés , sortirent tout-à-coup
(8)
de l'espèce de néant auquel les travaux matériels
semblaient les avoir condamnés.
CEPENDANT le loisir, en laissant à l'imagination de
l'homme un essor plus libre , ne la préserva pas de la
fausse direction qu'elle pouvait prendre ; elle fit des
écarts qui amenèrent insensiblement le désordre , et
l'on s'apperçut que l'état primitif qui procurait moins
de jouissances , procurait aussi moins de peines. Le
tems destiné à la méditation et à l'étude fut consacré
à l'oisiveté ; on perdit de vue la convention première :
l'homme des champs resta fidèlement attaché à la
culture ; l'homme des cités ne s'occupa que de ses
plaisirs. On avait placé les jouissances et la satiété
dans un des bassins de la balance ; on avait mis les
privations et les regrets dans l'autre : de-là naquirent
les jalousies et les haines ; la fermentation s'empara
des esprits ; les passions violentes éclatèrent , et la
civilisation prit un aspect imposant , c'est-à-dire , que
les lois se compliquèrent en raison de la complication
des vices; que , selon l'ordre immuable qui maintient
l'équilibre entre le mal et le bien, l'activité des re-
mèdes fut proportionnée à celle de la maladie. Les
Arts alors déployèrent toutes leurs ressources , et
modérèrent par leur action douce et bienfaisante les
effets désastreux du vice. Tantôt un musicien appai-
sait , au son de sa harpe , les fureurs d'un prince
barbare ; tantôt un poète , par un apologue ingénieux
( 9 )
rappelait les hommes à la vérité ; souvent le sta-
tuaire ou le peintre , sous le voile dîme allégorie
touchante , présentait aux médians les traits oubliés
de la vertu.
C'est sous ce rapport que les arts devinrent né-
cessaires , quils furent encouragés et divinisés par
les premiers législateurs ; ils en firent usage comme
d'un moyen puissant pour ramener les hommes vers
le bien , en semant de fleurs la route qui y conduit.
Ceux qui cultivaient les Muses étaient honorés des
titres de philosophes ou amis de la sagesse , et l'on
n'était pas indistinctement admis dans le sanctuaire
d'Apollon. Si les Arts ont dégénérés , c'est qu'ils se
sont écartés du but de leur institution , en caressant
les passions des hommes, qu'ils ont employé le lan-
gage de l'esprit au lieu de celui du cœur ; c'est enfin
parce qu'ils se sont traînés sur des pensées oiseuses
ou ridicules, et le plus souvent révoltantes. C'est par
la raison opposée , qu'en se rapprochant de la Divi-
nité , source unique du vrai et du beau , en retra-
çant à nos yeux des actes vertueux et héroïques ,
ils ont atteint le dernier degré de splendeur et de
perfection.
Apres avoir esquissé rapidement le tableau du
progrès de l'esprit humain , nous pouvons offrir une
idée plus juste de sa marche , en comparant l'homme
C *o )
social dans les premiers âges , à l'homme privé dans
son enfance : tous deux ont d'abord fait usage des
alimens les plus simples, celui-ci du lait de sa mère ,
celui-là des fruits que la terre lui donnait sans ap-
prêts : le premier asyle de l'un fut un berceau , celui
de l'autre une cabane; bientôt le lait maternel fut
remplacé par des mets plus succulens , et la chair
des animaux fut substituée aux productions du sol ;
au berceau trop étroit succéda une demeure plus
commode et plus vaste ; aux toits rustiques succé-
dèrent les palais et les villes.
Le développement comparatif des facultés de
lame n'est pas moins sensible. On voit dès les pre-
miers momens , les tentatives de celle-ci pour se dé-
gager de la matière dans laquelle elle est à regret
emprisonnée ; quels efforts ne fait-elle pas pour
rompre ses chaînes , et recouvrer la plénitude de sa
puissance !
A peine l'enfant peut-il tenir dans ses mains une
frêle baguette , qu'il se sert de ce moyen auxiliaire pour
suppléer à la brièveté de ses membres et atteindre les
objets trop éloignés de lui; son bras, devenu plus
fort, lance une pierre , et va frapper le but dont son
imagination a calculé la distance; bientôt, en agitant
une fronde , il parcourt dans les airs une étendue plus
vaste; enfin, ayant acquis le complément de ses forces,
C tî )
il s'arme de l'arc , et semble menacer le ciel de ses
flèches. C'est ainsi que les hommes réunis en société
commencèrent par de faibles essais, et poussèrent
successivement jusqua l'infini les bornes de leur
intelligence; c'est ainsi qu'à l'aide d'un tube ingénieux ,
leurs regards , activés par des crystaux multipliés , se
sont , pour ainsi dire , ouvert un passage à travers les
voûtes célestes. Le désir violent qu'éprouve l'homme
de s'épancher hors de lui-même est le germe du
génie , et l'amour de l'immortalité le développe : rien
ne peut effacer dans son cœur ce sentiment profond ;
mais il se trompe souvent sur les moyens de par-
venir au but qu'il se propose , ne croit pouvoir s'éter-
niser que parla grandeur et la solidité de ses œuvres
matérielles, et prend ainsi, dans son égarement,
l'ombre pour la réalité. C'est à une affection déviée
que nous devons les monumens gigantesques que nos
ancêtres nous ont légués ; ils crurent , en opposant
ces masses inébranlables aux efforts du tems • triom-
pher du trépas , et arracher leur mémoire au néant
de l'oubli.
L'orgueil contribua beaucoup aussi à l'érection de
ces immenses édifices. On ne peut se dissimuler que
l'idée du grand n'agisse plus promptement et plus
fortement sur les sens que celle du beau , l'une étant
essentiellement liée à la matière , l'autre étant pure-
ment morale. L'homme, au premier aspect, fut
C " )
frappé de l'immensité de l'univers , et humilié de
la petitesse de sa structure , comparée à la dimen-
sion colossale des corps qui l'environnaient." Honteux
de cette abjection apparente , il essaya de s'agrandir
à ses propres yeux , en élevant des monumens d une
grandeur démesurée : pour s'exhausser, il aurait,
près qu'à l'exemple des Titans , entassé montagnes sur
montagnes. Ce fut après s'être convaincu de l'inutilité
de ses efforts , qu'à l'aide du flambeau de la raison ,
il considéra plus attentivement le grand tout , admira
l'harmonie qui règne dans ses vastes parties, fit un
retour sur lui-même , reconnut dans l'accord parfait
de son ensemble l'abrégé de l'œuvre du Créateur, et
mérita de la part des sages le nom de Microcosme ,
ou de petit monde. Lame alors, dégagée des ténèbres
de l'erreur , éprouva l'action du rayon divin qu'elle
recèle , conçut une véritable idée du beau , trouva la
perfection dans l'équilibre des masses et la justesse
des proportions , et le goût rectifié n'enfanta plus de
monstruosités.
Les premiers pas que nous avons faits dans la car-
rière que nous allons parcourir , étaient glissans. Il
fallait sortir du pays des hypothèses. Notre marche
va devenir de plus en plus assurée , et les faits , en se
développant sans efforts sous nos yeux, jeteront plus
de clarté sur nos idées.
( i3 )
DES ARTS
AVANT LE DÉLUGE.
PREMIÈRE ÉPOQUE.
Nous sommes encore loin de 1 époque où les faits
pourront paraître incontestables à tous les yeux. Le
déluge a laissé un vuide immense entre les siècles
qui l'ont précédé et ceux qui l'ont suivi. Tout ce
qui s'est passé pendant le laps de tems antérieur à
cette catastrophe est presque perdu pour nous , et
les chronologies des différons peuples , en se con-
trariant entr elles, n'attestent autre chose aux yeux
du philosophe religieux , que la grandeur de la Di-
vinité et la profondeur de ses secrets.
Les auteurs sublimes qui nous ont parlé des pre-
miers âges du monde , semblent ne s'être exprimés
que par parabole : leurs traditions portent moins le
caractère de l'histoire que celui de l'allégorie , et les
noms de leurs personnages , de leurs villes , de leurs
nations sont presque tous symboliques. L'inondation
même du globe , plus ou moins généralisée par
telle ou telle tradition , peut fournir une foule de
C *4 )
inflexions , qui , sans détruire l'authenticité d'un fait
que la nature a gravé de sa main sur le sommet
des plus hautes montagnes , ouvre à l'imagination le
vaste champ des conjectures. Il serait difficile , sans
doute , de concilier l'époque du déluge avec l'opinion
de M. Bailli , qui prétend que la division du zodiaque
en douze parties dut avoir lieu 4600 ans avant 1ère
chrétienne. Il ne serait pas plus aisé de détromper
ceux qui regardent l'arche de Noé comme le type
de quelque importante vérité. En effet, comment se
faire une idée raisonnable d'un édifice flottant, dont
la construction coûta cent années de travail , qui
renferma pendant jours deux paires de chaque
espèce danimaux vivans , ainsi que les vivres néces-
saires à leur consommation ? Si l'on prenait ce fait
au positif, les bâtimens voilés qui , de nos jours ,
portent alternativement les richesses et la foudre
d'un pôle à l'autre , ne seraient rien comparative-
ment à celui qui peut contenir et sauver dans ses
flancs tout ce qui respirait sur la terre ; et nous se-
rions convaincus que les arts , aux tems dont nous
parlons , avaient été portés au plus haut degré de
perfection ; mais on ne peut se dissimuler que les
particularités qui concernent le déluge , ne soient
liées à l'événement principal pour voiler un sens mys-
térieux. Les écritures sacrées, en nous racontant les
merveilles qui blessent notre raison , ne nous avertis-
sent-elles pas que la lettre tue , et que l'esprit vivifie ?
\
( t5 )
Si nous lisons attentivement les ouvrages des my-
thologues , absolument calqués sur ceux de Moïje ,
nous sommes encore plus portés à croire que la fiction
est la base des épisodes de leur histoire diluvienne.
Ces génies sublimes ne prétendaient point nous abuser
par des contes ridicules , et nous donner comme
une vérité matérielle la fable de Deucalion et Pirrha.
Qui pourrait sérieusement envisager ces deux époux
travaillant à repeupler la terre , en jettant des pierres
par-dessus leurs épaules? Ce n'est pas sans intention ,
cependant, que les sages se sont permis de sembla-
bles récits ; ils ont voulu sans doute nous éclairer
insensiblement , en nous forçant à soulever nous-
mêmes le voile bizarre dont ils couvraient la vérité ,
nous instruire , en corrigeant la monotonie et l'ari-
dité des préceptes par des images quelquefois ter-
ribles , et le plus souvent riantes. Convaincus que
les obstacles irritent nos désirs , que nous attachons
plus de prix aux objets dont la découverte nous a
coûté plus de peine , ils se sont rendus énigma-
tiques pour mieux stimuler notre paresse ; et s'ils
ont hasardé souvent des faits incompréhensibles ,
c'était pour que nous ne fussions point tentés de
nous arrêter aux apparences , et pour nous déter-
miner plus puissamment à la recherche du sens caché.
Un commentateur moderne dit que le déluge
mythologique doit s'entendre de la situation méta-
( 16 )
physique de l'homme , quant à la partie intellectuelle
submergée par le débordement des passions ; et ne
voit dans les personnages mis en scène , que les vertus
régénératrices qui le rendent à son état primitif.
Cette explication paraît d'autant plus satisfaisante ,
que l'eau chez les anciens était la figure hiérogly-
phique du chaos des sciences , et la pierre celle
des vérités morales.
O N peut sans crime appliquer cette interpréta-
tion à l'histoire du chef des hébreux. Au surplus ,
soit que la fusion des eaux sur la terre ait été le
juste châtiment des crimes de nos pères , soit que ,
prise au figuré , elle ait été la suite naturelle de
leurs dérèglemens, et exprime l'espèce d'abrutisse-
ment dans lequel ils étaient tombés ; il est probable J
sous quelque rapport qu'on l'envisage , qu'avant l'é-
poque de ce grand événement, les hommes avaient
passé par tous les degrés de corruption , qu'ils avaient
abusé des meilleures institutions , des meilleures lois ,
qu'ils avaient tourné au mal l'intelligence qui les dif-
férencie des autres animaux, et dont ils ne doivent
faire usage que pour se procurer un bonheur vrai
et durable.
Mais sans s'arrêter à cette supposition , l'invention
des instrumens de musique par Jubal , le moyen de
fondre les métaux, découvert par Tubalcain , la simple
( «7 )
description de la construction de l'arche , tout prouve
que les objets de nécessité et de luxe avaient été
connus de nos ancêtres : si nous admettions leur
longévité , quel avantage n'auraient-ils pas eu sur
nous pour perfectionner leur instruction? A peine
de nos jours commençons -nous à saisir la clef des
connaissances en tous genres , qu'un trépas précoce
nous arrache le fruit de nos travaux. Envahi l'im-
primerie reste dépositaire de nos découvertes ; elle
ne dispense pas d'un nouvel apprentissage ceux qui
nous succèdent dans la carrière de l'étude , et ne
leur abrège pas beaucoup les routes de la science :
ils sont toujours obligés de partir du point d'où nous
sommes nous-mêmes partis, incertains d'avoir le
tems nécessaire pour parvenir à celui que nous avons
atteint. Cette marche entrecoupée par la brièveté
de la vie , est le plus grand obstacle qui s'oppose aux
progrès de l'esprit humain , tandis qu'une existence
de plusieurs siècles triompherait nécessairement des
difficultés qui nous semblent insurmontables. Cepen-
dant ces probabilités étayées par la force du raison-
nement , sont les seuls moyens que l'on puisse em-
ployer pour prouver l'existence des arts avant la
submersion de la terre. Aucun monument matériel
ne peut sur ce point confirmer nos conjectures. Les
livres qui nous parlent de ce qui s'est passé avant
le déluge sont très - obscurs ; et les faits qu'ils rap-
portent , étant d'ailleurs des articles de foi pour les
( i8)
uns , et des figures hiéroglyphiques pour les autres ,
on pourrait difficilement en tirer des éclaircissemens
qui eussent une force égale de conviction pour tous
les esprits.
Quoi qu'il en soit , la nature constante dans sa
marche alternative fait succéder les nuits au jour , et les
siècles de ténèbres aux siècles de lumière. On pour-
rait donc croire , d'après les observations des astro-
nomes et des naturalistes, que de grandes catastrophes
ont détruit plus dîme fois des générations presque
entières , et enseveli dans l'oubli les découvertes
les plus ingénieuses. Nous voyons souvent dans l'his-
toire les calamités partielles , telles que les tremble-
mens de terre , les éruptions volcaniques , les pestes
ou les guerres , plonger dans un état honteux de
barbarie , les pays qui avaient jadis donné le jour
aux plus beaux génies. C'est ce qui arriva nécessaire-
ment après l'inondation du globe , dont les diffé-
rentes parties éprouvèrent un déchirement affreux,
les fragmens épais de l'espèce humaine restèrent
aux prises avec la nécessité dans le chaos de l'igno-
rance.
Nous n'avons pas dû passer sous silence une
époque mémorable ; mais il serait inutile d'errer plus
long-tems dans le vague qu'elle présente. Nous allons
nous occuper de celles qui ont des rapports plus
( *9 )
directs et plus positifs avec nous ; quoique moins
éloignées , elles ne sont pas tout- à- fait exemptes
d'obscurité. Les anciens philosophes se sont rare-
ment écartés du plan qu'ils s'étaient formés : ils ont
presque toujours mêlé le récit des évènemens avec
les principes de la morale, et fait du sens littéral
une espèce de bouclier qui servait à garantir celle-
ci des traits de la malignité. Combien de fois n ont-
ils pas été obligés de déguiser , sous les traits de
l'apologue , les actions atroces dont les coupables
eussent voulu étouffer le souvenir? Enfin, on ne peut
se dissimuler que l'histoire vulgaire ne soit souvent
un tissu de mensonge artistement composé par la
partialité, l'adulation, la crainte ou l'erreur. Cepen-
dant, les difficultés ne doivent point nous arrêter,
et notre intention n'étant point d'affirmer ce qui
pourrait nous paraître douteux , nous marcherons
rapidement sur les traces des auteurs qui ont suivi
les arts avant nous dans leurs différentes périodes.
Mais avant d'entrer en matière, il est bon de faire
remarquer à nos lecteurs l'influence du climat sur
le développement des facultés morales et physiques
des peuples , ainsi que sur le caractère de leurs pro-
ductions. Ici , une température immodérée enfante
des bêtes féroces , des plantes vénéneuses , et fait
produire à l'imagination de l'homme des mons-
truosités. Là , une température plus douce produit des
( )
animaux domestiques , des fruits succulens et des
idées plus sages. Le chêne dans la forêt de Do-
done élève régulièrement ses rameaux sur une tige
noble et majestueuse. Celui qui croît sous un
ciel moins heureux n'offre aux regards qu'un sque-
lette rachetique. Une chaleur réglée et progressive
développe sans secousse la sève de celui-ci. L'autre ,
au contraire , alternativement exposé au chaud et
au froid , éprouve souvent des commotions opposées
qui gênent et contrarient l'action de la végétation ;
et ses branches obligées , pour ainsi dire , de se re-
plier sur elles-mêmes , se couvrent de nodosités. Une
athmosphère sujette à des vicissitudes fréquentes ,
imprime aux formes et aux idées le cachet de l'irré-
gularité. Les animaux et les hommes sont égale-
ment soumis à son action. Nous prendrons à témoin
de cette vérité les physionomies irrégulières et les
caractères inconstans des habitans de certaines parties
du nord. Ils semblent changer d'opinion , d'incli-
nation et de goût, autant de fois que des vents
différens soufflent sur leur hémisphère, tandis que les
habitans des pays où la marche des saisons est plus
régulière , ont des traits mieux développés , des
goûts plus constans , et une imagination moins
déréglée.
DES ARTS
APRÈS LE DÉLUGE.
SECONDE ÉPOQUE.
Nous ne tarderons pas à faire l'application des
principes que nous venons de reconnaître, et nous
ne verrons pas sans étonnement les productions
gigantesques des i\rts dans les contrées qui semblent
leur avoir servi de berceau.
Les monumens d'architecture sont les premiers
qui nous attestent leur renaissance après le déluge. Il
serait inutile de les suivre pas à pas dans leur pro-
gression rapide , de dire comment on perfectionna
de nouveau les ustensiles , les vases , les cabanes ,
comment on passa de la construction de celles-ci à
celle des temples. L'industrie bornée des peuples
sauvages , et celle des pâtres des montagnes, peuvent
nous donner une idée juste de l'industrie des hommes
qui se répandirent sur la surface du globe après le
dessèchement de la terre. Sans sortir même de nos
cités opulentes ? où nous ne voyons que trop souvent
les habitations d'argile du pauvre constraster avec les
(
C " )
palais du riche , il est facile d'observer les moyens
simples indiqués par la nécessité , et de les comparer
avec les travaux ingénieux de l'expérience et du luxe.
Nous ne nous arrêterons donc point à la description
des opérations mécaniques qui n'ont que des rapports
indirects avec l'art , et ne considérant celui-ci que
dans ses résultats plus ou moins heureux, nous fixe-
rons notre attention sur le premier objet important
que la tradition présente à nos regards, sur cette tour
fameuse, élevée au milieu de la plaine de Sennaar,
et citée dans l'histoire des peuples que leurs opinions
religieuses nous font regarder comme profanes. Son
existence ne fût-elle que morale , nous ne serions
pas moins obligés d'en conclure que les auteurs qui
l'ont décrite, avaient déjà, à l'époque antique où ils
vivaient, une grande idée de l'architecture et de ses
ressources. Si nous admettions son existence réelle,
notre étonnement serait à son comble $ mais, en pre-
nant un juste milieu entre l'une et l'autre opinion,
on peut croire qu'un fait amplifié sert de base au récit
merveilleux de la construction de la tour de Babel; on
peut ne la considérer , sous certains rapports , que
comme une figure emblématique , et lui donner la
même interprétation qu'à la Fable des Géans qui vou-
lurent escalader le ciel. Elle ne présente plus alors à
l'imagination que l'édifice monstrueux d'une vaine
théosophie, dont les systèmes et les dogmes^ncohérens
sont autant de matériaux hétérogènes. La confusion
C -3 )
du langage des ouvriers n'est plus que la confusion
des differens sectaires, qui, ne s'entendant plus entre
eux, voyent leur ridicule échafaudage crouler sous le
poids de Terre ur.
Quelques Auteurs ont pensé que les Titans , ou
Enfans de la Terre , figuraient les vapeurs qui s'élè-
vent de son sein , se condensent dans les airs , for-
ment à nos yeux des masses énormes semblables à
des montagnes entassées les unes sur les autres ; et
qui , se résolvant en pluie ou en rosée , rentrent
dans l'abîme d'où elles sont sorties. C'est ainsi qu'ils
entendent que Tiphon, qualifié une fumée vivante
par son nom grec Ttfy-Sm y qui nous indique Tixpoç~oUv 9
fumus spirans 9 est précipité dans les enfers, loci
inferi, lieux bas.
La première de ces explications présente une idée
morale , la seconde une image sensible des opéra-
tions de la nature. Elles peuvent également convenir
à la figure sacrée et à la fable. Nous conclurons de
l'une et de l'autre qu'il faut presque toujours envi-
sager, sous un double rapport, les faits qui nous
paraissent incroyables dans l'histoire obscure de
l'antiquité.
En suivant l'époque assignée à l'édification de la
tour de Babel, en nous reportant à deux cents ans
après le déluge , nous voyons que les Arts étaient
cultivés dans la Chaldée , la Chine , l'Egypte et la
C *4 )
Phénicie; c'est-à-dire , dans l'Orient où les premiers
germes , en tous genres , semblent avoir dû naturel-
lement se développer. Nembrod jetait les fondemens
de Babylone. Assur bâtissait la fameuse Ninive. Fohi
entourait les habitations de vastes murailles. Plu-
sieurs cités , au te m s d'Abraham et de Jacob , s'éle-
vaient dans la Palestine et dans les contrées voisines.
Tosorthus , successeur de Mènes , premier roi
d'Egypte , avait depuis long-tems inventé la coupe
des pierres \ et Vénéphes avait déjà construit la pre-
mière pyramide qui servit de modèle à celles que
ses successeurs érigèrent dans la suite.
Les descriptions et les dessins des voyageurs nous
ont donné une idée exacte de ces énormes édifices
encore existans de nos jours. Ils portent le caractère
de l'enfance de Fart; et, si leurs masses imposantes
attestent la puissance v de l'homme, elles prouvent
l'emploi stérile qu'il a fait de tout tems de ses facultés.
Le spectateur , en mesurant de Fœil ces masses colos-
sales , n'éprouve qu'un sentiment mélancolique , et
semble lire sur leurs assises inébranlables ? l'épitaphe
des générations qui sont venues s'éteindre à leurs
pieds.
Quant au goût particulier qui règne dans ces cons-
tructions, ainsi que dans toutes celles des Egyptiens,
on en trouve le principe dans la nature du climat
que ces peuples habitaient. Il fallait se mettre à
l'abri d'un ciel ardent. On se creusa des retraites
( ^ )
dans les entrailles des carrières ; et la nécessité
toujours existante de se garantir des ardeurs du
soleil j conserva le style sépulcral des premières de-
meures aux édifices et aux temples que l'on cons-
truisit dans la suite. Tel est l'aspect que présente la
plupart de ceux qui subsistent encore aujourd'hui.
Le jour peut à peine se frayer un passage à travers
les ouvertures étroites ménagées dans leurs mu-
railles épaisses. Le plein semble toujours l'emporter
sur le vuide. Les lignes perpendiculaires et horizon-
tales sont les seules employées par les constructeurs,
dispensés de faire usage des courbes par la gran-
deur et la solidité des pierres que le terrain leur
fournissait. Enfin , les habitations souterraines sont
aussi vastes et aussi fastueuses que celles qui s'élè-
vent orgueilleusement dans les airs ; et la grandeur
démesurée des unes et des autres est le produit d'une
imagination aussi ardente que fathmosphère.
C'est ainsi qu'on reconnaît Faction du climat et
l'empreinte du sceau de la nécessité sur les pro-
ductions de l'homme. Ce fut le besoin et la tempé-
rature du pays qui enseignèrent l'hydraulique dans
des régions que le ciel n'arrose presque jamais 5 qui
multiplièrent à l'infini les citernes et les canaux né-
cessaires pour remédier aux irrégularités des inon-
dations du Nil , et qui firent construire à Mœris ,
vers l'an 2040 de l'ère vulgaire y le fameux lac qui
porta son nom. Il renfermait dans son sein deux
C 26 )
pyramides élevées de six cents pîeds au-dessus du
niveau des eaux, et au sommet desquelles on voyait
sur un trône deux statues colossales.
Cette étonnante construction suffirait seule pour
nous faire juger de l'étendue des connaissances hu-
maines à celte époque 5 mais, en jetant un coup-
d'œil sur les vastes décombres qui ont résisté aux
efforts destructeurs du tems , on est justement
étonné de l'état florissant des Arts dans ces siècles
reculés. Quoi de plus imposant, en effet, que les
ruines dont l'Egypte est encore couverte ? On voit
épars de tous côtés des fragmens énormes de co-
lonnes , de sphinx et de statues , au milieu des-
quels on prétend même avoir trouvé la statue de
Meranon, qui rendait des sons au lever et au coucher
du soleil, ainsi que l'attestent encore les inscriptions
curieuses gravées sur la jambe gauche de l'un des
colosses voisins du Memnonium.
L'architecture n'élevait pas seule une tète altière.
La sculpture, comme on voit, marchait d'un pas
égal à ses côtés , et la peinture n'était point ense-
velie dans l'oubli. Les murs des édifices se cou-
vraient de figures hiéroglyphiques , dont les cou-
leurs conservent encore leur éclat. Ces images , à
la vérité, n'offrent point les oppositions savantes des
ombres et des clairs ; mais leurs contours simples
sont hardiment dessinés , et indiquent une parfaite
connaissance du corps humain. Joignons au témoi-
C 27 )
gnage irrécusable de ces ruines celui des historiens ;
et parcourons avec eux les principaux édifices qu'ils
ont décrits.
Un des plus célèbres est, sans contredit, le vaste
labyrinthe terminé sous le règne de Psalmétichus ,
deux cents ans avant la guerre de Troye. Il était
composé de trente appartemens 3 nombre corres-
pondant à celui des gouvernemens de l'Egypte.
Ces appartemens répétés , dans la partie souter-
raine y composaient en tout trois mille trois cents
chambres. A l'ouverture des portes, la vibration de
la colonne d'air produisait un bruit semblable à celui
du tonnerre. Les poutres de bois d'acacia étaient
du plus parfait poli ; et la richesse des ornemens
en tout genre était portée au plus haut degré.
Ce monument renfermait dans son enceinte plusieurs
temples et plusieurs pyramides ; et Apion dit qu'on
y voyait un Sérapis d'une seule émeraude de neuf
coudées de haut.
Quelques auteurs révoquent en doute ce fait in-
croyable , appuyé, cependant, de plusieurs autres
semblables. Us croyent que la découverte de la vi-
trification est plus ancienne qu'on ne pense, et que
les voyageurs anciens ont pris pour des pierres pré-
cieuses des pierres artificielles , qui imitaient par-
faitement la nature. On explique facilement alors
les particularités relatives à la colonne qui existait
dans le temple d'Hercule à Tyr. Hérodote dit qu'elle
■ ( 2 8 )
était d'émeraude , et qu'elle répandait , pendant la
nuit , une grande clarté ; ce qui doit donner à penser
qu'elle était creuse et de verre couleur d'émeraude.
Il était alors facile d'introduire du feu dans sa capa-
cité , et de la rendre lumineuse au sein des ténèbres.
On voit, ainsi , que l'homme de tout tems imita-
teur , soit qu'il ait porté son intelligence sur les objets
utiles , soit qu'il l'ait exercée sur les objets de goût,
a toujours trouvé ses modèles dans la nature. C'est
d'elle seule qu'il a emprunté les ornemens de l'ar-
chitecture. Les chapiteaux des colonnes furent artis-
tement formés de branches de palmier , de feuilles
de lotus et de papyrus , plantes qui croissent abon-
damment en Egypte ; et si les Grecs , long-tems
après , ont employé l'acanthe dans leur ordre corin-
thien, ils n'ont fait, en cela, qu'imiter les Egyptiens
leurs maîtres, en adaptant à l'embellissement de leurs
édifices les productions de leur propre climat.
En effet, on ne peut se dissimuler que les peuples
de l'Asie n'ayent eu l'initiative de toutes les sciences
et de tous les arts. C'est chez eux que les plus grands
philosophes ont été puiser, depuis, les connaissances
en tout genre. Les chefs-d'œuvres des artistes les
plus estimés ne furent que le résultat des nouvelles
observations ajoutées à celles dont on leur était rede-
vable. C'est ce dont nous serons convaincus, quand
nous connaîtrons plus parfaitement les ouvrages qui
leur sont attribués.
( y )
Les travaux des Egyptiens ont dû , les premiers ,
fixer notre attention , l'histoire de ces peuples étant
celle qui remonte le plus haut ; et l'art , dont on
retrouve à peine quelques traces chez les autres
nations , ayant laissé sur leur sol antique l'empreinte
ineffaçable de ses pas. En vain la plume de l'histo-
rien nous retrace les travaux de Nimbrod, d'Assur,
de Ninus et de Sémiramis : en vain l'antiquaire , ou
crédule ou trompeur, réédifie avec des citations
hébraïques , grecques et latines , des monumens sou-
vent imaginaires : l'homme sage se méfie de l'un et
de l'autre ; et cherchant des témoignages matériels
qui puissent fixer son opinion, porte naturellement
ses regards vers l'Egypte. Ici le granit et le por-
phyre sont animés , et parlent à tous les yeux le lan-
gage de la vérité. Parmi les monumens qui couvrent
encore ce pays, les plus extraordinaires sont ceux
attribués à Sésostris , un des plus anciens de leurs
rois. Ce prince , après avoir subjugé une vaste
étendue de pays , ne s'occupa plus qu'à rendre son
royaume florissant : il prévint les incursions dont son
territoire était menacé, en élevant une muraille de
quinze cents stades de longueur depuis Piluse jusqu'à
Héliopolis ; jaloux d'étendre et de faciliter le com-
merce , il conçut le projet de joindre la mer-Rouge
à la Méditerranée , projet hazardé dont il fut contraint
d'abandonner l'exécution , mais qui ne l'empêcha pas
de porter ses vues sur des objets plus importans. En
( 3o )
effet, ce fut par ses soins que les villes environnées
de vastes remparts furent préservées des déborde -
mens du Nil.
i
Ce fleuve , vers le commencement de Tété, se
répand comme une vaste mer sur toute la surface
de l'Egypte ; et la nécessité qui opposa les digues et
les terrasses à ses ravages , dut concourir, sans doute ,
à la solidité des édifices , dont ce pays empruntait
son plus bel ornement. C'était sur-tout au moment
de rinondation que les colosses , les pyramides , les
obélisques et les moles devaient présenter l'aspect
le plus imposant : un cristal azuré servait alors de
base à ses énormes monumens ; leur cime , voisine
du ciel , et réflétée par les eaux , paraissait se perdre
dans la profondeur de l'abyme ; et l'immobilité de
ces masses architecturales formait le contraste le plus
extraordinaire avec la célérité des barques que les
voiles ou les rames agitaient en tout sens sur les
flots.
Ce fut encore Sésostris qui organisa les collèges
des prêtres , si long-tems dépositaires des Sciences
et des Arts. Il édifia dans chaque ville un temple
en l'honneur de la Divinité qui y était plus particu-
lièrement révérée ; éleva à Thèbes deux obélisques
ou méridiens de cent quatre-vingt-deux pieds de
hauteur, et mit le comble à la magnificence de cette
C 3i )
ville , moins fameuse par ses cent portes métapho-
riques que par la somptuosité de ses édifices.
Ce serait, peut-être, concevoir une idée trop
exagérée de ses richesses , que de croire , sans
restriction , ce que rapporte Diodore à ce sujet.
Selon lui , Sésostris aurait offert aux Dieux un
vaisseau de deux cent quatre-vingt coudées de pro-
portion , construit de bois de cèdre , et recouvert
au-dedans et au-dehors de lames d'or et d argent.
Le même écrivain , en parlant de quatre temples qui
s'élevaient au-dessus de tous les autres , cite le plus
ancien comme une merveille pour la grandeur et la
beauté > son enceinte avait treize stades de tour ; ses
murailles , épaisses de vingt-quatre pieds , étaient de
quarante-cinq coudées de haut , et rien n'égalait la
richesse des matières employées à sa construction.
Il nous a conservé la description qu'un ancien voya-
geur grec avait laissée d'un des tombeaux construits
par les premiers rois aux environs de Thèbes ; on
en comptait quarante-sept. L'érection de celui dont
il s'agit peut être attribuée à Osimandès , l'un des
successeurs de Sésostris.
L'ENTRÉE de ce mausolée s'annonçait par un ves-
tibule de deux cents pieds de long sur soixante-sept
et demi de haut. Les marbres les plus précieux y
brillaient de toute part ; on trouvait , ensuite , un
\
( 3 2 )
péristile quarré supporté par des colonnes en forme
d'animaux, et parsemé intérieurement d'étoiles d'or
qui se détachaient sur un fond bleu céleste. Ce
péristile était suivi d'un vestibule bâti comme le
précédent , mais plus orné de sculpture. Parmi les
objets les plus remarquables en ce genre , on
admirait trois figures énormes , dont la principale ,
haute de cinquante pieds , représentait le fondateur
du monument. La délicatesse du travail et le choix de
la pierre concouraient à la perfection de cet ouvrage.
Un nouveau péristile se présentait après ce vestibule.
Les exploits militaires d'Osimandès étaient gravés en
creux sur les murailles. Au centre , était debout un
autel aussi précieux par le choix du marbre que
par la beauté de l'exécution ; et deux statues assises ,
de vingt-sept coudées de haut , figuraient entre trois
portes qui servaient d'entrée à un amphithéâtre de
deux cents pieds quarrés. Le spectateur, en passant
dans cette salle soutenue par des colonnes, apper-
cevait une grande quantité de figures en bois., repré-
sentant un auditoire nombreux , et des juges qui ,
siégeant sur des gradins , paraissaient occupés à
rendre la justice. Cet endroit était voisin dune galerie
flanquée à droite et à gauche de différens cabinets ,
où des tables dressées présentaient à la vue des mets
parfaitement imités. On voyait dans cette même
galerie Osimandès , prosterné aux pieds d'Osiris ,
offrant des sacrifices à cette divinité. Un autre corps
(33)
de bâtiment renfermait la bibliothèque, près de
laquelle les images des Dieux de l'Egypte étaient
religieusement conservées. Non loin de-là, sur le
même alignement , s'élevait un salon garni de lits
où reposaient les statues de Jupiter, de Junon et
d'Osimandès : plusieurs pièces communiquaient à
cette dernière , et contenaient dans leur enceinte la
représentation des animaux utiles révérés par les
Egyptiens. Enfin , on montait dans un lieu qui formait
la partie supérieure du tombeau. C'est là qu'était le
fameux cercle d'or qui marquait les jours de l'année
sur sa circonférence , et que Cambyse enleva dans le
cours de ses conquêtes.
Cette description , et beaucoup d'autres plus
ou moins exactes , ainsi que le sont toutes celles
qui nous sont parvenues d'âge en âge, ne donne-
raient qu'une idée imparfaite de la magnificence des
Egyptiens , si les récits des voyageurs modernes ne
fixaient pas invariablement notre opinion à cet égard.
Parcourons avec eux les ruines immenses qui cou-
vrent le sol de l'ancienne Thèbes.
Le Nil coule pendant l'espace de quatre lieues au
milieu des décombres de cette vaste cité , dont les
débris s'étendent au loin sur lune et l'autre rive.
Ici des masses antiques, encore debout, contrastent
par leur solidité avec les monumens modernes
C 34 )
pulvérisés à leurs pieds ; et les différens siècles ,
indiqués. par les différentes constructions, sont amon-
celés les uns sur les autres. Là, des édifices, con-
temporains de l'origine du monde , gisent au loin
renversés , et semblent avoir envahi sur le sol l'es-
pace quils occupaient dans les airs. Quel mélange
confus d'idées ne se présente pas à l'imagination
du spectateur, à la vue du désordre dont il est envi-
ronné ! Ce n'est qu'après avoir erré long-tems au milieu
de ce chaos séculaire, qu'il apperçoit quelques objets
distincts sur lesquels il fixe avec admiration ses
regards.
Le premier qui se présente sur la rive occidentale
du fleuve est une arène , parallélogramme d'une lieue
de long, sur moitié de large. Non loin de-là, sur la
hauteur, on voit le palais de Médinet-Abon. Ses murs
peu élevés , construits en talus , sont couronnés d'un
tore , d'une gorge , et d'un bandeau quarré. Une file
de colonnes, isolées par le haut, et réunies dans la
partie inférieure par une petite muraille , séparent
la première cour d'une vaste porte d'entrée , flan-
quée de deux môles. Deux de ces colonnes sont
surmontées de leurs chapitaux, et couvertes d'hié-
roglypes coloriés qui conservent encore tout leur
éclat. Dans la cour de l'intérieur , à gauche , s'élève
un corps de bâtiment dont le caractère sinistre im-
prime à lame un sentiment de terreur. On
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