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rÈ^MTONY;iC'^ Editeurs
BABYLONE D'ALLEMAGNE
DU MÊME AUTEUR
Les Maréchaux de la Chronique, i vol., 3 IV. 5o.
Les Petites Démascarades (prélacc d'Aurélien
Schollj, I vol.. '3 IV. 5o.
LA MÉXAGERIE SOCIALE :
I" L'Homme à Femmes, roman parisien,
1 vol., i IV. .5o,
2-^ Reine de Joie, mœurs du demi-monde,
I vol , 3 Ir. 5o.
En prcpnrulion
Le Général, iiKi-iirs jiolilicjues.
Les Justiciers, roman parisien.
VICTOR JOZE
LA MÉNAGERIE SOCIALE
lîlll)
Couverture par II. dk Tolt.ousk-Lal trf.c
T)/jefi de Berlin : Dessin hors texte de Bac et
LiiJix i>K Bkauvais
PARIS
P. AXTOXY ET 0'\ Éditeurs
8, RUE DU FAUBOURG MONTMARTRE
1894
Tous droits réservés
ù BIBUOTHECA
%1^
PREFACE
// est probable que nos « amis » d'Oiifre-
Rhiii ne seront pas contents en Usant ce
volume.
Us n'aiment pas que leurs vices soient
connus en Europe; leur hypocrisie égale celle
des Anglais. Ils voudraient être considérés
comme un peuple d'élite, vertueux et pur,
choisi par la Providence pour lutter contre
l'œuvre du Diable, triomphante dans les pays
voisins. C'est pourquoi ils s'arment des pieds à
la tête, c'est pour cela qu'ils fondent des canons
et préparent 'des nouveaux bataillons. Avec
l'aide de Dieu, de l'Empereur et de M. Krupp,
ils espèrent conquérir et purifier le monde...
8 PRKFACE
Et voilà qu'un romancier français — ein
Franzose — se permet de dévoiler les secrets de
la vie berlinoise. C'est trop fort!
Ils auront beau cependant se fâcher, ces
braves Germains, ils auront beau crier au
scandale , à la diffamation, et me livrer en
pâture à tous les Kramer et à tous les Scheid-
Icin de toutes les feuilles reptiles, depuis la
Gazette de Cologne jusqu'au Berliner Tag-
blatt, cela n'empêchera point Babylone d'Al-
lemagne d'être une étude sociale au lieu
d'être une œuvre de chauvinisme et de provo-
cation, comme les propriétaires de nos pendules
ne manqueront point de prétendre.
Babylone d'Allemagne, je le répète, est
une étude impartiale. C'est un tableau de la
corruption allemande qui diffère essentielle-
ment de la corruption française dont on parle
avec un si vif plaisir en Allemagne. Et c'est
justement cette différence entre les deux pays
que j'ai voulu démontrer en m'appuyant sur
les faits auxquels j'ai eu l'occasion d'assister
pendant mon séjour à Berlin .
Le Français, le Parisien surtout, est fin .
Il aime la gaieté frivole et le plaisir facile, mais
PRÉFACE 9
il n'aime pjs se salir dans la boue. Le vice lui-
même ne l'attire que s'il est élégant et d'une
odeur agréable. Il ai: ne à mettre de l'esprit
dans ses actes de libertin ; de cet esprit qui lui
a valu une si grande renommée. . .
Il aime la femme, mm la veut non seule-
ment jolie, mais gracieuse, fine et spirituelle
comme lui.
Et, comme la femme est une œuvre de
l'homme, c'est le Parisien qui a fait la Pari-
sienne, ce bibelot délicat, cette fleur unique
dans son genre, l'objet de tant de désirs : notre
gloire et notre reine !...
yoyons maintenant l'homme allemand et la
femme allemande. Lui est grossier ; c'est sa
nature, son tempérament. Il aura beau être
doux, mélancolique, sentimental, cela ne l'em-
pêchera point de cracher sur le tapis et de lan-
cer à chaque instant les Donner-Wetter de
rigueur. Elle est souvent jolie, il est rare qu'elle
soit gracieuse. Qu'elle soit ouvrière ou prin-
cesse, elle sera toujours vulgaire au fond de
son âme. Pour vous exciter, elle .relèvera ses
jupes de façon dont les filles des bas étages
sont, seules, coutumicres à Paris, et elle vous
10 PRHFACE
pétera au nc{ au moment psychologique . .
La Parisienne la plus honnête est toujours
un peu coquette. La Berlinoise ne connaît pas
de milieu : elle estbii^ote ou catin.
***"
// suffit d'entrer dans un bal public berli-
nois, pour voir la différence qu'il y a entre ces
établissements à Berlin et à Paris.
La fille publique qui fréquente nos établis-
sent ?nts de plaisir, pour y trouver son pain
quotidien, garde toujours une certaine rete-
nue. Elle est heureuse de pouvoir se faire passer
pour une « danseuse » . Ojtel plaisir de mettre
sur ses cartes de visite : « Mademoiselle X...
Artiste chorégraphique. »
La fille allemande se fiche pas mal du côté
extérieur de son métier. Elle ne va pas s'amuser
à vouloir poser pour une artiste. Elle est pros-
tituée et pas autre chose. Plus est jolie et lancée,
plus elle se fait payer, voilà tout.
En un mot, le vice allemand comme le vice
français conservent et trahissent à chaque ins-
tant leur marque de fabrique.
Le viveur français, malgré ses façons de
PRÉFACE 1 1
Don Juan blasé et blagueur, garde an fond de
son cœur beaucoup de respect pour la femme.
Et quand une femme est tombée si bas qu'il ne
lui est plus possible de la respecter, il la plaint
sincèrement et s'apitoie sur son sort, tout en
conservant son air indifférent et sceptique... Le
noceur prussien ne demande pas à la femme
tombée autre chose que de lui prouver qu'elle
est capable de se baigner dans la boue. Et, une
fois l'acte d'accouplement bestial accompli, il la
chasserait à coups débottés si elle venait lui récla-
mer quelque chose d'autre que la pièce blanche
ou jaune convenue ; de la pitié, par exemple !
Aussi, la prostituée prussienne est telle que
le Prussien l'a faite. Elle est ignoble.
Oh ! les gretchen de joie, les filles de la
rue de Berlin !. . . Oh ! les mendiantes d'amour
avec des sourires sans grâce et une tenue de
cuisinières!... Il faut être du pays pour en
goûter la saveur.
A côté de ces héroïnes de Babylone d'Al-
lemagne, à la démarche lourde, aux tétons
avachis, la plus grossière fille de Paris appa-
raît comme une reine de joie .'...
VICTOR JOZE
TYPES DE BERLIN
UN UHLAN EN BONNE FORTUNE
Babylone d'Allemagne
I
E i" novembre 1891, dans un
salon réservé du restaurant
Miihling, l'un des plus élé-
gants restaurants berlinois,
situé dans le centre de la
Unter den Linden (i), le jeune
comte Hubert de Rau fêtait
avec quelques amis sa promotion au grade
de sous-lieutenant.
La veille encore, il n'était qu'un simple
Fàhnrich (2) que le premier ofticier venu pou-
vait traiter en morveux, que les femmes considé-
raient comme un gamin ; le voilà entin OXCizier;
officier chic dans toute l'acception du mot.
i^^
(1) Lea TUlctih, la promenado à ia mode, quoique
chose comme les grands boulevards de Berlin.
(2i Elève officier.
IC) BABYLONE D ALLEMAGNE
Aussi, le jeune homme élait-il tout lier
et tout content, et, chaque fois qu'il jetait un
coup (l'œil sur son sabre ou sur ses épau-
Icttes, sa petite moustache d'adolescent sem-
blait se redresser militairement.
M. de Rau n'avait convié à cette fètc
intime que ses meilleurs amis : le comte Otto
de Ullrich, Hans de Fctthing, le baron Julius
Haussner et Joseph de Bayer ; tous les quatre
sous-lieutenants de hussards comme lui.
Il avait été décidé d'un commun accord
que l'on n'inviterait point de femmes. Après
le souper, on verrait. En attendant, on tenait
à rester entre hommes, entre camarades. Les
Schnaepen (i) sont si bètes !...
En mangeant, on ne buvait que du Cham-
pagne : la seule chose qui soit bonne en
France, comme on dit à Berlin. On buvait
beaucoup, on était gris, on criait. On trin-
quait, avec des Prosit{'î), entre deux hoquets.
Et les exclamations favorites des Prussiens :
Colossal! Pyramidal ! Absolut! s'élevant à
chaque instant du brouhaha des paroles, sem-
blaient résumer la conversation des convives.
(1) Filles.
(2) A votre santé !
BABYLOXE D ALLEMAGNE 17
Il était onze heures du soir quand les
jeunes gens sortirent du restaurant. Il faisait
un froid sec. La Unter den Linden était
presque vide. Par-ci par-là, trébuchait un
ivrogne ou une tille publique faisait sa ronde
de nuit. Les cafés et les brasseries, au con-
traire, regorgeaient de monde. En face du
café Bauer, au coin de la Friedrichstrcifisc,
une longue fde de Droschh'en (i) attendaient
des clients. Les officiers en hélèrent deux ;
puis ils se consultèrent, n'étant pas encore
décidés où aller.
Le choix n'était point facile. Les tliéàtres,
à cette heure-là, étaient déjà fermés, et, étant
en tenue, les jeunes gens ne pouvaient pas se
hasarder dans un café-concert ou dans un bal
public. A Berlin, plus qu'ailleurs, ces éta-
blissements-là ne sont que de simples lupa-
nars pour l'exportation et les ofticiers n'y
vont jamais autrement qu'en civil.
— Il n'y a qu'un moyen de s'amuser!
s'écria Hubert de Rau. Allons chez la mère
Fritz!...
— Bonne idée , tit le baron Haussner,
allons-y !
(1) Fiacres.
18 BABYLONE D'ALLEMAGNE
— Schôii (l),
— Sehr gut (2).
— lawohl (3).
Lanière Fritz était une procureuse jouis-
sant (l'une grande réputation dans le monde
de la jeunesse dorée de Berlin. Elle oceupait
dans la Chaussée- Strasse toute une maison
composée de deux étages dont elle était d'ail-
leurs la propriétaire. Elle « travaillait » dans
la bourgeoisie. Autrement dit, elle procurait
à des hommes riches des jeunes bourgeoises,
demoiselles ou femme mariées, qui s'étaient
décidées à faire commerce de leur corps, plus
ou moins « honnèle » jusqu'alors.
On pouvait être sur de trouver chez la mère
Fritz, à toutes les heures, des petites dames
assez gentilles : des tilles de boutiquiers et d'ar-
tisans, des femmes d'employés de l'Etat, des
jeunes veuves, des gouvernantes sans place ;
dans la soirée, on y rencontrait aussi des
modistes, des demoiselles de magasin, des
employées à la comptabilité, arrivant à la
hâte après la fermeture de leur boutiijue.
(1) Bon!
(2) Très bien !
(3) Parfaitement 1
BABYLONE D'ALLEMAGNE 10
Mais, pour ontior en relations avec les « perles »
(le la maison, line lleur de la prostitution
clandestine , il fallait demander un rendez-
vous spécial.
Quand on s y prenait dune façon intel-
ligente, quand on savait faire son choix et
qu'on écoutait les conseils de la patronne, on
arrivait à en avoir largement pour son argent,
(lar — la chose était prouvée — la mère Fritz,
tout en dirigeant une maison immorale, était
l'honnêteté même au point de vue commer-
cial. Elle ne trompait jamais ses clients.
Quand elle vous disait : « Cette femme
est mariée », il était certain que la personne
en question était réellement en possession de
mari, au lieu d'être une vulgaire poseuse de
lapins, comme le sont généralement les
femmes dites mariées chez la plupart des
procureuses parisiennes. De même, quand la
bonne femme vous affirmait (qu'une de ses
candidates était vierge, le doute n'était pas
possible. D'ailleurs, dans ce dernier cas, la
vieille — une ancienne sage-femme qui con-
naissait bien son affaire — vous autorisait à
amener un médecin pour contrôler l'exacti-
tude du fait.
La maison de la mère Fritz semblait être
20 BABYLONE D* ALLEMAGNE
conslniite spécialement pour l'usage auquel
elle servait.
Du vestibule on passait dans un grand sa-
lon, lieu de réceptions et de présentations,
et de là, un escalier conduisait au premier
étage, rempli de chambres séparées : cha-
cune munie de tous les accessoires de l'acte
de l'amour.
Une porte placée au fond du salon du
rez-de-chaussée menait dans l'appartement
privé de la patronne, composé de quatre jo-
lies pièces et possédant un autre escalier qui
conduisait directement au deuxième étage,
réservé, celui-là, à des rendez-vous de « pre-
mière classe ».
Au bout de cet appartement privé, à côté
de la cuisine, se trouvait une petite anti-
chambre, toute sombre, avec une porte con-
duisant dans la cour et servant à celles et à
ceux qui avaient des raisons pour éviter l'en-
trée principale.
Arrivés devant la maison de la mère
ï'ritz, les jeunes gens descendirent de leurs
liacres et se tirent ouvrir la porte par un veil-
leur de nuit, qui les salua avec tout le respect
qui leur était dû.
A Berlin, les concierges ne tirent pas le
BABVLONE D" ALLEMAGNE ~i
cordon; chaque locataire a son passe-parlout,
et les gens du dehors qui veulent entrer dans
une maison, après la fermeture réglementaire
des portes, s'adressent au veilleur de nuit. La
surveillance d'un veilleur de nuit s'étend à
plusieurs immeubles dont il garde les clefs
respectives.
Une sonnerie électrique qu'on mettait en
mouvement en ouvrant la porte, annonça à la
mère Fritz une visite. Elle sortit dans le ves-
tibule, suivie d'une vieille bonne, regarda les
hussards à travers ses lunettes, leur souhaita
la bienvenue avec un sourire maternel, fut
charmante. Puis, elle aida elle-même sa bonne
à les débarrasser de leurs manteaux, et les
introduisit au salon.
Grande, maigre ridée, cheveux grison-
nants, la mère Fritz personnifiait le type de la
vieille lille allemande. Et cependant, ce n'était
point une prêtresse du célibat, Mme Walter
(c'était son nom ofliciel) était la veuve d'un
sergent de ville qui, trente années durant,
avait servi dans la police de Berlin, et qui
était mort victime du devoir, assommé à
coups de bottes par des rôdeurs de nuit.
Cette mort héroïque avait valu à sa veuve
une pension de cent marks et des protections
22 BABYLONE D ALLEMAGNE
puissantes à la prélecliiie de police, qui, vu
son petit métier, uélaient point à dédaigner.
Au moment d'entrer au salon, vide complè-
tement à ce moment, Otto de Ulrich s'écria :
— Eli bien, il n'y a personne?
— Si, si, répondit la vieille dame, j'ai
cpiatre petites amies dans la salle à manger;
toutes les quatre, des jeunes filles à marier...
Dans le langage des procureuses de Berlin
« tille à marier » veut dire une jeune lille qui
se prostitue.pour se l'aire une dot.
— Mais. Donnera' ctter {i), nous sommes
ein([ ! lit le baron Haussner avec humeur.
— C'est regrettable, répondit la mère Fritz.
Si vous étiez venus un peu plus tôt, j'avais la
veuve d'un capitaine récemment décédé.
Etant encore en deuil, elle n'a pas voulu res-
ter plus longtemps. Vous comprenez ses scru-
pules... elle se doit encore un peu à son
pauvre défunt...
— Veuve d'un capitaine ? s'étonna Joseph
de Bayer. Pas de la garde toujours, j'es-
père...
— Si, si, monsieur. Son mari était hussard
de la garde comme vous...
(Il Oia^^o ! (Iiilerjeclion 1res usilcc en Allemagne. ^
BAI3YL0NK DALLE.MAGNK 2'^
— Son nom ? cria Hubert de llau.
— C'est un secret...
Le comte de Rau sortit de son portefeuille
un billet de cinquante marks.
— Voilà pour toi, vieille sorcière, pour te
délier la langue.
La mère Pritz tendit la main avec un sou-
rire bienveillant.
— Parle d'abord !
— Eh bien, puisque vous y tenez tant, je
vais vous dire le nom de cette dame. C'est
Mme de Holtz,
— Comment?... Alors c'est la veuve de
mon ancien capitaine qui me mettait si sou-
vent aux arrêts ! Bravo ! deux fois bravo ! trois
fois bravo ! cent fois bravo !...
Et en jetant à la ligure de la vieille femme
le billet de banque qu'il tenait à la main :
— Tiens, garde cela. Et lu en auras
encore deux comme celui-là, si Mme de Holtz
vient ici dans un quart d'heure.
Puis, s'adressant à ses camarades:
— C'est quelque chose de colossal ! Ce
cher monsieur de Holtz ne se doutait jamais
de la farce que je devais lui jouer après sa
mort... Je ferai mon possible pour prouver à
2i BABYLOXE D ALLEMAGNE
sa jeune veuve que son clicr défunt ne con-
naissait qu'inipart'aitemenl ses devoirs de mari.
Je vais être son professeur lin de siècle à la
française ! Aii ! ce pauvre de Holtz, plaignez-
le!
— Holtz l'a donc laissée dans la misère,
celte malheureuse ? demanda à la mère Fritz
le baron Haussner d'une voix un peu émue.
— Il est mort ruiné, répondit la vieille.
— En elTet. il jouait beaucoup, lit le comte
Otto de UUrich.
— C'est triste, conclut Hans de Fetthing;.
— Que le diable vous emporte avec vos
doléances dans un endroit destiné à ce qu'on
rie et jouisse! cria de Rau. Vous plaignez le
sort de Mme de Holtz!... Pourquoi? Parce
que j'ai l'intention de l'aimer ?Non? Eh bien,
pourquoi ? Parce qu'elle a perdu son mari ?
Mais ètes-vous seulement sûrs qu'elle le
regrette ?... Eh bien alors, de quoi vous mêlez-
vous ? Vous. Haussner, vous la traitez de
malheureuse... Elle me parait au contraire
très heureuse. Vous voyez, je m'intéresse déjà
à elle, la connaissant à peine par ouï-dire...
Holtz était vieux; moi, je suis jeune; Holtz
était ruiné en mourant ; moi, je suis riche...
Eh bien, avouez que cette petite dame a une
BABYLONE D ALLEMAGNE 'Zo
rude veine... Si elle réussit à me plaire réel-
lement, je la lancerai dans la grande vie...
Tout Berlin en parlera. ..
El, en regardant ses camarades d'un air de
triomphe :
— Avoir pour maîtresse la veuve de son
ancien capitaine, c'est très chic !...
— C'est très moderne, lit la mère Fritz.
Puis, s'approchant du comte de Rau, elle
lui dit à voix basse :
— Si vous voulez (pie ^Ime de Holtz
vienne encore aujourd'hui, il faut que j'aille
la chercher moi-même. Elle est dillicile et
lière... Qu'est-ce qu'il faut lui dire?
— Dites lui que je lui offre cinq cents
marks pour la soirée d'aujourd'hui. Après,
nous verrons...
— Très bien... Le temps de mettre mon
chapeau et j'y cours.
— ^Nlais vous perdez la tète, mamaji Frilz,
dit de UUrich. Vous ne pensez qu'à notre ami
(le Rau... Eh bien, et nous? Nous attendons
nos (juatre lilles à marier...
— Elles seront de suite à vos ordres, dit
la mère Fritz en sortant par la porte du fond.
Une minute...
•JC) BABVLONK D ALLHMAGNH
— El (lu clianipagnc pour tout le monde.
11 csl-cc pas?
— A vos ordres...
Au ])oul de quelques minutes, velue d'un
lonjç mauteau à pèlerine el coiffée d'un énorme
chapeau ayant l'air de remonter aux temps de
Frédéric le Grand, la mère Fritz revint au
salon et pria les officiers de passer dans son
appartement privé.
— Ces jeunes personnes, lit-elle, sont en
Irain de souper. Je croyais qu'elles avaient
déjà tini. Mais elle n'aiment pas manger à la
hâte... Vous seriez bien gentils d'aller leur
tenir compagnie.
— Allons-y. Ici ou là, ça nous est bien
égal, fit un des jeunes gens.
Et aussitôt les cinq ofticiers entrèrent dans
la salle à manger de la procureuse, qui les
présenta à ces demoiselles, selon les usages de
la maison.
— Ce sont ces messieurs dont je vous ai
parlé, mes petites filles. Etant forcée de sortir,
je vous laisse avec eux... Amusez-vous bien!
Si vous voulez jouer aux cartes, elles sont là,
dans le tiroir: si vous voulez danser, passez
au petit salon ; si vous vouiez monter, appelez
la bonne...
BABYr/LXE DALLKMAGNF, 2 1
Les hussards s'approclièrent des jeunes
filles et les saluèrent avec des sourires si2:niri-
catifs et en les dévisageant.
Elles étaient toutes les quatre blondes et
grasses, toutes les quatre jolies et très jeunes.
Elles étaient assises autour d'une table ronde,
couverte d'une nappe jaune et tricotaient des
chaussettes d'homme. A tout instant, elle s'ar-
rêtaient dans leur travail pour boire un peu
de café au lait servi dans de grands bols, ou
pour choisir dans une des assiettes, rangées
sur la table, une sandwich au jambon ou aux
contltures, un gâteau ou un œuf dur qu'elles
avalaient aussitôt.
A la vue des ofticiers, les jeunes lilles
commencèrent par baisser légèrement les yeux
— aflaire d'éducation, — mais elles s'empres-
sèrent de les relever et se mirent à rire, toutes
à la fois.
La bonne apporta du Champagne, les
hussards s'assirent, la mère Eritz sortit, la
conversation s'engagea...
Les jeunes gens, à part le comte de
Rau, qui se tenait à l'écart et pensait à sa
veuve, avaient déjà fait leur choix. Ils
s'étaient assis en conséquence, chacun à côté
de celle qui lui plaisait le mieux. Ils s'étaient
28 BABYLONE D'ALLEMAGNE
consultés des yeux, et ils étaient daccord.
Otto de UUrich apprit bientôt que la jeune
lille à côté de laquelle il était assis s'appellait
de son petit nom Mlle Julie, qu'elle avait dix-
sept ans et demi, qu'elle était la lille unique
d'un vétérinaire militaire, qu'elle n'avait pas
de dot, mais qu'elle espérait en avoir une en
faisant la petite pelote, que sa mère l'autorisait
à sortir le soir s'amuser un brin, à la condition
d'être rentrée avant une heure du matin.
jNIlle Julie voulut faire accroire au comte
que les chaussettes qu'elle était en train de
tricoter étaient destinées à son père, mais, en
insistant un peu, l'officier lui lit avouer qu'elle
les fabriquait pour son fiancé, un aide-phar-
macien de grand avenir.
Les trois autres demoiselles à marier
répondaient aux noms de Marie, Annette et
Augusta.
]Mlles Marie et Annette étaient orphelines.
La première logeait chez une vieille cousine
et s'occupait de couture, la deuxième était à
la charge d'un oncle maternel, un ancien
notaire qui avait eu des revers. Quant à
Mlle Augusta, elle était la lille cadette d'un
pasteur protestant, père d'une famille par trop
nombreuse.
BABYLONE DALLEMAGNE 20
Elles avaient des fiancés, elles aussi, elles
fréquentaient la mère Fritz depuis plusieurs
mois déjà, cela ne foisait du mal à personne,
n'est-ce pas? et, comme les afïaires n'étaient
pas très mauvaises, elles espéraient pouvoir
entrer dans la vie matrimoniale très prochai-
nement .
Leurs conlidenccs de jeunes filles étaient
faites le plus naturellement du monde, sans
fausse pudeur, sans cachotteries. Elles con-
naissaient bien la vie et l'acceptaient telle
quelle était. Elles savaient que, pour se ma-
rier, il faut avoir de l'argent : qu'une jeune
iille doit apporter à son mari une petite dot
pour être digne de son respect et avoir sur lui
une influence morale. Elles excusaient les
jeunes gens qui ne se marient pas à la légère,
mais qui demandent à la femme dont ils veu-
lent faire leur compagne, à côté des qualités
morales, un trousseau convenable et un livret
de la Caisse d'épargne.
Leurs idées étaient sans prétentions ; elles
étaient simples et pratiques ; elles émerveil-
lèrent les hussards.
Questionnée par un des officiers qui tenait
à savoir si elle aimait le Champagne, Mlle An-
nette répondit que c'était une boisson agréable:
30 BABYLONE D'ALLEMAGNE
mais qu'il fallait on boire rarement parce
([u'elle coûtait trop clier ; (railleurs elle n'y
tenait point plus qu'à la bière et au bon café
à la crème.
Ses amies lapprouvèrent à l'unanimité, et,
comme elles avaient déjà bu deux verres de
Champagne chacune, elles refusèrent carré-
ment d'en boire davantage. A quoi bon boire
inutilement et se faire du mal? Du reste, elles
n'avaient pas encore fini leur souper.
Au bout de quelques minutes, comme les
ofliciers insistaient et qu'elles n'avaient plus
de café au lait dans leurs bols, elles acceptèrent
de prendre un peu de bière de Munich pour
en arroser les œufs durs qui restaient encore
sur la table. C'était une concession.
La bière servie, les hussards prirent leurs
voisines dans leurs bras et les lirent asseoir
sur leurs genoux ; les jeunes filles qui s'y
attendaient leur tendirent leurs lèvres les pre-
mières. Mais ce fut la seule privante qu'elles
leur permirent pour l'instant. Elles ne tenaient
pas à avoir les jupes chiffonnées. Puis, il fal-
lait être convenable quand on était habillé. Si
ces messieurs étaient pressés, ils n'avaient
(ju'à appeler la bonne, et on allait monter.
Le baron Haussner qui, malgré ces obser-
BABYLOXE D'ALLEMAGNE 31
valions, dites sur un ton poli mais décisif,
avait renversé à demi la lille du pasteur en lui
relevant les jupes jusqu'aux genoux, s'attira
cette verte réprimande :
— Pas ici, pas ici, s'il vous plaît. Vous
êtes un malappris.
Le baron ne s'offensa point. Il fit ses
excuses à la jeune tille, l'embrassa sur la
bouche et lui proposa de la faire valser,
^Nllle Augusta avoua qu'elle ne savait pas
danser. Et d'ailleurs, elle serait forcée bientôt
de s'en aller pour ne pas rentrer trop tard à
la maison. Aussi, si Monsieur l'oflicier tenait
réellement à s'amuser un peu avec elle, elle
aimerait mieux monter de suite dans une
chambre séparée au lieu de perdre le temps.
Le jeune homme trouva que Mlle Augusta
avait parfaitement raison et la complimenta
de sa franchise. Il appela la bonne, lui dit de
préparer une chambre et, priant ses cama-
rades de l'attendre, il sortit, suivant la petite
qui connaissait bien le chemin du premier.
Les voyant partir, Mlle Julie, la fdle du
vétérinaire, rappela au comte de Ullrich que
sa mère exigeait qu'elle fût rentrée avant une
heure du malin. Le comte comprit et imita le
baron.
32 BABYLONE D'ALLEMAGNE
De Fcllhing et de Bayer voulurent en (aipc
autant, mais les deux demoiselles qu'ils
tenaient sur leurs genoux déclarèrent qu'elles
n'étaient pas aussi pressées que leurs amies,
et qu'elles feraient volontiers quelques tours
de valse. Elles aimaient beaucoup la danse,
disaient-elles, d'autant plus qu'en dehors des
sensations agréables qu'elle procurait, elle
était excellente au point de vue digestif.
Le comte Hubert de Rau, bien que de
mauvaise humeur (les amours de ses cama-
rades l'embêtaient ; il aurait voulu que la
veuve fût déjà là), consentit à jouer au piano
et joua la valse connue de l'opérette viennoise
Die Fleclcrmaus (la Chaiwe-Souris).
La danse commença : une véritable danse
allemande, sentimentale et lente. Une har-
monie bizarre s'établissait entre la raideur
militaire des deux officiers et le lyrisme de
leurs yeux. Leur regard tendre et doux sem-
blait se fondre dans quelque chose d'infini et
suggestionnait les danseuses qui tournaient,
tournaient, la tète légèrement inclinée, la
bouche entr'ouverte, les yeux mouillés, les
narines haletantes...
Tout à coup, comme une vision, la mère
Fritz apparut dans la porte entre-bàillée. Elle
BABVLONE D'ALLEMAGNE 33
lit un signe au comte de Rau, et d'une voix
mystérieuse :
— Herr Graff, bitte schôn! (i)
Vivement de Rau laissa en plan les dan-
seurs et sortit du salon.
— Eh bien? demanda-t-il à la vieille qui
l'attendait.
— Elle est là. venez...
Et elle le conduisit dans son boudoir où,
assise négligemment sur un petit sopha, une
jeune femme, mise avec élégance, feuilletait
un journal de modes.
C'était une jolie brune au type Ijavarois.
Forte, sans être grasse, elle avait des grands
yeux noirs, un nez régulier, une petite
bouche... et du chien. Elle pouvait avoir
vingt-cinq ans. Son costume de deuil lui
seyait extrêmement bien.
Le jeune sous-lieutenant la salua poliment,
en homme du monde. Elle le tixa de ses yeux
noirs, l'examina attentivement et demanda,
d'une voix légèrement ironique :
— Le comte de Rau, n'est-ce pas?
— Lui-même, à votre service.
[\) Monsieur lo comte, je vous prie.
?,'i BABYLOXE D'ALLEMAGNE
— Asseyez-vous, monsieur,
Elle parlait si froidement, avec tant d'as-
surance mêlée à une sorte de mordue dédai-
gneuse, que le hussard se sentit déconcerté. Il
prit place sur un fauteuil à coté du soplia... et
ne trouva rien à dire.
La mère Fritz s'était esquivée, fermant la
porte derrière elle ; l'ofticier et la jeune femme
étaient seuls,
— Vous teniez beaucoup, reprit ÎNIme de
Holtz, à faire ma connaissance encore ce soir,
malgré l'heure si tardive... Dans d'autres cir-
constances, croyez-le, je ne me serais pas dé-
rangée. Je n'ai point l'habitude d'être appelée
de cette façon. Mais maman Fritz, que je con-
nais de longue date, a su si bien piquer ma
curiosité que j'ai cédé... II paraît (ici la voix
de la jeune femme devint tellement ironique
que le hussard rougit jusqu'aux oreilles) il pa-
raît que vous êtes très expérimenté en amour
et que vous voulez me donner des leçons...
Je ne demande pas mieux, cher monsieur.
J'adore ces leçons-là. Toute gamine encore,
en j)ension, j'en prenais tant que je pouvais...
j'ai continué étant jeune fdle et femme
mariée... Pourquoi m'arrèter aux jours du
veuvage qui me rend toute ma liberté?...
BABYLONE D ALLEMAGNE 35
Hubert de Rau se sentait de plus en plus
embarrassé. Il aurait voulu dire quelque
eiiose, mais il ne savait pas quoi. Malgré son
trouble cependant, une observation plaisante
lui vint à l'esprit. « Holtz a bien fait de mou-
rir », pensa-t-il, « il ne devait pas être très
heureux. »
Mme de Holtz continua : « Vous m'avez
offert, Monsieur, par l'intermédiaire de la
mère Fritz, la somme de cinq cents marks
pour une séance de pédagogie amoureuse qui
doit avoir lieu ce soir. Merci de votre géné-
rosité, monsieur, mais ce n'est pas
logique... C'est vous qui serez le professeur,
pas moi... Et, bien que je ne sois pas riche,
je possède des économies et j'aurai encore de
(pioi donner quelques centaines de marks à
celui qui m'aura appris quelque chose de
nouveau en amour...
Le comte de Rau. tout ahuri qu'il était,
comprit que la jeune femme se moquait de
lui.
— Madame, vous plaisantez, fit-il avec un
mouvement de colère.
Mme de Holtz se mit à rire.
— Vous ne voulez pas, dit-elle, soit ! Alors
ce sera une séance srraluile...
3() BABYLONE D ALLEMAGNE
Sa voix était devenue plus douce, et de
Uuu se sentit plus à son aise. 11 vou-
lut faire une ol)jection. La jeune femme l'in-
terrompit.
— Laissez, lit-elle, je suis très têtue et je
n'accepterai rien de vous cette fois. D'ailleurs,
voyez-vous, nous sommes un peu cousins.
Mon mari était votre capitaine... et les ofti-
ciers du même régiment, n'est-ce pas une
grande famille?... Un capitaine est l'oncle de
ses subordonnes... par conséquent, je suis
votre tante... vous voyez! Il est vrai que
d'après ce qui m'a été dit par la mère Fritz,
vous n'aimiez pas votre oncle de Holtz, parce
qu'il vous mettait aux arrêts. Eh bien, mon
ami, nous pouvons nous donner la main...
J'avais fait mon possible pour arriver à l'ai-
mer... et je n'ai pas réussi. Il était trop vieux
et trop jaloux...
Tout à coup, Mme de Holtz se leva. Elle
ôta son chapeau qu'elle avait gardé sur sa
tête, le plaça sur une commode et s'approcha
de l'officier.
— Voyons, Herr Professor, vous ne dites
rien? fit-elle d'une voix câline.
Le hussard se leva à son tour; la jeune
femme l'attira vers le petit sopha, et ils s'assi-
BABYLONE D'ALLEMAGNE 37
l'ont tous deux côle à côte. Elle garda ses deux
mains dans les siennes, et, en le contcm-
l)lant :
— Vous êtes Prussien? dit-elle.
— Oui.
— Moi, je suis de Munich, mais j'aime
beaucoup les Prussiens.
Elle lui entoura le cou de sa main
droite. Il sentit son souffle et l'embrassa sur
la bouche.
— Vous êtes un joli garçon, murmura-
t-elle. Vous êtes blond, vous êtes bien fait...
vous ressemblez à notre empereur.
Pour toute réponse, le hussard la saisit par
la taille et, en quelques secondes, l'étendit sur
le sopha, brutalement.
Elle ne s'attendait pas à cette brusquerie.
Elle essaya de se défendre.
— Pas ici, lit-elle comme tantôt la iille du
pasteur. ]Mais il était trop tard... Le hussard
triompha...
Un quart d'heure plus tard, le comte de
Rau et Mme de Holtz, guidés par la mère
Fritz, montaient l'escalier conduisant au
deuxième étage. La vieille tenait dans une
main une lampe à pétrole et dans l'autre une
38 BABYLONE D'ALLEMAGNE
petite Aalise que Mme de Hollz avait emportée
de cliez elle, pour l'aire eroire à un voyage.
Fier de sa victoire de tout à l'heure, le
sous-lieutenant avait retrouvé toute son assu-
rance. Il fredonnait nne chanson de cale-
concert et faisait sonner son sabre sur les
marches de l'escalier.
Le petit appartement de première classe
où le hussard et la veuve allaient passer la
nuit était composé d'une antichambre, d'une
grande chambre à coucher, d'un cabinet de
toilette et d'un petit boudoir.
Le lit destiné aux amours du jeune couple
était un véritable Bet (i) allemand couvert
d'un énorme lit de plume. Deux chemises de
nuit : une chemise de femme et une d'homme
étaient posées sur les oreillers ; elles faisaient
partie du mobilier du logement.
— Vous serez bien ici, petits amoureux,
lit la mère Fritz en introduisant l'ofli-
cier et la dame.
— la wohl, répondit de Rau. Puis, il
demanda à la vieille :
— De Fetthing et de Bayer sont-ils encore
au salon avec leurs donzelles ?
(Ij Lit.
BABYLONE D'ALLEMAGNE 39
— Non, ils sont déjà montes au premier.
Ils ont demandé une chambre à un seul lit
pour faire une contredanse.
Après cette explication, la mère Fritz rit
longuement. Etant bavarde, comme toutes les
Allemandes, elle aurait voulu, avant de se
retirer, faire un bout de causette avec les
jeunes amoureux. Mais cela ne faisait point
l'affaire du comte. Et il lui lit entendre qu'il
désirait qu'elle les laissât seuls. Elle comprit,
et, après avoir souhaité à ses locataires une
bonne et agréable nuit, se dirigea vers la
porte.
— Quand vous verrez descendre mes amis,
lui cria le jeune homme, dites-leur au revoir
de ma part. Je les verrai demain matin au
manège.
Une fois la vieille partie, de Rau retira
son uniforme et son pantalon, les plia avec
soin et, dans cette petite tenue : chemise,
caleçon et bottines éperonnées, il s'approcha
de Mme de Holtz qui, assise sur une chaise
longue, le regardait avec attention, tout en
dégrafant lentement son corsage.
Tel qu'il était maintenant, le hussard dut
lui plaire, car elle le lit asseoir sur ses
genoux, le cajola, l'embrassa tendrement sur
40 BABYLOXE D'ALLEMAGNE
les joues, sur les yeux, lui passa, selon la
mode allemande, sa langue dans la bouche...
Puis, telle une mère parlant à son lils, elle lui
dit, en lui caressant le menton :
— Mon petit second lieutenant adoré, mon
officier chéri, lu es beau et solide, mais tu es
encore bien jeune...
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II
Le lendemain matin, le hussard et la
veuve se réveillèrent très satisfaits l'un de
l'autre. Lui, avait prouve sa force de mâle ;
elle, son savoir-aimer.
Elle l'appelait encore « Herr Profeasor »,
affaire de rire, car il n'était qu'un élève labo-
rieux, et elle son maître.
Elle l'initia à des choses qu'il ne connais-
sait point, malgré ses prétentions de jouven-
ceau qui se croit fort expérimenté en amour
sans en connaître l'alphabet. Aussi , se
rendit-il compte bien vite qu'il n'était qu'un
petit garçon. Mme de Holtz l'avait écrasé de
sa supériorité. Et, obéissant, il se laissait faire
ou, strictement, exécutait ses ordres.
Le matin, au réveil, après un nouvel
44 BABYLONE D'ALLEMAGNE
exercice, il trouva amusant d'appeler sa maî-
tresse : « mon capitaine ».
Car elle était déjà sa maîtresse. Ils s'étaient
entendus à ce sujet entre deux étreintes. Elle
avait signé son engagement avec ses lèvres sur
la peau blanche du jeune homme ; lui, il avait
donné sa parole d'honneur.
Mme de Holtz devait quitter de suite le
petit appartement qu'elle habitait actuellement.
Son amant s'engageait à lui louer une villa
dans les environs de Berlin, à lui fournir
l'argent nécessaire pour le train de maison et
pour ses toilettes, et à mettre à sa disposition
une voilure à deux chevaux. En échange, elle
promettait de n'aimer que lui, lui tout seul,
son petit « second lieutenant ».
A huit heures du matin, le comte de Rau
sortit de chez la mère Fritz, laissant sa bien-
aimée au lit. N'étant point pressée, elle
voulait dormir la grasse matinée, et il devait
venir la retrouver à une heure de l'après-
midi.
Eu descendant, le comte paya à la mère
Fritz son courtage et sa part des frais de la
veille, ses amis ayant payé en partant leurs
parts respectives. Pour ce qui était du petit
appartement où il avait passé la nuit en
BABYLOXE D'ALLEMAGNE Aô
compagnie do Mme de Holtz, il larièta pour
quelques jours jusqu'à la nouvelle installation
de sa maîtresse.
Il ne pouvait pas lui faire des visites trop
fréquentes dans son domicile actuel; cela,
aurait provoqué , disait-elle , un scandale
inouï dans sa maison halDitée par des per-
sonnes pleines de vertus bourgeoises. Les
mêmes raisons de convenances empêchaient
Hubert de Rau de garder sa nouvelle maî-
tresse chez lui, ne serait-ce qu'une seule nuit.
Là-dessus, il avait hérité de ses aïeux des
principes inébranlables. Jamais aucune femme
— sa mère, ses sœurs, ses tantes et ses cou-
sines exceptées — n'avait franchi le seuil de
son appartement de garçon. Depuis sa sortie
de l'école des cadets, cest-à-dire depuis un
an, son père, général-commandant de la
garde impériale et l'un des plus riches gen-
tilshommes de la Poméranie , lui donnait
cinq mille marks par mois; maintenant,
depuis sa promotion au grade de sous-lieu-
tenant, il espérait en avoir le double, car son
père était large, trouvait que le jeune âge
avait ses droits, et excusait ses folies. Mais,
s'il était prêt à pardonner à son fils beau-
coup de choses, il ne lui aurait jamais par-
3*
46 B.VB^TONE D'ALLEMAGNE
donné la profanation de sa demeure officielle.
Hubert de Rau le savait bien. Aussi, eùt-ll
préféré rompre avec ]Mme de Holtz de suite,
plutôt que de s'exposer à la colère pater-
nelle et aux reproches de sa conscience de
gentilhomme prussien.
Avant d'aller à ses occupations militaires,
le jeune homme passa chez lui, changea de
costume, mit ses grandes bottes et prit un
bol de café au lait. Ensuite, suivi de son
ordonnance, il se rendit à cheval au manège.
Il y rencontra ses compagnons de la veille,
auxquels il raconta comment il avait passé la
nuit et combien il était satisfait de sa nouvelle
liaison.
Ses amis le félicitèrent et le prièrent de
les présenter à la veuve de leur ancien capi-
taine.
— Attendez qu'elle soit installée, répondit
de Rau. Je vous inviterai à une grande fêle
que je me propose de donner en son hon-
neur. Vous amènerez des femmes.
— Ce ne seront pas, en tout cas, les fdles
à marier d'hier soir , répondit le baron
Haussner. Nous en avons assez. Elles sont
trop bégueules...
Après trois heures d'exercices, le comte
BABYLONE D'ALLEMAGNE 47
de Rail repassa chez lui, se changea encore
une fois, et, à une lieure précise, il enlrait
dans le vestibule de la maison hospitalière de
la mère Fritz.
Mme de Holtz Fattendait dans la salle à
manger de la procureuse, — et ils dînèrent (i)
à trois.,.
Après le dîner, l'officier et sa maîtresse
sortirent ensemble. Une voiture du comte les
attendait à la porte. Ils se firent conduire à
Potsdam où, comme ils venaient de l'ap-
prendre par la mère Fritz, il y avait juste-
ment à louer un fort joli hôtel habité jusque-là
par une actrice du Schaiispielhaiis ^ Julia Slern,
qui venait de se marier.
Le temps étant beau, quoique froid, ils
préférèrent faire ce petit voyage en voiture
qu'en chemin de fer. lisse sentaient tous deux
d'une humeur excellente, et, assis commodé-
ment dans leur coupé, ils causaient joyeuse-
ment, en s'interrompant de temps à autre
par des baisers passionnés.
Mme de Holtz raconta à son amant toute
l'histoire de sa vie.
(1) On dîne à Berlin entre 1 heure et 5 heures. Le
repas du soir n'est qu'un souper léger.
i8 BABYLONE D'ALLEMAGNE
Fille d'un petit fonctionnaire de Munich,
elle avait perdu ses parents peu de temps
après sa sortie de pension. Ne sachant quoi
l'aire, elle partit pour Berlin et devint insti-
tutrice. Elle lit ce métier quatre années
durant. Puis, un jour, elle rencontra le capi-
taine de Holtz dans une maison où elle don-
nait des leçons. L'officier, vieux déjà et encore
célibataire, en tomba amoureux et l'épousa.
Tel était son passé. Quant à son avenir,
elle l'entrevoyait plein de charmes. Comment
ne serait-elle pas heureuse auprès de son sous-
lieutenant ?
— Nest-ce pas, Herr Professor'i
— la wohl.
Aussitôt arrivés à Potsdam, roffieier et la
dame allèrent visiter l'hôtel à louer. Ils le
trouvèrent à leur goût, et, comme le proprié-
taire habitait à côté, ils le louèrent de suite.
Puis, l'idée leur vint d'aller faire un petit
tour au parc de Sans-Souci {Zang-Zoïizi, sui-
vant la prononciation allemande). Et ils se
dirent des choses douces dans les vieilles
allées où jadis se promena Frédéric le
Grand.
— Entrons-nous un instant au Château?
— Je l'ai visité, trop souvent, hélas! avec
BABYLONE D'ALLEMAGNE 49
feu (le Holtz. Mais, enfui, une fois de plus,
une fois de moins... Allons-y !
Ils entrèrent.
Le comte de Rau, très sérieux et plein de
respect pour les souvenirs du grand Roi.
donnait à sa maîtresse des explications qu'elle
connaissait par cœur. Mais, ne voulant pas
vexer le jeune homme, elle les écoutait avec
une patience évangélique et sans bâiller.
— Voici la casquette que le Roi mettait
d'habitude le malin, voici celle qu'il mettait
le soir ; voici sa culotte ; voici la chaise sur
laquelle il aimait à s'asseoir quand il était de
bonne humeur; voici son testament...
— Pourquoi diable est-il écrit en fran-
çais? dit Mme de Holtz pour dire quelque
chose.
— En ce temps-là, dit gravement le jeune
comte, les monarques allemands se servaient
beaucoup de la langue française. Heureuse-
ment, aujourd'hui, notre vieille langue alle-
mande a repris ses droits à la Cour..
Ils revinrent à Berlin par le chemin de
fer. Ils eurent la chance de se trouver seuls
50 BAB^XONE D'ALLEMAGNE
dans un compartiment de première elasse...
Et ils connurent la joie des amours .secrètes
en wagon, si populaires en Allemagne.
TYPES DE BERLIN
DANS LE MONDE
III
La première réceplion donnée par ]Mme de
Hollz dans son hôtel de Potsdam avait réussi
à souhait. Vingt-deux personnes — vingt ofli-
ciers et deux dames — vinrent orner de leur
présence les nombreuses pièces de cette char-
mante demeure,
Trois jours avaient suffi aux jeunes amou-
reux pour meubler celte demeure à leur goût.
D'après l'avis de tout le monde, l'ameublement
était parfaitet confortable. Rien n'y manquait,
chaque chose était à sa place, l'ensemble avait
cette note berlinoise si moderne.
On ne voyait pas de ces meubles anciens
et bizarres, de ces mille choses inutiles et
surannées auxquelles se plaisent certaines
.n B.VBYLONE D ALLEMAGNE
personnes. Tout y était du plus pur style
Guillaume II.
INIme de Holtz avait choisi le dimanche
comme jour de ses réceptions hebdomadaires
qui devaient avoir lieu dans la journée pour
permettre aux maîtres de la maison et à leurs
hôtes de disposer de leur soirée comme bon
leur semblerait.
Il était entendu que l'on dînerait entre
trois heures et quatre heures, qu'on passerait
ensuite au salon pour faire un peu de musique
et quelques tours de valse, et que l'on se sépa-
rerait vers six heures pour arriver à Berlin
juste pour l'ouverture des théâtres.
Le premier dîner de cette série, le dîner
de la crémaillère, fut servi avec un petit
retard, bien excusable. On avait mis du temps
à visiter l'hôtel, on s'était attardé surtout
dans la chambre à coucher de madame à faire
des plaisanteries sur la commodité des deux
lits jumeaux qui s'y trouvaient côte à côte,
selon l'usage adopté en Allemagne. Chacun
avait trouvé un mot drôle, ces messieurs
comme ces dames. Et c'était en riant que l'on
entra dans la salle à manger et que l'on s'assit
autour d'une grande table où vingt-quatre
personnes étaient parfaitement à leur aise.
BABYLONE D ALLEMAGNE 55
Les convives formaient un ensemble fort
agréable à voir. Les uniformes des hussards
se mêlaient à eeux des uhlans, des gardes du
corps et des cuirassiers
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